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Par Elodie Dalloo
28 septembre 2021 14:56
Il est traumatisé physiquement et moralement. Sauvagement attaqué par deux rottweilers, Vinay Ragoo – un comptable de 43 ans domicilié à Port-Louis – a eu l’artère et le tendon sectionnés, ainsi que plusieurs nerfs endommagés. Depuis son hospitalisation, il a dû subir plusieurs interventions chirurgicales mais il n’est pas pour autant tiré d’affaire. Transféré de l’hôpital Jeetoo à une clinique privée quelques jours après son agression, il devra à nouveau être opéré durant les prochains jours et ne sait pas encore s’il pourra retrouver l’usage complet de sa main droite. Alité, pieds et mains entourés de bandages, les images du traumatisme qu’il a vécu à la rue Mère Barthélémy, dans la capitale, le samedi 18 septembre, ne cessent de défiler dans sa tête. «Mon agression m’a laissé des séquelles physiques et psychologiques mais je tâche tout de même de rester fort. Pour l’heure, je m’en remets aux conseils des médecins», confie-t-il, tout en disant espérer que justice lui sera rendue.
La vidéo de la cruelle attaque de Vinay Ragoo par deux rottweilers a suscité l’émoi dans l’île cette semaine. Depuis ce tragique événement du samedi 18 septembre, les réactions n’ont cessé de pleuvoir sur les réseaux sociaux, relançant le débat autour de certains chiens de race à Maurice. Alors que certains se sont braqués sur la violence dont ces molosses p euvent faire preuve, d’autres sont montés au créneau pour prendre leur défense et blâmer le propriétaire, qu’ils qualifient d’irresponsable dans ce cas précis. Pour cause, la section 32 de l’Animal Welfare Act de 2013 est claire à ce sujet : (2) Every owner of a dog shall (a) cause the premises on which the dog is kept to be secured by a fence, wall or gate which is of a suitable height and constructed and maintained in such manner as to prevent the dog from escaping ; (b) not allow the dog to be at large, except when confined within a vehicle or cage, or on leash (…). Au cas contraire, celui-ci risque une peine d’emprisonnement ne dépassant pas six mois et est passible d’une amende ne dépassant pas Rs 10 000.
Arrêté dans la soirée du mercredi 22 septembre, Roddy Venkatasami, le propriétaire des molosses, a comparu en cour le lendemain, sous une accusation provisoire d’involuntary wounds and blows by imprudence, avant d’être reconduit en cellule. Soumis à un feu roulant de questions, il a reconnu être le propriétaire des chiens et déclare que ces derniers, prénommés Beauty et Bosco, se sont échappés parce qu’il n’aurait pas bien fermé son portail. D’ailleurs, les molosses sont toujours introuvables.
Cette arrestation est une nouvelle qu’accueillent favorablement les proches du blessé. «Nous espérons qu’il n’obtiendra pas de caution et qu’il paiera les conséquences de tout cela», lâche Veema Choollun, la soeur de Vinay Ragoo. Elle se dit tout de même révoltée que la police ait mis tant de temps à lui passer les menottes. «Cela s’est produit dans la soirée du samedi 18 septembre et ce n’est que plusieurs jours plus tard qu’il a été arrêté. J’ai l’impression que la police a banalisé ce qui s’est produit.» Elle poursuit, déterminée : «Nous comptons réclamer des dommages au propriétaire des chiens.»
La semaine écoulée n’a pas été facile pour ses proches et elle, explique Veema Choolun : «Cela a été un moment vraiment dur à vivre. On dire enn mare nwar finn pas lor nou. Cela n’a pas été facile à surmonter. Je n’ai même pas été capable de visionner entièrement la vidéo de l’attaque de mon frère. Je ne souhaite cela à personne.» Vinay Ragoo nous raconte, lui, avec peine ce qui s’est passé ce fameux soir : «Je me rendais à la boutique pour m’acheter une boisson quand ces deux molosses ont surgi devant moi. J’ai appelé à l’aide mais je ne comprends pas pourquoi personne n’est intervenu.» Il s’est débattu de toutes ses forces pendant plusieurs minutes, alors que les chiens s’acharnaient sur lui à coups de canines, perdant ses lunettes et ses sandales au passage.
Lorsque les rottweilers ont fini par prendre la fuite, c’est en titubant que le blessé s’est rendu, seul, à l’hôpital Jeetoo. Sur place, il a tout juste eu le temps d’expliquer ce qui lui était arrivé avant de s’écrouler. «Personne ne lui est venu en aide lorsqu’il s’est retrouvé en difficulté. Il aurait pu y laisser la vie. Mon frère est actuellement dans un état critique ; que se serait-il passé si c’était un enfant ou une personne âgée qui avait été à sa place ?» s’interroge Veema Choollun.
