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Quand l’alcool au volant détruit des familles

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Naigu Ramasawmy ne se remettra sans doute jamais de la mort de son fils adoptif Shivajee Rawdojee (en médaillon).

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Les parents de Selven Pakireepillay sont accablés après la disparition de leur unique enfant.

Malgré les nombreuses campagnes de sensibilisation démontrant encore et encore les dangers d’une telle pratique, certains automobilistes continuent à boire et conduire. Déjà, depuis le début de l’année, deux conducteurs testés positifs à l’alcotest, dont un médecin, ont provoqué la mort de deux personnes sur nos routes. Plongeant leurs proches dans une insoutenable tristesse. Ces derniers, anéantis, racontent leur drame.

L’être humain est souvent à la recherche du plaisir. Mais certains plaisirs peuvent avoir des conséquences bien amères. Par exemple, quand on boit quelques verres avant de prendre le volant. Une attitude totalement irresponsable qui peut avoir une issue fatale. Le conducteur peut se tuer lui-même ou tuer d’autres personnes, brisant des familles, laissant dans la douleur des veufs/veuves, orphelins/orphelines. Malgré les nombreuses campagnes de sensibilisation menées d’année en année par les autorités, rien n’y fait.

En ce début d’année, pas moins de deux accidents fatals nous ont ramenés à cette triste réalité : le drame survenu à The Vale, le 12 janvier, où un médecin, le Dr Sandeep Prayag (voir sa version en hors-texte), dont l’alcotest s’est révélé positif, a heurté mortellement un jeune motocycliste, Pourbarlen Pakireepillay, 24 ans, et celui dans lequel Shivajee Rawdojee, 42 ans, a perdu la vie. Il a été percuté peu après les pétarades de la nuit du 31 décembre au 1er janvier, par un chauffeur dont l’alcotest était également positif.

À Mapou, chez les Pakireepillay, l’atmosphère est insoutenable en ce mardi 14 janvier. Au seuil de l’appartement F12 de la NHDC, un homme âgé, casquette vissée sur la tête, vêtu d’une chemise rose pâle et d’un pantalon gris foncé, semble porter tout le fardeau du monde sur ses frêles épaules. Un groupe de personnes tente de le consoler tant bien que mal alors qu’il les raccompagne à quelques pas de son domicile en traînant les pieds. Car, malgré son lourd handicap qui l’oblige à porter une prothèse, il tient à faire ce petit geste, ô combien significatif, envers ceux venus lui témoigner de la sympathie. Lui, c’est Doorerazaine, 74 ans, le père de Pourbarlen (plus connu comme Selven). Il y a quelques jours, il a accompli ce qu’il y a de plus dur dans la vie d’un parent : enterrer son enfant.

Depuis, sa vie n’a plus de sens. «Cette personne m’a pris mon unique fils. Il était toute ma vie. Perdre un enfant, c’est dur pour un parent, mais perdre son unique fils, c’est encore plus difficile. C’est lui qui aurait dû m’enterrer et pas le contraire. Qui prendra soin de moi ? Qui s’occupera de ma femme ? Personne ! Car c’est Selven qui était toujours là, à nous assister dans nos problèmes de santé, à nous conduire à l’hôpital. Qu’adviendra-t-il de nous ?» ne cesse de se demander Doorerazaine, en larmes.

Avenir sombre

Ecrasé sous le poids de la douleur et de la maladie, il est visiblement à bout de force. Trop, c’est beaucoup trop pour lui. Et soutenir son épouse, trouver les bons mots pour apaiser son cœur de mère complètement déchirée, Doorerazaine en est presque incapable. Donc, pour ne pas sombrer complètement, Roubamanee, 49 ans, s’accroche de toutes ses forces à une petite photo de son fils, qu’elle tient fermement entre ses mains.

