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25 ans après le triple assassinat de la rue Gorah Issac - Swaleha Joomun : «Le sang de mon époux a entaché l’histoire»

2 novembre 2021

La veuve de Babal Joomun vit en Angleterre depuis le 25 janvier 2003.

Celle que beaucoup décrivent comme «la veuve au caractère d’acier» n’a toujours pas jeté l’éponge. Elle cultive son côté rebelle. Et sa franchise et son dévouement n’ont pas pris une seule ride malgré toutes ces années passées. Swaleha, la veuve de Babal Joomun, est restée infatigable dans sa quête pour obtenir justice pour son époux assassiné par balles à la rue Gorah Issac, le 26 octobre 1996, alors qu’il était en compagnie de son fidèle ami Zoulfekar Beekhy et de Yousouf Mourad.

 

Ce drame est survenu à la veille des élections municipales. Ces trois activistes de l’alliance PTr-MMM rentraient chez eux au moment de la fusillade mortelle. «Le sang de mon époux a entaché l’histoire. Ceux qui sont derrière ce crime crapuleux ont entaché leur carrière avec le sang de mon époux», martèle Swaleha Joomun qui ne fait pas dans la langue de bois. La veuve de l’ancien activiste politique vit toujours en Angleterre où elle s’est exilée avec ses trois filles Rushda, 30 ans, Lubnaa, 28 ans, et Haifaa, 26 ans, depuis de nombreuses années.

 

La benjamine, dit-elle, n’avait que 2 ans lorsque son père a été assassiné sauvagement. «Elle n’a pas connu son père. Toutefois, quelque part, toute cette histoire est aussi une blessing in disguise», dit-elle. Car même si elle a dû quitter le pays à l’époque parce qu'elle craignait pour la sécurité de sa famille, cela lui a permis de comprendre que ses racines à Maurice n’étaient pas si solides que ça. «L’air que je respire maintenant n’est pas suffocant», précise Swaleha.

 

Une vie tranquille

 

Après le drame de Gorah Issac, elle ambitionnait de sortir un livre mais elle a renoncé à ce projet. «J’avais une idée en tête en pensant à un livre mais je ne crois pas que les gens à Maurice vont pouvoir digérer ce que j’ai à dire. Et puis, mes filles sont plus qualifiées que moi en matière d’écriture. Mon aînée fait son doctorat. Elle écrit sa thèse en ce moment. La cadette fait également des études supérieures à l’université», confie Swaleha Joomun qui est l’heureuse grand-mère d’un petit garçon depuis neuf mois.

 

Sa vie au pays de Sa Majesté, elle l’a toujours décrite comme simple avec ses filles et maintenant ses gendres et son petit-fils, avec qui elle coule une vie tranquille. «J’ai 55 ans et j’ai le luxe de faire ce qui me plaît. Je suis très fière de mes filles», précise Swaleha. Aujourd’hui, Maurice, sa terre natale n’est plus qu’une destination exotique pour les siens. «J’ai été déçue par des gens en qui j’avais confiance. On m’avait déshumanisée. Il ne sert à rien de penser à mon pays de cœur désormais», dit-elle.

 

Elle avait 30 ans lorsqu’elle est devenue veuve contre son gré. Depuis le jour fatidique, elle remue ciel et terre pour connaître la vérité et réclamer justice. Et pour y arriver, elle a usé de tous les moyens possibles : circuler dans la voiture criblée de balles dans laquelle se trouvait son époux, organiser des réunions publiques, rédiger des lettres ouvertes, se porter candidate aux élections de 2001 avant de se désister ou encore contracter le nikah (mariage religieux) avec Asif Polin et Raffick Goolfee.

 

Ses filles et elle sont marquées à vie par ce drame mais leur résilience leur permet de continuer d’avancer malgré tout. Toutefois, des questions restées sans réponse irritent toujours Swaleha Joomun. «Qui a fourni les armes ?» se demande celle qui veut toujours connaître la vérité sur l’affaire Gorah Issac. Elle cache difficilement son ras-le-bol concernant tout ce qui a été dit jusqu’ici sur cette affaire. Elle en veut aussi à la police qui n’a jamais pu retracer le/s propriétaire/s des armes à feux.

 

«C’est incroyable. 25 ans plus tard, la police ne sait toujours pas à qui appartiennent les armes utilisées pendant cette fusillade mortelle. Les armes à feu ne sont pas vendues à tous les coins de rue. Je suis très déçue que toutes les enquêtes n’aient jamais abouti», déplore Swaleha Joomun. Le fait d’avoir changé de destin en quittant Maurice ne signifie nullement abandonner son combat. Il lui faut savoir ce qui s’est passé et que les responsables soient désignés pour pouvoir compléter son deuil.

 

 


 

Nasser, le frère de Zoulfekar Beekhy : «Notre famille n’arrive toujours pas à faire le deuil»

 

Il n’a jamais pu digérer le décès tragique de son frère aîné. Nasser, le frère de Zoulfekar Beekhy, une des victimes du triple assassinat de la rue Gorah Issac, n’est d’ailleurs pas le seul à vivre avec un cœur torturé de colère et de tristesse. «Notre famille n’arrive toujours pas à faire le deuil. Justice n’a pas été faite, alors qu’il s’agit du plus grand crime politique qu’a connu le pays», scande cet habitant de Vallée-Pitot qui se demande toujours «à qui profite ce crime». Ce qui agace le plus Nasser Beekhy, c’est le fait que des assassins de son frère n’aient jamais été jugés. On se souvient d’ailleurs qu’Islam Pakistanais, l’un des membres de l’Escadron de la Mort, avait pu quitter le pays en douce à l’époque. Ce qui avait attisé les soupçons.

