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35 ans de prison contre Yavinash Luchmun pour avoir tué sa belle-fille | La mère de Drishtee, 3 ans : «Je me sens tout aussi coupable de cette mort atroce»

Yavinash Luchmun avait plaidé non-coupable aux assises en 2015.

Il y a neuf ans, sa fille de 3 ans a trouvé la mort dans des circonstances tragiques. Son concubin d’alors, Yavinash Luchmun, avait tabassé la fillette à mort. Cette semaine, la Cour suprême a rejeté l’appel du meurtrier et a maintenu la sentence de 35 ans que lui avait infligée la cour d’assises en 2015. Submergée par le chagrin, le regret et le remords, Premila se confie…

La perte d’un enfant, qui semble aller contre le sens même de la vie, est l’épreuve la plus difficile que des parents puissent vivre. Car, à leur chagrin inqualifiable s’ajoutent un immense sentiment de culpabilité et l’impression de n’avoir pas su protéger cet être qu’ils aimaient plus que tout et qui était sous leur responsabilité. Le traumatisme est encore plus grand quand le décès survient de façon brutale et tragique.

 

Voilà déjà neuf ans que Premila, 45 ans, porte cette lourde croix sur son dos. Malgré le temps qui passe, les souvenirs de sa petite Drishtee – morte sous les coups de son concubin d’alors, Yavinash Luchmun – la hantent toujours au quotidien ; d’où son visage marqué par le chagrin et la fatigue. Sa petite chérie, qui aurait célébré ses 12 ans le 21 juillet 2019, lui apparaît encore en rêve en criant «mama Fine, mama Fine». Drishtee était la seule à l’appeler ainsi. Si sa tristesse n’a jamais vraiment disparu, les événements de cette semaine sont venus remuer davantage le couteau dans la plaie en faisant resurgir une foule de souvenirs et d’émotions.

 

Dans un jugement prononcé le lundi 16 septembre, la Cour suprême a rejeté l’appel de Yavinash Luchmun, aussi connu comme Ibrahim. Le 3 juillet 2015, ce boulanger originaire de Rivière-des-Anguilles avait été condamné aux assises à une peine de 35 ans pour le meurtre de sa belle-fille de 3 ans, le 14 décembre 2010. S’il a reconnu avoir giflé la fillette à plusieurs reprises le jour fatidique parce qu’elle refusait de rentrer à la maison, il a toujours nié avoir causé sa mort. Il a ainsi plaidé non coupable.

 

Lors du procès en appel, son avocat, Me Deepak Rutnah, avait avancé neuf points d’appel, desquels quatre avaient été retenus. Et cette semaine, le Full Bench, composé du chef juge Eddy Balancy et des juges Asraf Caunhye et Gaytree Jugessur-Manna, ont rejeté ces points et ont maintenu la sentence de 35 ans. Néanmoins, cela n’atténue guère la douleur de Premila, la mère de la petite. «Pour moi, cette sentence ne suffit pas. La Cour lui a peut-être attribué cette peine, mais c’est Dieu qui lui donnera sa vraie pénitence», lâche-t-elle, désemparée.

 

Mauvais pressentiment

 

Le 14 décembre 2010 est une date qui restera à jamais gravée dans l’esprit de Premila. Elle se souvient  comme si c’était hier de toutes les émotions qui l’ont traversée ce jour-là. «Ce jour-là, Ibrahim avait dit qu’il emmenait Drishtee à la boutique du coin. Mais j’ai eu un mauvais pressentiment lorsque je me suis rendu compte qu’ils mettaient du temps à revenir. Je suis sortie pour aller les chercher. En les voyant arriver, je me suis aperçue que ma fille ne réagissait plus avant même de la tenir dans mes bras.» Yavinash Lutchmun a alors tenté de gagner du temps en lui faisant croire que la petite s’était endormie après avoir couru pendant longtemps au soleil. Il lui a demandé de ne pas s’en faire pour si peu. Mais Premila n’a pas été dupe. «Mo tifi so lizie ti vir blan. Mo pa ti pe senti mwa bien akoz mo pa ti pe kone ki pe ariv li.» Désemparée, elle a alors interpellé un couple qui était en voiture pour le supplier de conduire sa petite à l’hôpital Jawaharlal Nehru, où la tragique nouvelle est tombée : Drishtee avait rendu l’âme suite à de nombreux coups qu’elle avait reçus. Une autopsie a attribué son décès à une rupture du foie. Yavinash Lutchmun a alors été arrêté sous une accusation de meurtre.

