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Allégations contre Jean-Claude Bastos : L’affaire «Quantum Global» en… questions

16 avril 2018

Un nom de telenovela. Jean-Claude Bastos de Morais. Un «scandale» financier qui donne le tournis (et pas trop l’envie de suivre les épisodes) : c’est pour cela que nous avons tenté d’expliquer et de simplifier, pour vous, l’affaire Quantum Global. Car, depuis les révélations des Paradise Papers, rien ne va plus (à Maurice) pour le beau gosse philanthrope, son groupe Quantum Global, incorporé ici depuis 2014, et l’institution régulatrice des services financiers locaux, la Financial Services Commission (FSC). L’empire, du moins une petite partie, de Jean-Claude Bastos vient de se heurter à la justice mauricienne. Ses comptes et ses permis d’opération ont été gelés suite à une décision de justice. Et le milliardaire suisso-angolais fait chavirer, une nouvelle fois, la machinerie de la FSC.

 

Des soupçons d’ingérence politique (dans le sillage de l’affaire Alvaro Sobrinho) planent sur toute cette saga. Et une série d’interrogations l’accompagnent, notamment sur l’efficacité de la FSC et sur celle des Management Companies (qui doivent aussi faire des exercices de due diligence). Deux experts – un en offshore et l’autre qui se décrit comme «quelqu’un qui a côtoyé le système de près et de l’intérieur» – apportent des éléments de réponses à nos interrogations (voir plus loin) et montrent du doigt ces instances.

 

L’affaire, elle, a été commentée par les politiciens de tout bord, cette semaine. Parmi, le ministre des Services financiers, Sudhir Seesungkur, qui répondait à une Private Question au Parlement, le mardi 10 avril. Reconnaissant des failles au niveau de la FSC, il a demandé une enquête sur cette instance régulatrice afin de situer les responsabilités.

 

Paul Bérenger s’est aussi exprimé. Et s’est montré très virulent en conférence de presse, hier, samedi 14 avril, réclamant la démission du ministre. Quantum Global, lui, se défend, par le biais de communiqués, s’étonne des décisions prises par les autorités mauriciennes, du manque de communication et clame son innocence, tout en demandant à la FSC la possibilité de se défendre : «Myself and our Quantum Global Group takes its transparency obligations seriously and has put in place rigorous procedures and practices within all areas of its business», écrit Jean-Claude Bastos, sur sa page Facebook.

 

Quantum Global Group, c’est quoi ?

 

Une marque de lessive ? Pas du tout ! Le groupe, créé en 2017 par Jean-Claude Bastos, détient un permis d’opération dans le secteur financier mauricien depuis 2014. Il comprend des sociétés spécialisées dans la gestion d’actifs et du patrimoine privé, l’assistance financière aux entreprises et le conseil en investissement, entre autres. Mais pas seulement ! Il est le gestionnaire d’actifs du fonds souverains angolais, le FSDEA. Si début 2018, le président du fonds, proche de Jean-Claude Bastos, a été poussé à la démission, cela n’aurait pas été un problème pour le groupe : le FSDEA ne représenterait que 50 % des milliards de dollars gérés par le groupe.

 

Qui est Jean-Claude Bastos de Morais ?

 

Il «a la cinquantaine chic et décontractée». C’est ainsi que le décrit jeune Afrique, début 2018. L’investisseur est connu et reconnu à l’international, a droit à quelques lignes dans Forbes, et est «l’homme qui vaut des milliards.» Auteur, détenteur d’un master en gestion d’entreprise ; il se présente comme un philanthrope ayant à cœur le développement socioéconomique de l’Afrique. Néanmoins, cette image lisse a quelques ratés. En cause : ses liens avec les anciens dirigeants de l’Angola, la famille Filomeno dos Santos, aujourd’hui inquiétée par la justice, et ses démêlés avec la justice.

