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«Abusé(e) et après» - Valentine Lenoir : pourquoi j’ai écrit un livre sur mon abus sexuel

31 août 2022

Comment vous est venue l’idée de faire un livre sur cette partie sombre de votre vie ? Et pourquoi maintenant ?

 

J’ai souhaité écrire un livre, sur fond autobiographique, car je trouvais que certaines informations et certains outils pourraient être utiles à d’autres ayant vécu un parcours similaire. La possibilité d’un avenir heureux malgré le traumatisme vécu ne semblait pas réalisable et pourtant ! Je ne prétends pas que mon histoire fait écho à celles de tous ceux ayant vécu un abus mais j’espère sincèrement qu’elle sera une contribution pour certains.

 

C’est un livre que j’aurais souhaité avoir à mes côtés au moment de ma reconstruction ; j’ai donc décidé de le rendre accessible maintenant.

 

Le ton du livre est très particulier… Parlez-nous du choix de cette approche, pas du tout misérable, ni trop dramatique, mais au contraire très ludique, avec énormément de recul…

 

Le choix de cette approche a été quasi automatique. Je me suis demandé : qu’est-ce que j’aurais aimé recevoir comme informations pendant ma reconstruction et, surtout, sous quelle forme ? En tant qu’ex-victime, se remémorer un abus est déjà très lourd, on reçoit notre dose de trauma et de drame, et notre vie prend un tournant pour le moins chaotique !

 

Personnellement, à travers mon combat, plusieurs certitudes se sont imposées à moi : celle que les ex-victimes d’abus sexuels sont sevrées d’informations mais pas avec tant de solutions concrètes pour laisser le traumatisme derrière soi. Celle que, malgré tout, notre avenir n’est pas tracé. Nous seules avons le pouvoir de décider de ce que nous voulons vivre, de qui nous voulons être. Et ainsi, celle que tout traumatisme peut être transformée en opportunité.

 

Mon but, à travers ce livre, est d’apporter une perspective nouvelle. Je n’apporte aucune réponse, aucun mode d’emploi, mais j’évoque des outils et des prises de conscience qui m’ont été bénéfiques. Je pose des questions, des possibilités, tout en partageant mon histoire et mes ressentis. Ce sera maintenant à chaque lecteur d’identifier ce qui lui convient et fonctionne le mieux pour lui.

 

Cet aspect «ludique» et «avec du recul», comme vous le dites, offre, à mon sens, plus d’espace au lecteur pour identifier ce qui résonne pour lui.

 

Comment s’est passé le processus d’écriture du livre ?

 

J’ai adoré ce processus d’écriture ! Dès le départ, j’ai choisi de m’entourer de deux rédactrices, Elena et Élodie, pour concrétiser ce projet de livre. J’avais une idée relativement claire de ce que je voulais passer comme message et du ton que je voulais employer mais je voulais avant tout que la lecture soit agréable et fluide. Avec Elena et Élodie, nous nous sommes vues à plusieurs reprises pour établir la structure, développer le contenu et réajuster la forme pour que cela me corresponde. Je suis aujourd’hui très satisfaite du résultat final et surtout très reconnaissante de cette fructueuse collaboration qui s’est déroulée avec une aisance déconcertante.

 

Le pédo-criminel est maintenant décédé après le dur procès qui avait causé pas mal d’indignation. Comment vous sentez-vous maintenant par rapport au sort de cet individu ?

 

Je l’attendais arriver cette question (rires) ! Vous découvrirez, dans ce livre, que je ne dévoile aucun nom et aucun détail de mon histoire. Je pose le cadre et je partage plutôt mes ressentis et prises de conscience au fur et à mesure de ma reconstruction. Je souhaite vraiment qu’on puisse mettre l’accent ailleurs que sur l’agresseur ou les faits qui se sont produits. Je trouve que cela n’a rien de bénéfique pour une ex-victime qui choisit d’avancer. Ma priorité est d’apporter une perspective nouvelle sur la possibilité de se libérer de l’abus vécu. Je préfère plutôt parler de comment je me sens aujourd’hui par rapport à cet abus. Je vous répondrais que je vais BIEN, que je me sens libre, pleinement heureuse et épanouie dans ma vie.

