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Allégations de «drug planting» à Baie-du-Tombeau - Wayne Attock, libéré : «Je ne quitte plus ma maison car j’ai peur»

Il a passé 26 jours en cellule policière. Ce mercredi 14 décembre, Wayne Attock – un habitant de Baie-du-Tombeau, âgé de 28 ans – a été libéré sous caution, la poursuite n’ayant pas objecté à sa remise en liberté conditionnelle. Bien que soulagé d’avoir retrouvé les siens, il dit craindre d’être à nouveau piégé par les limiers de la brigade antidrogue, soupçonnés d’avoir planté de la drogue chez lui. Il revient sur sa détention, ses retrouvailles avec sa famille et nous fait part de ses peurs et ses attentes pour l’avenir. 

Il a pu retrouver la chaleur de son foyer mais par-dessus tout, l’amour et la tendresse de son épouse et de ses enfants après près d’un mois en détention policière, soupçonné de trafic de drogue. Libéré sous caution ce mercredi 14 décembre, Wayne Attock se dit «soulagé de voir enfin la lumière au bout du tunnel». Néanmoins, il n’a pas encore pu retrouver le calme et la sérénité de sa vie d'avant. Même physiquement, tout lui rappelle le «calvaire» qu’il a vécu récemment. D’atroces courbatures, dit-il, lui rappellent sans cesse l’incommodité du matelas affaissé sur lequel il a passé 26 nuits, livré à lui-même, sans oreiller ni couverture ; prisonnier d’une minuscule cellule où les pensées les plus sombres lui ont traversé l’esprit.

 

Ce mardi 13 décembre, lors de sa comparution devant le tribunal de Pamplemousses, la magistrate Neela Ramdewar-Naugah lui a accordé la liberté sous caution. Le représentant de la poursuite, Me Roshan Santokhee, n’avait plus d’objection à ce qu’il soit libéré suite aux nouveaux éléments versés au dossier, soit les images des caméras de surveillance situées chez lui qui laissent croire qu’il aurait été piégé par les limiers de la brigade antidrogue. Ses proches n’ayant pu régler le montant avant la fermeture de la caisse, c’est finalement le lendemain que cet habitant de Baie-du-Tombeau de 28 ans a pu payer la caution de Rs 100 000 et signer une reconnaissance de dette de Rs 500 000.

 

S'il a retrouvé le confort de son lit, Wayne Attock a encore du mal à fermer l’oeil. Son séjour en cellule policière hante ses nuits. «C’est très dur pour moi de parler de ce que j’ai vécu et ressenti quand j’étais détenu. Fode viv li mem pou konpran kiete sa. Mo pa anvi mem remazinn sa. Sa rest dan mo latet.» Et après 26 jours entre les murs sombres de sa cellule, aujourd’hui, dit-il, c’est sa maison qui est devenue sa nouvelle prison. «J’ai peur que des officiers cherchent à se venger, à me piéger dans la rue ou dans un endroit où il n’y a pas de caméras. Mo pa santi mwa alez, mem kot mwa. Se sirman akoz sa ki mo pa gagn somey.» Depuis qu’il a été libéré, dit-il, «mo res andan mem. Je crains des représailles».

 

Son arrestation, rappelons-le, remonte au 17 novembre. Des officiers de l’Anti-Drug and Smuggling Unit (ADSU) de la Western Division avaient débarqué chez lui aux petites heures du matin pour une fouille et 78,8 grammes d’héroïne, dont la valeur marchande est estimée à environ Rs 1 million, avaient été saisis. Lorsque les limiers ont trouvé une boulette de drogue sous son canapé, dit-il, ça a été un choc : «Monn etone parski mo kone pena nanye dan mo lakaz. D’ailleurs, je n’ai jamais été impliqué dans des affaires de drogue. Je suis pêcheur, j’ai mon entreprise, je travaille honnêtement et mon salaire m’a toujours amplement suffi pour subvenir aux besoins de ma famille.» Les policiers lui auraient alors lancé «kiete sa ?», en exhibant le colis sous son nez ; ce à quoi il aurait répondu : «Ou ki bizin dir mwa parski pena nanye kot mwa.» Après avoir examiné la boulette en sa présence, les limiers lui ont affirmé qu’il s’agissait d’héroïne. Wayne Attock dit avoir alors rétorqué aux officiers de l’ADSU : «J’ai quatre enfants, j’ai une femme malade et hospitalisée. Mo fer serman lor latet mo fami ki pa ti ena nanye kot mwa.» Il a ensuite été embarqué.