 

Depuis ce terrible drame, le chagrin et la culpabilité rongent Premila au quotidien. Tellement qu’elle a fait trois tentatives de suicide au fil des années, en ingurgitant des médicaments, et a dû consulter plusieurs médecins, notamment de l’hôpital psychiatrique de Beau-Bassin, pour essayer de gérer son profond mal-être. «Mo ena limpresion monn donn mo zanfan enn dimounn pou touye», regrette-t-elle. La petite Drishtee était la benjamine d’une fratrie de trois enfants. Tous sont issus de son union avec Ramesh Jeetoo, son premier époux, qu’elle avait épousé à l’âge de 25 ans. Tout comme pour ses deux autres enfants, Premila rêvait pour Drishtee d’une vie heureuse. «J’avais tellement de projets pour ma fille. Je voulais tellement qu’elle puisse faire des études en grandissant pour qu’à l’avenir, elle devienne une femme indépendante. Je voulais qu’elle ne manque de rien et qu’elle ait une vie heureuse ; pas comme celle que j’avais eue», pleure la quadragénaire. Ses nombreux problèmes de couple avec Ramesh Jeetoo avaient d’ailleurs été la raison pour laquelle elle avait déserté le toit conjugal au début de l’année 2010 avec ses enfants.

 

À l’époque, Premila trouve refuge chez sa mère à Plaine-Magnien. Mais sa relation avec sa famille n’étant pas au beau fixe, elle prend un emploi et loue une maison pour y vivre avec ses trois enfants. «Bien vite, je me suis rendu compte que je ne pouvais pas joindre les deux bouts, même si j’avais vendu tous mes bijoux. Mes enfants avaient à peine à manger. Je ne voulais pas de cette vie pour eux. J’ai donc ramené les deux plus âgés chez leur père, qui m’avait depuis interdit de les approcher. Tandis que Drishtee faisait, elle le va-et-vient entre ma maison et celle de ma mère.»

 

Entre-temps, elle fait la connaissance de Yavinash Luchmun, avec qui elle contracte le nikkah très rapidement. Elle va aussi vivre avec lui à Rivière-des-Anguilles. Ce qui provoque une grosse dispute avec sa mère qui, dès lors, ne la laisse plus voir sa benjamine. «Elle n’approuvait pas cette union. J’étais tellement en colère car j’étais la mère de trois enfants et je n’avais aucun d’eux à mes côtés. Je suis donc allée récupérer Drishtee pour qu’elle vienne vivre avec moi définitivement. Je pensais bien faire à l’époque mais cela a été ma plus grosse erreur.»

 

Nuit et jour, Premila se demande si les choses auraient pu se passer autrement. N’a-t-elle pas fait suffisamment attention aux signes ? «Lorsque nous vivions chez Ibrahim, j’avais pourtant constaté qu’il était violent. Il se disputait avec sa mère et ses frères ; avait saccagé la maison. Il avait même levé la main sur moi à deux reprises devant ma fille. Je pensais que c’était la raison pour laquelle elle avait peur de lui.» Sur les recommandations de la mère de Yavinash Luchmun, elle est alors allée vivre chez une connaissance, à Rose-Belle, où son concubin venait quotidiennement lui rendre visite. «Ce n’est qu’après ce qui s’est produit que tout était devenu clair. Je me souviens qu’à chaque fois qu’il emmenait Drishtee à la boutique, il me la ramenait couverte de bleus. Il prétendait toujours que c’était parce qu’elle était tombée en courant ou en jouant.»

 

«Elle est morte avant»

 

Malheureusement, la fillette autrefois joviale et débordante d’énergie s’était renfermée sur elle-même et n’avait jamais confié ses malheurs à sa mère. «Quelques jours avant son décès, je l’avais conduite à l’hôpital parce que je voyais qu’elle avait changé de comportement. Je ne comprenais pas pourquoi elle avait tout le temps aussi peur. Je voulais qu’elle puisse voir un professionnel pour qu’il identifie le problème mais les médecins m’avaient demandé de ne revenir qu’en janvier pour un counselling. Malheureusement, elle est morte avant», se désole-t-elle.

