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Ah Sin Ah Yan

Sa belle vie de boutiquier

7 mai 2025

C’est entouré de tous ses proches qu’Ah Si Ah Yan a fêté ses 100 ans. Le député Farhad Aumeer était présent pour l’occasion.

Une grande partie de sa vie, il l’a écrite dans sa petite boutique à l’angle des Avenues Belle-Rose et Poivre à Quatre-Bornes. Si l’histoire avait commencé le 1er mai 1961, il a pris sa retraite des années plus tard, soit le 14 juillet 2006, alors qu’il était âgé de 81 ans. À 100 ans, célébrés le 1er avril dernier, il est aujourd’hui un exemple de force et de courage pour tout son entourage...

C’était une autre époque… C’était le temps où les supermarchés n’étaient pas à la mode... Une période où les boutiques faisaient partie du paysage mauricien, et cela, aux quatre coins de l’île. Là-bas, les Mauriciens se ravataillaient au mois, à la semaine, ou même au quotidien. Là-bas, les karne rasion étaient de rigueur, et en ces lieux très particuliers, on pouvait acheter 1/4 delwil, 1/4 lapoud dile, enn bout pwason salé ou encore 1/2 liv dholl, entre autres. Et souvent, ces achats se faisaient à crédit, car les consommateurs, avec l’accord du boutiquier, pouvaient payer plus tard. 

Tout cela a été le quotidien d’Ah Sin Ah Yan pendant des années. Car c’est avec sa petite boutique, Ah Sin Ah Yan Store, aux grandes portes rouges, qu’il a fait, pendant longtemps, partie de la vie des habitants de Belle-Rose, à Quatre-Bornes. Et c’est ainsi qu’il a accompagné bien des personnes dans leur vie de tous les jours. Dans sa petite boutique, où on trouvait de tout ou presque, il y avait une ambiance, une façon de faire, et un esprit qui a fait partie du décor de Belle-Rose durant des décennies.

Et alors qu’Ah Sin Ah Yan, vient de fêter ses 100 ans, ils sont nombreux à lui avoir rendu hommage et à avoir replongé dans ces années durant lesquelles ils vivaient au rythme de l’Ah Sin Ah Yan Store. Cet anniversaire très spécial a d'ailleurs été l’occasion pour tout l’entourage d’Ah Sin Ah Yan de célébrer sa vie, son parcours et son histoire. Une belle fête qui a eu lieu le dimanche 30 mars. «Il est né le 1er avril 1925, à Maurice, et est parti en Chine très jeune, avec ses parents, avant de retourner dans son île natale en juillet 1949, sans ses parents alors décédés et fuyant la guerre civile entre les communistes de Mao et les nationalistes de Chiang Kai Shek. Il fut accueilli par la famille Hip Po Man à Beau-Bassin pour son apprentissage commercial jusqu’à ce qu’il se mette à son compte», nous raconte Linda Ah Yan, la belle-fille de l’ex-boutiquier. 

C’est le 1er mai 1961 qu’Ah Sin commence sa belle aventure à Belle-Rose lorsqu’il décide d’y ouvrir son petit commerce. «Il y fonda une famille avec Kim Chin Wong Soo Foo, aujourd’hui disparue. De cette union naquirent trois filles et un fils. Avec son épouse, Ah Sin travaillait nuit et jour et les week-ends pour se faire un nom parmi les résidents des avenues Belle-Rose et Pierre Poivre», poursuit Linda en revenant sur l’histoire de son beau-père qui était vite devenu populaire dans la région : «Il était très connu pour sa disponibilité à servir les clients très tôt le matin bien avant l’heure réglementaire de 7 heures du matin. Sa gentillesse, son dévouement à un service parfait et son affabilité envers sa clientèle étaient bien connus de son quartier. Il n’hésitait pas à livrer à bicyclette les courses aux domiciles de ses clients, surtout en fin de mois quand ceux-ci venaient "faire leur ration" et régler leur "compte crédit" du mois précédent. Tous les gens des environs de Belle-Rose étaient unanimes à reconnaître son niveau de service grâce à son approche humaniste et quasi confucéenne envers autrui», poursuit Linda. Ah Sin était aussi un homme d’affaire hors-pair. «Tout en donnant du crédit aux personnes sur une base sélective, il savait gérer son cash flow pour leur faire payer à l’échéance convenue. Et s’il y avait du retard, il trouvait le mot juste envers les retardataires. Pas un mot déplacé et pas de mot agressif. Arrivées les fêtes de fin d’année, il offrait en cadeau des calendriers personnalisés au nom d'Ah Sin Ah Yan Store et aux plus méritants, des bouteilles de jus d’orange ou de vin Cordon Rouge, Eureka et La Clé pour les top 3. Il savait faire de la fidélisation et c’était cela son marketing à lui !» raconte Linda. 

100 ans et en forme

Les années se sont ainsi succédé et Ah Sin n’a eu de cesse de s’adapter pour faire face aux changements et à la façon de consommer des Mauriciens. Mais voilà, à un moment, il lui a fallu prendre la décision de s’arrêter. «Ah Sin a pris sa retraite définitivement à l’âge de  81 ans le 14 juillet 2006 après de bons et loyaux services envers la communauté qui était triste de son départ de Belle-Rose. Il est alors allé vivre avec son fils à Pailles pour s’occuper de son petit-fils Brandon, qui venait de naître en 2006. Qu’à cela ne tienne, il s’occupe toujours de sa fille, Ah Siew, aujourd’hui âgée de 60 ans, née avec un handicap mental, et cela, depuis la mort de son épouse Kim Chin en juillet 2013», confie Linda.