«Selven était ma raison de vivre, un fils exemplaire. Le samedi 11 janvier, il a fait des travaux de peinture dans la maison. Puis dans l’après-midi, il est allé à une prière à Plaine-des-Papayes dans le cadre de la célébration de la fête Cavadee. Il s’y était rendu avec ses amis. Et c’est sur le chemin du retour que ce malheur est arrivé. À 3 heures, des voisins sont venus frapper à ma porte pour m’annoncer la terrible nouvelle. Je ne voulais pas y croire. Je n’accepterai jamais son départ car il ne méritait pas de connaître une fin aussi atroce», murmure Roubamanee dans un sanglot déchirant.

L’avenir s’annonce très sombre pour cette maman qui souffre de plusieurs complications de santé. «Dans quelques jours, je dois me faire opérer d’une cataracte. Mon mari, atteint de diabète, a pris sa retraite depuis plusieurs années. Avec l’argent qu’il a reçu pour ses années de service dans la fonction publique, il a pu acheter cette maison. Par la suite, c’est mon fils qui a travaillé pour agrandir la maison. Il subvenait aussi à nos besoins car la pension de mon mari ne suffit pas. Maintenant, je ne sais plus comment nous allons nous débrouiller. De plus, la moto que conduisait Selven au moment de l’accident avait été achetée à crédit il y a deux ans. Il reste encore quelques mensualités à payer. Et lui, il n’est plus là. Quoi qu’il en soit, ma vie et celle de mon mari sont détruites à jamais.» Car perdre son unique enfant, c’est un peu se perdre soi-même.

À 24 ans, Selven faisait la fierté de ses parents. «Il était un fils exemplaire. Après le CPE, il avait rejoint le collège Bhujoharry à Port-Louis où il a étudié jusqu’en Form IV. Puis il a commencé à travailler. Il devait reprendre du service début février à Belle-Vue-Harel. Hélas, il a eu ce terrible accident. L’impact a été tel que mon enfant a perdu son pied droit», confie le père de la victime, inconsolable.

À plusieurs kilomètres de là, à St-Julien-d’Hotman, la même tristesse a envahi une autre famille. Celle de Shivajee Rawdojee. Naigu Ramasawmy, 68 ans, pleure toutes les larmes de son corps en repensant au départ tragique de son fils adoptif, dont elle pense qu’elle ne se remettra jamais. Il a été heurté fatalement par un conducteur dont l’alcotest s’est aussi révélé positif. «Il était avec des amis dans la rue le jour du réveillon. C’était quelques minutes seulement après minuit. Et d’un coup, une voiture l’a balayé et l’a projeté sur plusieurs mètres. Ses amis ont accouru pour nous annoncer la nouvelle. Il a été transporté à l’hôpital. Mais il est mort huit jours plus tard», raconte la sexagénaire avec émotion. Pourquoi son fils ? Pourquoi lui ? Ne cesse-t-elle de se demander.

L’épouse de la victime, terrassée par le chagrin, ne sait plus à quel saint se vouer. Cette dernière, que son entourage appelle affectueusement Moun, âgée de 33 ans, a perdu l’homme de sa vie et se retrouve désormais seule pour assurer l’avenir de ses deux enfants, une adolescente de 16 ans et un fils de 11 ans. «Nous sommes une famille modeste. Mon mari travaillait comme chauffeur d’autobus. Alors que moi, je suis employée dans une usine. Ma fille doit prendre part aux examens du School Certificate cette année et mon fils vient de faire son entrée au secondaire. Mon mari était un bosseur. Pour lui, le plus important était l’éducation de ses deux enfants. Maintenant qu’il est décédé, je ne sais plus comment on va faire. Notre malheur est dû à un chauffeur qui aurait consommé de l’alcool», se révolte Moun, consolée par sa belle-mère.