 

Bien que neuf années se sont écoulées depuis le décès de la petite Drishtee, le temps n’a pas atténué le sentiment de remords de Premila. Anéantie, elle lâche, en larmes : «Je me répète encore et encore que si je n’avais pas arraché mon enfant à sa grand-mère ou à son père, elle serait toujours parmi nous.» Pendant longtemps, le père de Drishtee, Ramesh Jeetoo, l’a également tenue pour responsable du décès de la petite. Cela lui a pris du temps, dit-elle, «mais il a fini par me le pardonner. Cette perte n’est pas non plus facile pour lui. À chaque fois qu’il craque, il m’appelle et se confie» (voir hors-texte). D’après Premila, cela fait trois ans qu’il lui demande de rentrer à la maison pour qu’ils tentent de recoller les morceaux et de former une famille à nouveau, mais elle ne peut pas. «Je ne m’en sens pas capable. J’ai tellement honte. Mo pa kapav montre figir apre seki finn arive. Une fois que vous avez commis une erreur, vous ne pouvez plus revenir en arrière.»

 

Depuis que le meurtrier de sa petite Drishtee est derrière les barreaux, Premila ne lui a rendu visite qu’une seule fois, et ce, uniquement dans le cadre de ses démarches. «Il m’a dit qu’il voulait me verser une pension. Je lui ai répondu que je ne voulais pas d’argent ; qu’il me ramène ma fille était tout ce que je souhaitais.» Depuis, elle a définitivement coupé les ponts avec lui, ainsi qu’avec sa famille. «Ibrahim a essayé de me joindre au téléphone à plusieurs reprises mais j’ai ignoré ses appels et fini par changer de numéro.»

 

Si Premila est d’avis que c’est Dieu qui jugera le meurtrier de sa fille, elle estime qu’il en sera de même pour elle car elle se tient aussi pour responsable de cette mort atroce. «J’ai aussi commis des erreurs. Monn donn mo zanfan enn dimoun pou touyer. Bondie pou ziz tou. Mo kit tou dans so lame.» Mais sa pénitence, elle la subit déjà tous les jours ; encore plus chaque 21 juillet – le jour de l’anniversaire de son petit ange.

 

 


 

Ramesh Jeetoo, le père de la fillette  : «Toulezour mo mazinn mo zanfan»

 

Plusieurs années se sont écoulées depuis le décès de Drishtee, mais son absence est tout aussi lourde à porter pour Ramesh Jeetoo, son père biologique et premier époux de sa mère Premila. Depuis cette terrible perte, il n’a pas quitté Trois-Boutiques, où il vit toujours avec leurs deux autres enfants. Malgré ses nombreux différends avec Premila, tous deux sont tout de même d’accord sur un point : Yavinash Luchmun, le meurtrier de leur fillette, aurait dû écoper d’une plus lourde peine. «Me se la kour ki finn deside. Mo bizin aksepte so zizman.»

 

Depuis que sa benjamine a trouvé la mort dans des circonstances tragiques le 14 décembre 2010, il ne se passe pas une journée sans qu’il ne pense à elle. La mine fatiguée, les traits défaits, il confie : «Toulezour mo mazinn mo zanfan, mo mazinn seki finn pase. Souvan, mo asize mo plore mo tousel.» À l’époque, après sa séparation avec Premila, il s’était battu bec et ongles pour récupérer son enfant. Il avait même logé une action en cour pour obtenir la garde de Drishtee qu’il soupçonnait de subir des maltraitances. Mais faute de preuves, ses démarches n’avaient pas abouti et sa benjamine a trouvé la mort avant qu’il ait pu la sauver des griffes de son bourreau.

 

Si pendant plusieurs années, Premila et lui sont restés en froid, il admet avoir fini par renouer des liens avec elle pour le bien de leur fils et de leur fille. «J’ai arrêté de lui reprocher ce qui s’est produit. Nous avons cessé de nous disputer à présent. J’ai aussi fini par l’autoriser à voir nos enfants, qui vont souvent dormir chez elle.»