 

28 octobre 1967. C’est sa date de naissance à Fribourg, en Suisse. Son père est angolais et sa mère, suisse. Lui vient d’une lignée de héros angolais de l’Indépendance. Elle est née dans une famille d’entrepreneurs (son grand-père maternel a inventé le principe de la lumière dans la montre !). Jean-Claude Bastos de Morais, a, donc, la double nationalité. Dans son article – disponible sur son site Internet – intitulé «My Story», il explique les origines de son désir de philanthropie : «My relationship with my late Angolan grandmother, who taught me the importance of valuing humanity, has also played a major role in my desire to make a difference on the African continent.»

 

Que de cordes… à son arc ! Fondateur et membre du conseil d’administration de Quantum Global Group en Suisse, président de l’Advisory Board de Quantum Global Group, fondateur et membre du Board de Banco Kwanza Invest (banque d’investissement angolaise). Mais aussi initiateur de l’African Innovation Foundation (fondation en faveur de l’entrepreneuriat). Depuis 2012, il gère une partie du fonds souverain angolais, le FSDEA.

 

Pourquoi l’investisseur est inquiété ?

 

La publication des Paradise Papers, l’inculpation de son pote, Jose Filomeno dos Santos, et l’enquête sur les $ 500 millions que Jean-Claude Bastos aurait reçus auraient tiré la sonnette d’alarme de la FIU et de la FSC.

 

Ce n’est pas le «Paradise». C’est la BBC qui lâche l’info ; les Paradise Papers, de l’International Consortium of Investigative Journalists, auraient démontré que Jean-Claude Bastos aurait utilisé de l’argent du fonds souverain angolais pour des investissements personnels. Son ami, le président du fonds, Filomeno dos Santos est limogé de son poste par le nouveau président angolais. C’est à partir de ce moment que la FSC s’intéresse de plus près au Suisso-Angolais.

 

Un début d’année pas «kas pake» pour Bastos. Janvier 2018, la FSC demande des précisions à Jean-Claude Bastos. De courrier en courrier, d’explication en explication. L’instance régulatrice se dit pas satisfaite des réponses et note que l’investisseur a oublié de parler de sa condamnation de 2011 en 2014, année où Quantum Global approche la FSC. Des sanctions mineures sont prises. Suivies d’autres échanges. Et le 8 avril, les licences et les comptes sont gelés.

 

Onde de choc pour Jean-Claude Bastos. L’inculpation de Jose Filomeno dos Santos, le fils de l’ancien président angolais, pour fraude en Angola, ne l’épargne pas. Le fils de l’ex-chef de l’État angolais était – jusqu’à tout récemment – le président de la FSDEA qu’il gère en partie.

 

Une question de $ 500 millions. Jean-Claude Bastos est soupçonné d’avoir bénéficié d’un virement suspect de $ 500 millions – qui fait l’objet d’une enquête en Angola – de Jose Filomeno dos Santos. Ce que dément le groupe Quantum Global : «Ni le groupe en tant que gestionnaire d’actifs pour la FSDEA (NdlR, Fundo Soberano de Angola), ni son fondateur, n’était partie prenante de la transaction de 500 millions de dollars.»

 

Condamné pour gestions déloyales… en 2011. À la cour pénale de Zoug : Jean-Marc Bastos a été condamné, en juillet 2011, pour gestions déloyales («multiple qualified unfair business dealings»). Il a dû payer 160 000 francs suisses.

 

Des fonds souverains ?

 

Notre spécialiste en offshore répond : «Il s’agit de fonds de l’État disponibles pour des investissements et/ou aux investisseurs.»

 

«What happened»… ces derniers jours ?

 

Les 25 comptes bancaires de Quantum Global, dont le CEO est Jean-Claude Bastos de Morais, sont gelés sur ordre du juge David Chan. Les permis d’opérations – Global Business Licence 1 et le permis d’opérer en tant que Closed-End Fund – de sept fonds gérés par Quantum Global ont, également, été suspendus en en vertu de l’article (27) 3 du Financial Services Act 2007 par la Financial Services Commission. C’est la Financial Intelligence Unit (FIU) qui a saisi la Cour suprême. Une visite d’un délégué  du gouvernement angolais (pays où une enquête est ouverte sur Jean-Claude Bastos) au Premier ministre, Pravind Jugnauth, le mardi 3 avril, aurait permis ce move. 

