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24 février 2015 13:14
Lorsque nous les contactons au téléphone dans le cadre d’un article sur les 16 ans des émeutes de 1999 et de la mort de leurs pères respectifs, ils ne sont nullement surpris. Comme chaque fois à cette période de l’année, Azaria Topize et Bernard Agathe s’attendaient aux appels des journalistes pour, disent-ils, répéter inlassablement la même chose. Ils sont fatigués, confient-ils, de replonger systématiquement, une fois par an, dans ce douloureux passé, d’évoquer toujours les mêmes épisodes et les mêmes souvenirs.
Cette année, contrairement à la précédente qui avait vu la tenue d’un concert-hommage au chanteur Kaya, il n’y a rien de prévu. Azaria, le fils du célèbre seggaeman, âgé de 24 ans, s’est rendu au cimetière de Roche-Bois, où est enterré Kaya, pour déposer des fleurs sur sa tombe et lui rendre hommage. De son père, bien sûr, il garde un bon souvenir. Cependant, contrairement aux médias qui parlent de Kaya chaque 21 février, pour Azaria et sa famille, il est présent dans chaque moment de leur vie. Au fil des années, Azaria a appris à vivre avec son absence et son souvenir. «Nous sommes fatigués de toujours devoir dire la même chose. Je pense qu’au lieu de revenir sur les années passées, il faudrait reconnaître son œuvre musicale et trouver les moyens de faire vivre l’héritage culturel qu’il nous a laissé.»
Il y a 16 ans, le pays vivait l’un des pires moments de son histoire. C’était le 21 février 1999, à la suite de la mort du chanteur Kaya, retrouvé sans vie dans sa cellule après son arrestation, quelques jours plus tôt, pour avoir fumé du gandia sur scène lors d’un concert à Rose-Hill. Ce soir-là, les esprits s’étaient échauffés et plusieurs quartiers s’étaient enflammés. Pendant une semaine, le pays était en proie à des émeutes à caractère communal. Plusieurs commerces et maisons avaient été ravagés. Au cours de ces événements, plusieurs personnes – le sergent de police Deven Sunnassee, Michel Laurent, 21 ans, et Nirmal Ghoostia, 19 ans – ont perdu la vie. Mais aussi un autre chanteur rasta, le seggaeman Berger Agathe du groupe Ovajaho, tué par un policier. À l’époque, Bernard, le fils du chanteur, avait seulement 9 ans. Il se souvient d’avoir passé la journée avec son père la veille du drame. Une journée normale qui est devenue son plus grand souvenir.
Comme Azaria, lui aussi est las d’évoquer inlassablement ces événements tragiques. «Pour nous, rien n’a changé. Notre vie est restée la même. Les journalistes vont nous appeler, comme tous les ans, pour nous poser les mêmes questions», souligne Bernard. Il a l’impression que son histoire est comme un livre qu’on ouvre et qu’on referme une fois l’an : «Bien sûr que si mon père était là, notre vie aurait été meilleure. Nous n’aurions peut-être pas manqué d’autant de choses dans la vie. L’éducation aurait été plus présente aussi dans nos vies. Mais que voulez-vous ? C’est comme ça et je m’y suis habitué.»
Le jeune homme ressent surtout un sentiment d’amertume et d’injustice, car il est désormais habitué à se débrouiller seul dans la vie : «Heureusement, je ne suis pas tombé dans une mauvaise vie. Je suis footballeur et je fais de mon mieux pour avoir une vie décente.» Lorsque son père a été tué, sa mère s’est retrouvée seule à devoir s’occuper de lui et de ses sœurs. Outre le chagrin immense causé par cette perte, il a fallu se battre pour pouvoir garder la tête hors de l’eau. Parce que, dit-il, jamais sa famille n’a reçu d’aide : «À l’époque, de nombreuses personnes, bien placées et qui sont souvent au-devant de la scène, nous avaient promis de l’aide. Mais celle-ci n’est jamais arrivée.»
Plus qu’une aide financière, la famille de Berger Agathe a, plusieurs fois, fait appel à la justice pour que la lumière soit faite sur sa mort. Mais aucune de leurs actions n’a abouti. Ce n’est pas pour autant que Bernard compte baisser les bras. Il a, dit-il, toujours aussi soif de justice.
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