Pour l’heure, l’état de santé de Vinay Ragoo est jugé stable. Après quelques jours au département des soins intensifs, il a été transféré, le mardi 21 septembre, dans une clinique privée. «Les médecins veillent surtout à ce qu’il n’y ait pas d’infection dans ses plaies. Sa santé mentale est fragile mais nous avons constaté une amélioration par rapport aux jours précédents. Il est beaucoup plus réactif à présent», rassure Chetanand Choollun, son neveu. Afin de ne pas le perturber davantage, ses proches évitent autant que possible d’évoquer le sujet devant lui. «Nous évitons de lui parler de ce qui s’est passé, d’autant que voir sa photo sur les journaux l’a beaucoup affecté», explique sa soeur.
Ils attendent tous désormais que Vinay se remette de ses blessures pour décider, en famille, de la marche à suivre.
Les questions se bousculent dans leur tête. Après avoir eu vent de l’agression de Vinay Ragoo par leurs deux molosses, les membres de la famille Venkatasami ne cessent de s’interroger : «Comment nos chiens ont-ils pu se retrouver dans la rue ? Nous aimons nos animaux et ne comprenons pas comment ils ont pu s’en prendre à quelqu’un de la sorte, alors qu’ils ont toujours été très affectueux.» Leurs deux rottweilers, Beauty et Bosco, assurent-ils, «n’ont jamais agressé qui que ce soit auparavant, contrairement à ce que prétendent nos voisins. Ce sont des chiens apprivoisés qui ne sortent jamais sans surveillance. Peut-être ont-ils cru que cet homme voulait s’en prendre à eux ? Depuis qu’ils se sont échappés, nous ne les avons pas revus».
Rencontrés à leur domicile, ils confient ne pas rester insensibles à l’agression de Vinay Ragoo par leurs animaux de compagnie. «Nous sommes conscients qu’il a été très blessé. Nous nous sommes sentis tellement mal que nous avons même essayé de le rencontrer à l’hôpital, au risque de nous faire lyncher par sa famille, mais le personnel n’a pas voulu nous donner plus d’indications sur la salle où il se trouvait», se désole notre interlocuteur. Et de poursuivre : «Tout ce qui s’est passé, nous ne l’aurions souhaité à personne. Nous présentons à cet homme nos plus plates excuses. Nous savons que nos chiens l’ont agressé et que nous devons, aujourd’hui, en prendre l’entière responsabilité. Cependant, la population nous traite comme des criminels alors que nous n’avons pas prévu qu’une chose pareille se produirait. Il s’agit d’un accident. Nous ne sommes pas des mauvaises personnes.»
La famille Venkatasami dit avoir perdu sa paix d’esprit depuis le drame. «Ce qui s’est produit nous a beaucoup perturbés psychologiquement. Nous savons que le blessé et son entourage souffrent énormément en ce moment mais nous sommes aussi très affectés à notre manière. Nous ne sommes pas seulement montrés du doigt par les habitants du quartier mais également par toute la population mauricienne ; c’est démoralisant. Nous ne nous sentons même plus en sécurité chez nous.»
D’ailleurs, après les faits, des individus ont endommagé leur véhicule.
À la rue Mère Barthélémy, l’agression sauvage de Vinay Ragoo par les deux molosses est sur toutes les lèvres. Après le drame survenu en cette soirée fatidique, bon nombre de personnes s’interrogent sur les raisons pour lesquelles personne n’a porté secours au blessé quand il a appelé à l’aide. Sollicités, c’est avec beaucoup d’hésitation que des habitants de la localité acceptent de se confier. Le premier, qui habite les environs depuis des années, explique : «Avec le commerce des Venkatasami qui opère jusqu’à fort tard pour vendre des boissons alcoolisées, nous voyons bien souvent des individus louches circuler. Ce soir-là, j’ai entendu des aboiements et je n’ai pas réagi immédiatement en pensant qu’il s’agissait de SDF. J’ai ensuite entendu les hurlements d’un homme et je suis sorti voir. Je l’ai vu se faire agresser par les deux molosses.»
Toutefois, il reconnaît n’avoir pas réagi. «Je ne suis plus très jeune et j’ai craint pour ma sécurité. Je suis toujours le premier à venir en aide à mon prochain mais je n’ai pas su comment venir en aide à cet homme. J’étais tétanisé.» Il poursuit : «Ce n’est pas la première fois que ces chiens s’en prennent à quelqu’un. Leurs maîtres les laissent souvent sortir le soir pour qu’ils aillent faire leurs besoins. Nous avons déjà rapporté cela à la police mais rien n’a été fait», allègue-t-il. Même réaction de la part d’une autre habitante de la localité, dont la maison se trouve à quelques mètres du lieu de l’attaque. Timidement, elle lâche : «Je l’ai entendu appeler à l’aide mais je ne suis pas sortie de chez moi.»
Une autre résidante du quartier déclare, pour sa part, qu’elle se trouvait chez des proches au moment de l’attaque : «Je suis rentrée chez moi à 23h15. En apprenant ce qui s’était passé par la suite, j’étais choquée car cela s’est produit devant ma maison. Cela aurait pu arriver à n’importe qui. Si nous étions là, nous aurions au moins essayé de faire fuir les chiens avec de l’eau. J’espère de tout coeur que cet homme s’en remettra.»
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