 

«Cauchemar»

 

Mais son «cauchemar», dit-il, aurait commencé il y a un moment. Le jeune homme affirme que depuis l’année dernière, des officiers de la brigade antidrogue cherchent à l’intimider. «Zot ti dir mwa ki zour zot pou vinn kot mwa, mo pou al dan prizon. Je leur avais demandé pourquoi je devrais être arrêté si je ne faisais rien de mal.» Suivant les conseils de son entourage, il avait donc fait installer des caméras de surveillance chez lui. Entre-temps, les perquisitions à son domicile se sont succédé. Il revient même sur la fois où les limiers de l’ADSU avaient brisé une vitre pour accéder à sa maison : «Sa zour-la, mo lakle pa ti ar mwa, li ti ar mo madam Ros-Bwa. Zot ti dir mwa zot la pou enn la fouy, zot ti ena enn manda. Mo pann fer okenn rezistans ek mo pa finn port plint.» Rien n’avait été saisi chez lui ce jour-là et lors des autres perquisitions mais il avait tout de même fini par jurer un affidavit en Cour suprême en avril, cette année, pour dénoncer des «intimidations» car il craignait d’être piégé à l’avenir. 

 

Lorsqu’une accusation provisoire de trafic de drogue a entaché sa réputation après son arrestation en novembre, alors qu’il avait un casier judiciaire vierge jusque-là, ça a été l’horreur, confie-t-il : «Mo ti pe trouv partou pe bloke. Mo ti pe ale-vini lakour, retourn dan cell, mo moral ti down. Bann lespri negatif inn koumans pas dan mo latet.» Ce qui lui a permis de tenir le coup, explique-t-il, «ce sont les paroles d’amis que j’ai rencontrés pendant ma détention. Il m’ont apporté leur soutien, m’ont demandé de garder la foi car “Bondie pou fer so travay”.» Après quelque temps, il a pris connaissance, à travers son homme de loi, de l’existence de certaines «preuves» pouvant l’innocenter. «Il m’a appris que mon épouse lui avait remis le DVR et m’a demandé ma permission pour récupérer une vidéo. Il m’a expliqué que celle-ci contenait des images prouvant que de la drogue avait été plantée chez moi et qu’il fallait qu’il les récupère dans le cadre de l’enquête. Monn soulaze !»

 

En apprenant sa libération sous caution, il a sauté de joie : «Cela a été un soulagement, un grand bonheur ; c’est un sentiment inexplicable. J’étais tellement heureux que je n’arrivais pas à parler, à exprimer ma joie. Je n’avais qu’une hâte : rentrer chez moi pour retrouver mon épouse et mes enfants. Mo ti kone ki mo papa ousi ti pe strese, ki so latet ti pe fatige. Mo ti anvi mo fami trouv mwa deor pou zot nepli fatig zot.» Bien que toujours très tourmenté, il ne peut s’empêcher de sourire en repensant aux retrouvailles avec ses enfants. «Zot inn telman kontan ki zot inn plore. Les trois plus jeunes ne comprennent pas ce qui m’est arrivé, l’un pense que j’étais allé pêcher et un autre, que je rentre d’un séjour à Rodrigues.» Par contre, son aîné sait qu’il était en détention. «Il a vu des vidéos de la perquisition sur TikTok et ne cessait de demander à mon entourage quand j’allais rentrer à la maison. Il me posait la même question à chaque fois que nous parlions au téléphone.»

 

Rumeurs

 

Beaucoup de rumeurs ont circulé quant à ses sources de revenus. Suite à son arrestation, des bijoux, un bateau et plusieurs véhicules avaient été saisis, laissant supposer que Wayne Attock blanchissait de l’argent. À cela, il répond : «Kouma mo pou blansi enn kas ki deza prop ? Je travaille, j’ai les reçus de mes transactions. Je suis payé en chèques. Ma compagnie est enregistrée depuis deux ans.» Avant de devenir le directeur de cette entreprise de pêche, explique-t-il, «je faisais déjà de l’élevage. Mo ena enn park dan Ros-Bwa, lor terin mo fami. Mo ena de lezot dan St-Martin. Le premier nous a été offert par mon beau-père et le second m’a été confié par un ami de mon père car il est trop âgé pour s’en occuper». En ce qui concerne les véhicules saisis, poursuit-il, «le 4x4 Raptor ne m’appartient pas ; je l’ai pris en location d’un ami de mon oncle à l’occasion du mariage d’un cousin et ne l’avais pas encore ramené». L’une des voitures, dit-il, «ti avek mwa pou mo regle so kalibraz. Je suis passionné de tuning et devais la tenir prête pour une compétition car celui qui devait s’en charger n’était pas à Maurice». Quant au bateau saisi, il explique l’avoir acheté à Rs 100 000 à un habitant de Pointe-d’Esny il y a deux ans. «Il n’était pas en état de naviguer. J’étais toujours en train de le réparer car je suis passionné par la mer et la pêche. J’espère même pouvoir, plus tard, obtenir ma licence de skipper.»