Elle ne peut cacher son admiration pour celui qui est un exemple pour tous les membres de la famille. «Quel bel exemple d’abnégation, d’amour et de persévérance pour un papa de 100 ans qui s’assure que sa fille ne manque de rien. Faut le faire à cet âge ! Jouissant toujours d’une parfaite santé et d’une autonomie sans pareil à cet âge très avancé, il a toujours la capacité et le mental de cuisiner pour la famille, de lire les journaux sans l’aide de lunettes, d’aller au supermarché du coin, de suivre le JT de 19h30 chaque soir, de faire du jardinage, de laver ses vêtements sur la roche, de s’occuper de son toutou adoré Pipo, tout en lui cuisinant des morceaux de poulet, de prendre le bus ou le taxi selon son humeur, de suivre les matchs de foot de la Premier League, en supportant en particulier Manchester Utd, son équipe favorite, sans oublier ses discussions autour de la politique locale avec son fils.» 

Si Ah Sin savoure le bonheur d’avoir aujourd’hui 100 ans et d’avoir pu les fêter avec sa famille, c’est surtout grâce à son mode de vie irréprochable. Fort et gai, il ne laisse pas la vieillesse prendre le dessus. Et lors des festivités pour ses 100 ans, sa force a impressionné plus d’un. «En plus de ses activités, il a toujours été un adepte de la nourriture saine et nutritive. Il faisait de sorte que sa famille ait une alimentation vraiment équilibrée avec des produits frais en allant au marché quatre fois la semaine sur sa bicyclette, à Rose-Hill, les mardis, à Quatre-Bornes, les mercredis et samedis, et à la foire de Belle-Rose, les dimanches. On ne sait d’où il puise son énergie mentale et physique. Malgré son ouïe légèrement diminuée, il est vraiment un personnage qui a toujours pratiqué la culture du dévouement au travail, l’intégrité, la droiture, les valeurs familiales très fortes, les cultures ancestrales, le respect mutuel, car il est toujours membre de la Société Ip qui regroupe les membres de la communauté chinoise du clan Ip, sis au siège social, à la rue Emmanuel Anquetil, ex-La Rampe, dans le China Town. Auparavant, il y allait chaque jeudi en début d’après-midi lorsqu’il fermait sa boutique pour aller renflouer son stock de marchandises à la rue La Reine chez les grossistes habituels tels How Tai Wah, Ip Min Wan et autres, pour les déposer au club/société, en attendant la disponibilité du camion habituel en fin d’après-midi, qui venait prendre les marchandises après pour les déposer à sa boutique à Belle-Rose le même jour ou le jour suivant. Si le camion était indisponible le même jour, il en profitait alors pour lire les journaux de l’époque en langue chinoise : le Chinese Daily News, le China Times ou The Mirror, ou jouait aux cartes ou au mahjong avec les Ip tout en buvant le thé chinois à profusion», précise Linda en poursuivant sa belle histoire.

Sa petite boutique faisait partie du paysage de Belle-Rose, à Quatre-Bornes.

«C’est de là, on pense, qu’il puise son inspiration d’entraide, de fraternité et de respect à autrui pour prôner ses valeurs très fortes dans la famille et ses clients. Il rend toujours hommage à cette institution dont il a été un des membres fondateurs en 1970 et qui fêtera ses 55 ans d’existence très bientôt. Quoi dire de ce père et grand-père vraiment exceptionnel, qui a continué à inspirer la vie des autres et qui le fait encore. Son très long voyage n’est pas près de se terminer. D’une générosité légendaire et pour l’amour du prochain, il n’hésite pas à mettre ses talents de chef au profit de ses voisins, parents, amis, collègues, et de ses enfants à une semaine de chaque Nouvel an chinois en confectionnant le fameux gâteau la cire et le très recherché gâteau zinzli au riz gluant. Farouchement respectueux des traditions, Ah Sin est passé maître en la matière, car il se met aux fourneaux pendant de très longues heures surveillant l’intensité du feu et le degré de cuisson pour le gâteau la cire. D’une simple recette d’un vieil ami d’enfance de Chine, il  est parvenu, à travers des décennies, à parfaire cette recette, qu’il a déjà transmise à ses proches, en y mettant sa touche personnelle», ajoute Linda pleine d’émotion. 

Son anniversaire, il y a quelques semaines, a été un vrai moment de célébration pour toute la famille. «Ses petits-enfants lui ont remis un diplôme, car il a dit que pour avoir atteint l’âge de 100 ans, il se sentait comme un lauréat. Il a aussi reçu une médaille et une coupe, car il adore regarder les matchs de football à la télé. On est extrêmement fiers et heureux qu’un membre de la famille puisse atteindre cet âge vénérable qui n’est pas donné à tout le monde. Pour nous, c’est un privilège. On s’inspire de sa vie exemplaire qui continue de nous impacter dans notre quotidien. Pendant mon discours, lors de la fête, j’avais demandé aux invités combien avaient déjà assisté à un anniversaire de 100 ans et seulement 9 personnes sur 110 avaient levé la main. La plupart des invités disaient que c’était la première fois qu’ils voyaient une personne de 100 ans. Donc, on est très fiers de lui et surtout qu’il soit en parfaite santé», conclut Linda Ah Yan, avec beaucoup d’admiration pour son beau-père qui vient de franchir une nouvelle étape de sa belle et longue vie...

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