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Trèfles

Un centre rénové pour rallumer l’espoir

26 septembre 2025

Cet après-midi-là, quand nous prenons la route vers Trèfles, nous devons nous armer de patience. La chaussée est étroite, le flot de véhicules incessant… On avance au ralenti, les coudes serrés sur le volant. Un peu perdus, nous demandons notre chemin. Une dame, sourire aux lèvres, nous lance : «Be ou deza dan Trèfles-la mamzel !» Bienvenue dans ce quartier de Rose-Hill, dense et vivant, où les croisées servent de GPS et où tout le monde connaît tout le monde. Au bout du chemin, le nouveau centre de jeunesse trône fièrement, fraîchement rénové. À côté, la vue donne sur le flanc de la montagne Corps de Garde : terrain de basket, espace pétanque et, surtout, des rires qui s’échappent de la grande salle. L’inscription «Sant Zeness Trèfles» s’illumine, soulignée par les contours des lumières LED. À l’intérieur, le carrom fait fureur : les doigts claquent, les pions volent. Un peu plus loin, c’est baby-foot et bonne humeur. On nous invite même à faire une partie. L’ambiance est dynamique, presque électrique… mais toujours bon enfant. Ici, à Trèfles, les générations se croisent : des aînés qui craignent pour l’avenir de la jeunesse, des enfants toujours dans l’insouciance, trouvant dans ce centre une échappatoire pour rire et s’amuser l’espace de quelques heures. Nous avons flâné avec ces seniors qui nous ont raconté leur quartier, à une époque où la sécurité n’était même pas un sujet, puis discuté avec ces zanfan landrwa qui veulent, à leur manière, faire bouger et progresser les choses. Et au milieu de tout ça : ces petits, heureux tout simplement de jouer, de courir, de vivre. Immersion.

Appuyée à son portail, Anne-Marie Natchedy papote avec sa voisine. Curieuse et souriante, elle nous partage son vécu. «Il y a 45 ans, j’ai eu cette maison de la NHDC à Cité Trèfles. À l’époque, c’était bien tranquille. En face, il n’y avait que des champs de canne. Je me souviens encore quand on faisait la queue pour l’eau au seul robinet de l’impasse d’à côté. Kan ou tann son seo pe rempli, ou degaze leve… parfois à 3 heures du matin ! Lavi ti sinp !» Mais les choses ont bien changé : «Aujourd’hui, il y a du tapage, beaucoup de va-et-vient, les voitures qui défilent… On a perdu cette tranquillité. Les jeunes n’ont plus de respect pour les aînés.» Elle a entendu parler de la rénovation du centre de jeunesse : «C’est bien, j’espère que ce sera une vraie occupation pour les jeunes. Mo tann dir pou ena lexersis osi. Mo pou ale, mo ava seye pou gard mo lasante.  Je veux dire aux jeunes de se ressaisir. Pa pans zis ladrog, me osi zot fami kar se zot ki plis soufer.»

À la rue Corps de Garde, c’est à la supérette Ti Baz Carry que nous rencontrons celui qui a vécu 40 ans à Trèfles. «Landrwa-la korek, me zis sa sintetik-la kinn gat nou repitasion !» lance Mario Eole, visiblement affecté. «Je suis triste, car après tout, ces jeunes ne sont que des victimes d’un engrenage infernal dont on ne voit pas le bout. Même si ce n’est qu’une poignée de personnes, cela rejaillit sur nous tous.» Il se souvient d’un autre temps : «Autrefois, on vivait paisiblement, on n’entendait parler que de gandia… c’était une autre génération. Heureusement, malgré tout, le quartier a encore gardé ce sens de solidarité. Kan ena enn problem ou enn mortalite, nou tou marye-pike ! Le voisinage reste soudé.» Présent à l’inauguration du centre fraîchement rénové, il salue l’initiative : «Cet espace était abandonné, sans activité pendant près de 10 ans. Je pense que ça a contribué à la dérive de certains jeunes. Je dis bravo à Deven Nagalingum, Karen Foo Kune et Paul Bérenger. Le centre est grand, joli, bien aménagé. Il y a de tout pour motiver les enfants : terrain de pétanque, foot, et c’est ouvert jusqu’à tard. J’espère qu’il y aura un vrai soutien pour accompagner ces jeunes… et pourquoi pas des activités pour les aînés aussi ! Avec de la bonne volonté, on peut vraiment redonner un nouveau souffle à Trèfles. Il faut inculquer l’amour du sport dès le plus jeune âge… et aussi celui de la lecture. Zordi, zeness zis lor portab !» ajoute-t-il, avec un petit rire.