 

Après la mort de Zoulfekar Beekhy, qui était marié mais n’avait pas d’enfant, sa famille a vécu des moments très difficiles. «Inn bizin anter mo frer de fwa akoz ti fer ekzimasion. Mo papa inn mor ek regre an 2016. So lavi ti vinn enn martir. Linn telma plore ki sa finn akfekte li boukou ziska li aret trouv kler. Mo papa ti enn muezin. Li mem ti pe fer apel pou la priyer», regrette Nasser. Il tire à boulets rouges sur la police et des politiciens : «L’attentat de la rue Gorah Issac est un crime politique. Malheureusement, certains politiciens donnent d’impression de l’avoir oublié. Ce sont ces trois familles qui sont les grands perdants dans cette histoire», confie Nasser.

 

Son frère et Babal Joomun, raconte-t-il, étaient inséparables. «Zot ti viv la Frans ansam. Zot ti de bon kamarad. Zot ti kouma de frer. Babal ti retourn Moris avan. Mo frer inn swiv apre. Nou pa pou kapav bliye zot zame. Mo ena enn panse spesial pou sa de lezot fami-la. Mo kone ki zot ousi zot soufer boukou. Navin Ramgoolam ti promet enn stel pou zot. Mo kont lor li pou sa. Seki finn partisip dan lamor mo frer ek sa de lot-la pou bizin rann kont enn zour, anba ou lao», lâche Nasser, avec amertume.

 


 

Ce soir-là…

 

Cette affaire a fait couler beaucoup d’encre depuis le 26 octobre 1996. Ce soir-là, après avoir fait une ronde à la veille des élections municipales, Babal Joomun et Zoulefekar Beekhy (qui se trouvaient dans la même voiture) et Yousouf Mourad (dans une autre) rentraient chez eux lorsque les occupants d’un 4x4 rouge ont fait feu à plusieurs reprises sur eux à la rue Gorah Issac, selon un témoin. Les trois agents de l’alliance MMM-PTr y ont laissé la vie.

 

Plusieurs suspects ont été interpellés par la suite mais la police n’a jamais pu vraiment avancer dans cette enquête. Il a fallu attendre novembre 2000 pour voir un peu plus clair dans cette affaire. Lors d’une perquisition chez Khadafi Oozeer, un sympathisant du Hizbullah, la police avait recueilli un véritable arsenal. Il avait alors avoué que ces armes appartenaient à l’Escadron de la Mort qui était, selon lui, responsable de l’attentat de la rue Gorah Issac. Il avait aussi balancé le nom de Cehl Meeah et énuméré tous les délits commis par la bande.

 

La police avait alors lancé des mandats d’arrêt contre Toorab Bissessur, Bahim Coco, Azad Nandoo, Reaz Jamaldin, Afzal Chummun, Noorani Boodhoo et Hateem Oozeer, soupçonnés de faire partie de ce fameux escadron. Le 16 décembre 2000, Nandoo, Jamaldin, Boodhoo et Chummun, cernés par la police à Beemanique, s’étaient donné la mort en ingurgitant du cyanure. Par la suite, le policier Chummun avait été arrêté et avait lui aussi impliqué Cehl Meeah. Quelques jours après, le repaire de Bahim Coco avait été identifié à Albion. En arrivant sur place, la police l’avait retrouvé mort. Il avait lui aussi avalé du cyanure. Par contre, Hateem Oozeer avait, lui, jeté sa dose de poison et s’était rendu à la police peu après.

 

Il est devenu le star witness dans l’affaire Gorah Issac, accusant Cehl Meeah d’être devenu «chef de gang» et d’être la «tête pensante» de l’Escadron de la Mort. Arrêté et traduit en cour, Cehl Meeah a bénéficié d’un non-lieu en novembre 2003 après des mois d’emprisonnement. Arrêté dans le cadre de l’affaire Gorah Issac toujours, Liyyakat Polin avait collaboré à l’enquête et était poursuivi pour wounds and blows causing death without intention to kill. Il avait été condamné à 21 ans de prison le 21 juillet 2004 et a été libéré le 2 septembre 2015 après avoir obtenu une remise de peine.

 

Toorab Bissessur, lui aussi arrêté en décembre 2000, après être revenu d’un exil à Madagascar, avait également collaboré avec la police et écopé de quatre ans de prison seulement pour son implication dans l’affaire Gorah Issac. Il est décédé suite à des problèmes de drogue en 2009. L’affaire a connu un rebondissement en novembre 2015 lorsque Swaleha Joomun, la veuve de Babal, a donné une nouvelle déposition au CCID. À partir de là, Shakeel Mohamed a été arrêté le 23 novembre, sous une accusation provisoire de conspiracy to commit murder mais celle-ci a été rayée peu après.

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