 

On vous voit maintenant à visage découvert, à regarder cette part de votre vie en face et, surtout, à vivre le reste de votre vie de façon très épanouie. Ceux qui n’ont pas encore votre livre en main se demanderont très probablement : «Mais comment a-t-elle fait et comment fait-elle tous les jours ?» Que leur répondez-vous ?

 

Je leur répondrais que tout a commencé par cette prise de conscience : j’ai toujours le choix ! Le choix de laisser cet abus me définir ou le choix de transformer ce traumatisme, d’en faire une force et d’aller au-delà pour créer le futur qui me convient. L’une de nos plus grandes limitations est d’essayer de blâmer les autres, le monde et les événements pour la façon dont nous choisissons de nous présenter ou la façon dont nous avons choisi de réagir à une situation. Et quand nous faisons cela, nous nous rendons impuissants. Impuissants à faire face à la situation devant nous et impuissants surtout à changer la situation devant nous. Finalement, nous nous rendons impuissants à nous changer pour devenir plus grand. J’ai pris conscience qu’à travers mon choix, j’ai la capacité de changer tout ce qui ne me convient pas. Je ne subis pas ma vie, je la crée !

 

De façon plus globale, que pensez-vous du regard que les gens d’ici ont sur les victimes de ce genre d’abus ?

 

Je pense que depuis ces dernières années, le statut de victime a beaucoup évolué, surtout à Maurice. Il y a eu un très bon travail d’information et de sensibilisation qui s’est fait autour de la cause des abus sexuels en général et c’est super ! Je suis convaincue que tout cela a grandement contribué à libérer la parole des ex-victimes.

 

À titre personnel, il y a encore une stigmatisation qui me dérange cependant aujourd’hui : l’emploi du mot victime. J’ai été victime d’abus sexuel, certes, mais en parlant, je deviens une EX-victime. Ce mot victime a toujours raisonné en moi comme une injustice – cette étiquette qu’on se voit directement attribuée, qu’on achète comme étant encore d’actualité et qui finalement nous emprisonne dans un «je subis ma situation, mon passé – je suis une victime» plutôt que «je suis en train de changer ma situation – je suis une ex-victime». Vous notez la différence ?

 

(Si le concept est encore flou, tout un chapitre est dédié à ce point de vue dans le livre).

 

Il y a tout un chapitre dédié aux «outils» dans votre ouvrage mais quel est le premier conseil que vous donneriez à une victime d’abus ?

 

Faites-vous confiance, trouvez ce qui fonctionne le mieux pour vous et prenez conscience de toutes les ressources que vous avez déjà en vous. Aussi absurde que cela puisse paraître, votre corps est votre meilleur allié.

 

D’autres projets d’écriture, liés ou pas à ce sujet, après la publication de votre livre ?

 

Pas pour l’instant mais je ne me ferme aucune porte !

 


 

Cette affaire qui avait défrayé la chronique

 

Si Valentine Lenoir ne mentionne pas le nom de son abuseur, pour peu qu’on suive bien l’actualité à Maurice, on devine bien de qui on parle. Il s’agit du pédo-criminel qui avait été arrêté en 2012 suite à des dénonciations de plusieurs anciennes victimes pour des faits qui remontent aux années 1980, alors qu’elles n’étaient encore que des enfants. Lorsque l’abuseur, reconnu coupable sous 21 chefs d’accusation pour attentat à la pudeur sur huit victimes mineures, avait été condamné uniquement à des cautions de bonne conduite pendant trois ans (liberté surveillée), cela avait causé l’indignation parmi les ex-victimes, leurs proches et beaucoup de Mauriciens. Le DPP avait fait appel à cette condamnation et il y avait aussi eu des marches pacifiques pour protester contre cette décision de justice jugée injuste. L’homme en question est finalement décédé d’un cancer en 2019.

 

Bio express

 

Valentine Lenoir, 30 ans, est architecte d’intérieur et travaille à son compte. Après ses études à l’Oxford Brookes University, au Royaume-Uni, elle a notamment travaillé aux Seychelles avant de revenir à Maurice en 2016. 
 

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