Unies dans la douleur, les deux femmes veulent désormais que justice soit faite. «La loi doit être plus sévère concernant ce délit. Il est trop facile de briser des vies et des familles entières après avoir bu et pris le volant. Mes enfants se retrouvent privés de l’amour de leur père, de son soutien, de tout. Ce n’est pas juste», hurle presque Moun. Ce sera difficile pour elle de vivre sans celui qui était sa moitié depuis de nombreuses années : «Cela fait 17 ans que nous sommes mariés. Mon mari était quelqu’un d’adorable. Il était très populaire dans la localité. Il n’hésitait pas à rendre service à son entourage. Il avait le cœur sur la main. Je ne garde de lui que de bons souvenirs.»

Des accidents fatals privent, encore et encore des familles d’un être cher. En 2013, 136 personnes ont péri dans des circonstances tragiques sur nos routes. En ce début 2014, déjà plusieurs accidents ont enlevé des vies, laissant les proches des victimes dans une extrême souffrance. Des proches qui auront toutes les peines du monde à se reconstruire.

L’avocat Steven Sauhoboa : «Mon client a agi honorablement»

Pour lui, son client, le Dr Sandeep Prayag, a fait «son devoir» après l’impact. «Il a agi honorablement après l’accident car il a tenté de secourir une personne en danger. Il sympathise avec la famille, mais je ne lui conseille pas d’aller la voir car il y a une enquête policière qui est en cours», précise l’avocat Steven Sauhoboa.

Le Dr Sandeep Prayag, accusé d’homicide involontaire : «Je m’associe à la douleur des Pakireepillay»

52 microgrammes. C’est le taux d’alcool relevé dans son organisme – un peu plus du double du taux autorisé à Maurice, qui est de 23 microgrammes – lorsqu’il a été soumis à un alcotest après l’accident mortel de The Vale, le 12 janvier. Lui, c’est le Dr Sandeep Prayag que son entourage appelle Nitin. Âgé de 30 ans et originaire de Rivière-du-Rempart, le médecin a été présenté en cour sous une charge provisoire d’homicide involontaire et de conduite en état d’ivresse. Il a toutefois été libéré sous caution après avoir fourni deux cautions de Rs 20 000

et Rs 10 000. Il a retenu les services

de Me Steven Sauhoboa pour le défendre dans cette affaire.

Visiblement bouleversé par les récents événements, Sandeep Prayag avoue que c’est la première fois qu’il est confronté à une situation aussi pénible. «Je suis très peiné par ce qui est arrivé. Je m’associe à la douleur de la famille de la victime. Car, si j’étais à la place de ce jeune homme, mes parents aussi auraient vécu la même souffrance. Je sympathise avec eux. Mais je tiens à préciser qu’à aucun moment je n’ai pris la fuite après que l’impact a eu lieu», explique-t-il en présence de son homme de loi.

«Je suis médecin, c’est ma profession de sauver des vies. Après l’impact, je suis allé vers la victime, je lui ai parlé, mais je n’ai eu aucune réponse de sa part. J’ai pris son pouls, mais il n’y avait aucune réaction. J’ai aussitôt compris qu’il était décédé. Je suis retourné dans la voiture pour demander au passager qui était avec moi de téléphoner à la police pour l’informer de l’accident. Mais au même moment, les amis de la victime sont arrivés sur place. L’un d’eux a appelé la police. C’est à ce moment seulement que j’ai quitté les lieux car je me suis senti menacé», soutient-il avant d’ajouter qu’il a par la suite été admis dans une clinique du Nord car il souffrait de légères blessures.

«J’ai reçu les soins nécessaires et j’ai ensuite collaboré pleinement avec la police, le lundi 13 janvier, lorsque j’ai été autorisé à quitter la clinique.» Le Dr Prayag n’a pas voulu revenir sur les circonstances

de l’accident ni sur le fait que son alcotest était positif.

Le médecin, qui exerce à l’hôpital du Nord, œuvre également dans le social. Président fondateur du Rotaract Club de Rivière-du-Rempart, membre exécutif de la Blood Donors Association ou encore membre de Bénévoles sans frontière, il bénéficie, dit-il, du soutien de sa famille et des habitants de son quartier pour surmonter cette épreuve.