 

Pourquoi des entreprises viennent-elles à Maurice ?

 

Notre interlocuteur qui a connu tout le fonctionnement de la FSC de l’intérieur explique : «Un groupe peut vouloir s’implanter à Maurice principalement pour l’attrait fiscal du pays et aussi pour son réseau d’accords de non-double imposition. Certains critères, comme la stabilité politique, le niveau d’éducation, le faible taux de la taxe domestique, sont aussi pris en ligne de compte.» Pour notre spécialiste de l’offshore, la raison est simple : «Il s’agit de compagnies qui sont incorporées à Maurice pour ne pas payer les taxes selon le concept de tax free island.»

 

Quelles sont les «règles» pour s’implanter à Maurice ?

 

L’entreprise doit répondre à ce principe fondamental, explique notre connaisseur de la FSC : «Est-ce que l’argent qui sera investi à Maurice provient d’une source légale et peut être retracé à la source ?» Puis il est question de démarches d’usage, d’enquête de due diligence, de justification de revenus/capital : «Il faut prouver que ce ne sont pas des recettes de vente d’armes, de drogues, de contrebande, de prostitution, de vol ou d’autre chose contraire aux lois du pays.» Preuves d’adresse, copie de passeport, référence bancaire : une foule d’informations est requise sur toutes les personnes dans la chaîne de commande, même la plus haut placée : «À chaque fois qu’une alerte sur les personnes dans la chaîne de commande est soulevée, la licensing unit remonte l’information au Board ou à un sous-comité du Board qui décide alors soit de demander des informations complémentaires, soit de rejeter la licence.»

 

Et Marc Hein dans tout ça ?

 

Conflit d’intérêts ? L’avocat, lui, dément et se défend. En 2014, il est président de la FSC. Il démissionne le 30 mai de la même année. Quelque temps plus tard, Quantum Global retient les services de la Management Company, JurisTax : «À ma nomination, j’ai transféré à un trust indépendant toutes mes actions de compagnies qui étaient détentrices de licences octroyées par la FSC afin de garder mon indépendance et mon objectivité. Il est donc évident que je n’avais aucun lien direct ou indirect avec la Management Company JurisTax Ltd pendant toute ma présidence. Je n’étais donc ni actionnaire, ayant transféré mes actions, ni directeur de cette Management Company», a-t-il déclaré cette semaine, en précisant qu’il n’avait pas introduit «le groupe Quantum Global à la juridiction mauricienne».

 

Que s’est-il passé en 2014 ?

 

Nous sommes en février. La Management Company Estera Management (Mauritius) Ltd fait des demandes à la FSC : quatre permis d’opération pour les sociétés offshore de Jean-Claude Bastos. C’est la première fois que Quantum Global et Jean-Claude Bastos entrent dans le radar des services financiers mauriciens. Le 16 mai 2014, les permis sont délivrés.

 

Et JurisTax entre dans la danse. Quelques mois plus tard, en octobre, c’est JurisTax Consult, en tant que Management Company, qui fait la demande de permis pour d’autres sociétés du groupe Quantum. En 2017, certaines des compagnies de Bastos passent d’Estera à JurisTax en matière de management.

 

Quel est le rôle de la FSC ?

 

Nous avons demandé à notre interlocuteur qui connaît très bien la FSC de répondre à cette question, en termes simples : «C’est le régulateur du secteur non-bancaire qui comprend les compagnies dites offshore, les assurances, les leasings ainsi que tout autre activité ne tombant pas sous l’égide de la Banque de Maurice. Elle est garante du respect des conditions prévues par les lois et les règlements de la part de tous les opérateurs auxquels elle a octroyé une licence. À travers ses activités de supervision, elle s’assure aussi que le public en général est protégé contre les activités frauduleuses.»

