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Clifford Esther : Le jour où ma vie a basculé

22 mars 2015

Il dit être un miraculé qui a vu la mort de près.

Il n’a qu’à fermer les yeux. Et il s’y revoit. Il se souvient de tout ou presque. Du bruit, du réveil en sursaut aux petites heures du matin, du groupe d’hommes armés qui est rentré chez lui, du coup qu’il a reçu sur la tête, du pistolet qu’on lui a mis dans la bouche. Puis, plus rien ! C’est le black-out.

 

C’était le 5 mars 1982. Quelques semaines plus tard, Clifford Esther, alors âgé de 22 ans, se réveille sur un lit d’hôpital. Il ne se souvient plus trop de ce qui est arrivé, mais il comprend tout de suite que quelque chose ne tourne pas rond. Il ne voit plus de l’œil gauche alors que la vue de son œil droit a beaucoup diminué. Son bras droit est paralysé et il ne sent plus une de ses jambes. Il apprend alors, par l’un de ses proches, qu’une balle lui a traversé la tête.

 

«C’est l’histoire de toute ma vie. Le jour où tout a basculé pour moi. Depuis, plus rien n’est pareil», nous confie Clifford Esther, 55 ans, en faisant référence à ses handicaps. Se déplaçant avec difficulté et ayant, par moments, des problèmes pour communiquer, Clifford a tout de même fait de son histoire une force pour lutter et épauler, dit-il, tous ceux qui dénoncent la brutalité policière : «Je suis une victime, je ne méritais pas ce que j’ai vécu.»

 

À l’époque, cette affaire défraie la chronique. La presse parle de cette opération policière à Rivière-Noire sur fond d’une histoire de hold-up, le 24 février 1982, durant laquelle trois personnes avaient braqué le convoyeur du salaire des employés du Central Electricity Board. Mais Clifford Esther, lui, n’a jamais cessé de clamer son innocence, en disant «qu’il n’a jamais été impliqué dans un quelconque braquage» et qu’il est tout simplement victime d’un complot.

 

«Histoire d’amour»

 

Son crime, dit-il, c’est qu’à l’époque il aimait une femme, que «cette histoire d’amour dérangeait», qu’on a voulu l’«intimider», et qu’à cause de la balle qu’il a reçue, il n’a jamais pu reprendre le cours normal de sa vie : «Je n’ai participé à aucun hold-up et je n’ai rien fait de mal.» Depuis, il n’a cessé de réclamer justice et une compensation financière pour «cette bavure policière» qui l’a rendu handicapé. Toute cette histoire est pour lui comme un cauchemar : «Je n’ai jamais compris pourquoi on s’acharnait sur moi. J’ai la conscience claire. Je n’ai rien à me reprocher et malgré le temps qui passe, j’attends toujours des réponses.»

 

Avant ce drame, raconte-t-il, il était quelqu’un qui débordait de projets, qui filait le parfait amour, qui était en bonne santé et qui était sur le point d’ouvrir son business de soudure. Mais tous ses plans sont tombés à l’eau : «Je n’ai jamais pu reprendre le dessus. Déjà que j’ai dû passer énormément de temps à l’hôpital pour me remettre et pour pouvoir recommencer à me tenir debout et marcher. Aujourd’hui encore, le fait de boiter m’est toujours très pénible et je vis grâce à une pension que je touche.»

 

Sa mère, Marie-Lourdes, se rappelle aussi de ces épisodes noirs : «J’étais en Angleterre quand j’ai appris ce qui était arrivé à mon fils. J’ai tout de suite sauté dans un avion pour le rejoindre.» Et une fois à son chevet, c’est le choc : «J’ai encore en mémoire l’horrible état dans lequel il était.» Puis, il lui a fallu accompagner son fils pour qu’il remonte la pente. Ce dernier, papa de cinq enfants (il a refait sa vie) qui se décrit comme un battant, avait pu trouver de l’emploi au sein du Trust Fund for Disable Persons : «J’ai essayé de garder la tête hors de l’eau même si cela n’a pas été facile.»

 

Son drame, il l’a aussi raconté dans le livre Clifford Esther plus qu’un martyr ! écrit par Sedley Assonne qui revient sur ce drame qui le hante depuis. 

 

Questions à… Sedley Assonne

 

Pourquoi avoir accepté d’écrire un livre sur l’affaire Clifford Esther ?

 

Le hold-up du CEB en 1982 avait fait grand bruit et pratiquement tous les Mauriciens connaissent cette histoire. Quand Clifford Esther a eu l’idée d’écrire un livre pour raconter ce qu’il avait vécu, il avait contacté deux journalistes qui avaient refusé sa proposition. Quand Clifford Esther m’a approché, je n’ai pu refuser, car pour moi, c’est le cas le plus flagrant de brutalités policières à Maurice. À l’instar des veuves Ramlagun et Kaya, qui ont reçu des compensations, Clifford Esther mérite aussi d’être compensé pour préjudice causée et ce drame qui a changé toute sa vie. Je me souviens très bien du lancement du livre. À l’époque, le ministre Dulull et Rama Valayden, qui était Attorney General, étaient présents. Ils avaient promis que son cas allait être suivi de près, mais des années plus tard, la victime attend toujours.

 

Vous souvenez-vous de votre rencontre avec Clifford Esther ?

 

J’ai été très choqué. J’ai rencontré un homme diminué à qui on avait volé sa jeunesse. Il faut que l’État le compense. Quand j’ai écrit son livre, il était hors de question que je me fasse de l’argent sur son dos. Je lui ai cédé tous les droits du livre. Toutefois, je suis triste de savoir que certaines personnes malhonnêtes vendent le livre au noir. J’ai dénoncé cela et je souhaite vraiment qu’on trouve qui sont ces personnes.

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