À La Preneuse 

Madeline et ses trois filles pleurent la disparition de Gino Peres

Homme au grand cœur, il ne refusait visiblement rien (ou presque) à personne. Et lorsque sa petite nièce lui a demandé un beau matin de la conduire à l’école, il a gentiment accepté. Et depuis, c’était devenu tout simplement une habitude pour lui de déposer la petite, qui l’appelait d’ailleurs «Papi», à l’école chaque jour.

Mais le 15 janvier, alors qu’il rentrait chez lui après s’être acquitté de cette tâche, Gino Peres a été victime d’un terrible accident. Il est entré en collision avec une voiture sur la route Royale à Rivière-Noire. L’homme de 44 ans est mort sur le coup. La conductrice de la voiture, une habitante de Floréal, âgée de 24 ans, a été testée négative à l’alcotest.

Depuis le drame, Madeline, 41 ans, et ses trois filles âgées de 21, 16 et 14 ans, sont terrassées par la douleur. «Nous comptons 22 ans de mariage, confie Madeline d’une voix empreinte de chagrin. Et c’est la première fois depuis notre mariage que nous sommes séparés. Nous étions un couple heureux et vivions en parfaite harmonie. Mais il ne nous a pas laissées complètement dans le vide. Il était un bon vivant et nous a légué sa joie de vivre. On s’y accroche pour avoir la force de continuer sans lui.»

Madeline, entourée de plusieurs de ses proches, poursuit péniblement. «Il adorait le séga. D’ailleurs, c’est lui qui était à chaque fois sollicité pou tap ravann. Sa grande passion était la mer et la guitare. Il faisait tout pour sa famille. Il travaillait comme menuisier à son compte, à domicile. D’ailleurs, il devait réaliser quelques commandes.» Gino Peres laisse derrière lui des proches qui le pleureront encore longtemps.

La Traffic Branch Unit appelle à la responsabilité des automobilistes

Du 23 décembre 2013 au 15 janvier 2014, 119 personnes ont été testées positives à l’alcotest. Alors que 6 500 cas d’excès de vitesse ont été enregistrés. Mais ces chiffres sont loin de traduire la réalité car bon nombre de conducteurs continuent à conduire de manière irresponsable sans se faire attraper. Quoi qu’il en soit, une source de la Traffic Branch Unit tire une fois de plus la sonnette d’alarme.

«Chaque automobiliste doit faire preuve de responsabilité et de discipline en respectant le code de la route», précise notre interlocuteur. Il avance, par ailleurs, que ce sont les motocyclistes qui sont davantage exposés aux dangers. «Ils sont vulnérables de par la dimension de leur véhicule. Donc, ils doivent redoubler de vigilance, porter leurs gilets et être attentif sur la route. Il faut respecter la limitation de vitesse et en temps de pluie ou de brouillard, il faut toujours ralentir pour éviter un quelconque accident», ajoute notre source.

Selon elle, une personne impliquée dans un cas d’homicide involontaire lors d’un accident est passible d’une amende allant de Rs 10 000 à Rs 25 000, et d’une peine d’emprisonnement ne dépassant pas six mois si elle est trouvée coupable en cour pour une première fois ainsi que la suspension de son permis de conduire pour une durée ne dépassant pas huit mois. «Mais si la même personne est impliquée dans un accident ayant causé mort d’homme pour la deuxième fois, et reconnue coupable en cour, elle est passible d’une amende située entre Rs 20 000 et Rs 50 000, et d’une peine d’emprisonnement ne dépassant pas 12 mois ainsi que la suspension de son permis pour une durée de 12 mois ou plus», indique notre source à la Traffic Branch Unit.

En ce qu’il s’agit de la conduite en état d’ivresse ayant causé mort d’homme, notre interlocuteur précise que la personne est passible d’une amende variant entre Rs 25 000 et Rs 50 000, et d’une peine d’emprisonnement ne dépassant pas trois ans. Alors que son permis, lui, sera suspendu pour une période de deux ans.

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