 

Elle aurait trop d’attributions. C’est en tout cas ce qu’affirme notre interlocuteur : «Avec toutes ces attributions et couvrant des domaines aussi divers, il est quasiment impossible à la FSC de trouver des gens de calibre pour ne serait-ce que maîtriser tous les cas de figures qui peuvent se présenter. Exemples : les cacophonies autour de l’affaire BAI (Insurance), New Mauritius Hotels (Securities) et Belvedere (Global Business), entre autres. Il est impossible pour quelqu’un d’être un spécialiste de tous ces domaines. Néanmoins, au niveau d’un régulateur, l’on s’attend que la personne, qui soit en charge d’une unité, soit elle-même une experte dans ce domaine précis.»

 

Que reproche-t-on au FSC  ?

 

Un manque de due diligence. Pour faire simple : de rigueur concernant la vérification et la contre-vérification des dosseurs de Quantum Global. Alors qu’en 2011 (soit trois ans avant l’incorporation de Quantum Global à Maurice), Jean-Claude Bastos a été reconnu coupable au criminel : «De ce fait, les licences n’auraient jamais dû être octroyées 1a Quantum avec Bastos comme promoteur (…) La condamnation au criminel n’est pas quelque chose qu’on peut louper. Je suis convaincu que la personne qui a fait le due diligence à la FSC a trouvé cette information. Idem pour la personne de Juristax ! Mais en remontant le rapport plus haut dans la hiérarchie, des ordres ont dû être données pour camoufler l’affaire…» Il parle, même, de soupçons d’ingérence politique…

 

Une «Management Company» ?

 

Quand un groupe décide de faire du Global Business à Maurice, donc de s’incorporer chez nous, il doit faire appel à des Management Companies locales, explique notre expert en offshore. Elles vont gérer la mise en place de la structure et l’accompagnement de l’entreprise : «Elles doivent, elles-mêmes, faire leur due diligence.»

 

C’est quoi la «due diligence» ?

 

Le spécialiste de l’offshore répond à cette question pour nous. Pour notre interlocuteur, il est impossible que la FSC ne soit pas tombée sur la condamnation de Jean-Claude Bastos en 2011 : «L’exercice de due diligence est essentiel. C’est le KYC ; le Know Your Customer. Il y a plusieurs vérifications et grâce à des logiciels tels que le World Check où sont inscrites les personnes incriminées pour fraude fiscale ou la Watch List, toutes les informations sont disponibles.» Cet exercice doit être fait chaque six mois, voire chaque année : «C’est un on-going process.» Et doit concerner les Politically Exposed Persons : «On réfléchit à deux fois avant de donner un permis à un groupe qui a, parmi ses actionnaires, ou dans sa Management Team quelqu’un qui est proche de la politique.»

 

Le rôle de la FSC… et de la «Management Company». Selon lui, ces vérifications doivent être faites par les deux : «La Management Company fait son enquête et donne le dossier à la FSC, qui, elle aussi, a son rôle à jouer. Si rien n’est apparu après tout ça, c’est que quelqu’un… inn fane !»

 

«L’histoire commence…»

 

Notre interlocuteur qui se présente «comme quelqu’un qui a côtoyé le système de l’intérieur» résume le lien entre Jean-Claude Bastos et les fonds souverains : «Le fils de l’ex-président de l’Angola dirigeait la FSDEA qui était un fond souverain du peuple angolais, créé en 2012. Un montant de $ 5 milliards y a été injecté provenant des recettes du pétrole et des mines accumulées par l’Angola.

 

Il était prévu qu’un tiers de ce fonds soit investi dans des produits sécurisés alors que les deux tiers restants pouvaient être investis dans d’autres types de projets en Afrique.

 

Jean-Claude Bastos apparaît lors de l’établissement du fonds souverain. Il est déjà le fondateur du Quantum Global Group depuis 2007 et avait même fondé la première banque d’investissement 100 % angolais ; Banco Kwanza Invest. La gestion du fonds souverain est alors déléguée à Quantum Global.»

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