«J’avais 5 ans quand on a emménagé ici. Monn konn isi bwa. Ti pe al zwe football ek petang lor terin sarbon. Tou zenn ti ansam !» Steeven Chengebroyen se souvient avec émotion d’un Trèfles où les plaisirs simples animaient le quotidien. «À 14 ans, je fréquentais le centre, surtout pendant les activités "Special Vacances". Mais pendant presque 10 ans, il est resté fermé… et les jeunes ont été livrés à eux-mêmes.» Aujourd’hui, il salue la rénovation du centre, mais souligne un manque : «Il y a des activités, mais pas de coachs. J’ai une licence de bouliste, j’ai postulé car j’ai remporté plusieurs compétitions locales et régionales. En fin d’année, je pars à La Réunion pour un tournoi. Malheureusement, je n’ai toujours pas eu de retour.» En attendant, il agit à sa façon : «Je ne lâche pas ces jeunes. Chaque après-midi, ils viennent me chercher pour que je les coache. Ils veulent apprendre, comprendre, progresser. Je leur explique les règles, je joue le rôle d’arbitre quand il y a des matchs, je les guide. Ils ont besoin d’un repère. Quelqu’un pour les encadrer. Car oui, nous avons le terrain… mais pas les boules ! Alors je leur prête mes équipements. Je donne de mon temps, bénévolement.  Même des personnes âgées, victimes d’AVC, viennent lancer quelques boules de pétanque comme une forme de rééducation. Ça leur fait du bien.  Je souhaite que ce centre reste durable, et que ceux qui veulent travailler dans l’intérêt des jeunes aient enfin la possibilité de le faire.»

C’est un parfum d’épices grillées qui nous attire quand nous croisons Jay Kundasamy. En pleine partie de dominos avec son ami, un gros karay trône parmi les sacs d’épices. «Ça fait cinq ans que je fais du massala», dit-il en souriant, tout en nous invitant à nous asseoir. «Quand j’ai pris ma retraite de la NTA, je pensais mener la belle vie sans rien faire. Mais je suis tombé malade, trop de stress. Mon médecin m’a conseillé de reprendre une activité. Le lendemain, j’ai marché de Trèfles à Rose-Hill. Ça m’a fait un bien fou. Un ami m’a proposé de me lancer dans le massala… et ainsi est né Massala Nadess (Manee).» Un projet de cœur, qu’il décrit avec passion : «C’est un travail minutieux, où chaque gramme compte. Kan ou kwi mo massala, ena enn parfin ki leve, ek pa dan tou massala ki gagn sa !» dit-il avec fierté. Et le centre dans tout ça ? «C’est bien de l’avoir réanimé, mais j’avoue que je n’y vais pas… j’ai peur. Ena enn distans ant zenn ek vie akoz ladrog ! Il aurait fallu penser à un petit coin pour les seniors aussi. D’ailleurs, depuis quelque temps, ma boutique est devenue comme un club du 3e âge : de 17 heures à 20 heures, on discute, on joue aux dominos. Si tir sa ladrog-la, tou pou retourn ala normal… me mo kone li pa pou fasil. Malgré tout, c’est bien que certains jeunes se tournent vers le sport.»

Attention au finish !

À peine inauguré le 30 août, ce terrain flambant neuf, joyau du centre de jeunesse de Trèfles, attire déjà les mordus de sport. L’ambiance déborde d’énergie en cette fin d’après-midi : un demi-terrain pour le basket, l’autre pour le street foot. Les tirs fusent, les passes s’enchaînent, et les blagues aussi ! On se laisse même tenter par une partie improvisée… Résultat : deux paniers à deux points, rien que ça ! Mais derrière les rires, un hic subsiste : des vis mal fixées et quelques clous qui dépassent du revêtement synthétique. Un garçon, blessé en jouant pieds nus, nous montre ses pansements… avant de repartir sur le terrain, cette fois en chaussettes et savattes. Ce sont d’ailleurs les jeunes eux-mêmes qui ont commencé à enlever les vis dangereuses, petit à petit. Un terrain superbe, mais qui mériterait un meilleur suivi technique. Pour que plaisir ne rime pas avec blessure.

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