 

Sa libération, rappelle-t-il, il la doit non seulement à Me Rama Valayden, qui l’a épaulé, mais aussi à son épouse Capricia, qui a toujours cru en son innocence. Celle-ci est au comble du bonheur aujourd’hui : «Mo kontan, mo erez. Ce n’était pas facile ; mes enfants et moi avons beaucoup souffert. C’était dur de ne pas l’avoir à mes côtés. Me ena enn Bondie lao, linn trouve kinn arive.» Après qu’elle a entamé ce combat, dit-elle, «enn dimounn ti aret ar mwa lor sime. Il portait un casque intégral, je n’ai pas pu l’identifier. Il m’a lancé : “Seki ou pe fer-la, bann-la pou fini ou ek fini ou fami net”.» Depuis, elle craint également pour sa sécurité et celle de leurs enfants. Si elle a pu «innocenter» son époux, elle lance un appel à ceux subissant le même sort de «pran kouraz, ena enn Bondie lao. La justice triomphera tôt ou tard». Concernant les policiers impliqués, elle se demande : «Peuvent-ils encore se regarder en face ? N’ont-ils pas honte ? Kot pou zot sete enn laglwar, mwa ek mo bann zanfan ti pe plore.»

 

Bien qu’incertain de ce que lui réserve l’avenir, Wayne Attock dit espérer une chose : «Ki zot les mwa ek mo fami trankil, les nou viv nou lavi parey kouma nou ti pe fer avan. Mo pa ampes zot travay, me fer li kouma bizin. Si zot vinn kot enn dimounn ek si pena nanye, zot pa kapav met kitsoz. Nou finn resi dekouver ki zot inn fer, demaske zot, me mo pena nanye kont zot. Mo met tou dan lame Bondie.»

 


 

Rama Valayden compte entamer un «civil case» contre l’État et les neuf officiers impliqués

 

Il estime que le combat contre la drogue doit être mené de manière noble et non pas dans le but de piéger ses adversaires ou ses ennemis. À Maurice, estime Rama Valayden, «environ 40 % des opérations fructueuses de l’ADSU sont dues au planting. Li pe vinn enn viris». Il se désole que «beaucoup d’officiers se laissent tenter par la facilité en voyant leurs “compétiteurs” collectionner les saisies. Toute la profession légale, tous les avocats chevronnés vous le diront : le planting existe.» Il estime que le dénouement dans l’affaire Attock incitera plus d’innocents à se battre pour faire connaître la vérité.

 

Aux côtés de son client lors d’une conférence de presse, ce jeudi 15 décembre, Me Valayden a fait part de son intention d’entamer un procès au civil contre l’État et contre les neuf officiers de la brigade antidrogue qui ont participé à cette opération «douteuse». Il a lancé un appel au commissaire de police pour que les forces de l’ordre utilisent des body-cams lors de leurs descentes. Dans une correspondance adressée au CP et datée du même jour, il demande à ce dernier des explications sur le fait que ce n’est plus le Central Criminal Investigation Department (CCID) mais l’Independent Police Complaints Commission (IPCC), qui serait déjà en sous-effectif, qui enquête sur l’affaire Attock. Il veut aussi savoir si l’IPCC sera en mesure de lui dire comment les officiers impliqués ont pu obtenir la drogue «plantée». «Le colis leur a-t-il été remis par de gros barons de la drogue ayant des affiliations politiques ? L’ADN de ces officiers a-t-il été prélevé à ce stade ? Le CCID a-t-il cherché à comprendre pourquoi l’une des caméras a été manipulée ?» Tant de questions qui restent jusqu’ici sans réponse.

 

Quoi qu’il en soit, Me Valayden persiste et signe : ces neuf officiers, dit-il, doivent être suspendus et non transférés.