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Par Yvonne Stephen
9 juin 2014 13:46
La rupture est brutale. Et c’est Paul Bérenger qui l’a décidé… contre toute attente. Et après une matinée où le cœur semblait battre la chamade pour le PTr, le leader du MMM a décidé que l’alliance PTr-MMM était «off». C’était, hier, le samedi 7 juin, à l’issue du Comité central des Mauves, aux alentours de 16 heures, qu’il a lâché la bombe qui n’a pas manqué d’exploser. Pourtant, quelques heures plus tôt, il animait un point de presse avec Navin Ramgoolam à la Clarisse House, après une rencontre qui a duré environ deux heures où il était question de réforme électorale, de deuxième République et, bien sûr, d’alliance. Néanmoins, le vent a vite tourné.
Pourquoi ? Paul Bérenger l’a expliqué sans entrer dans les détails : «Navin Ramgoolam a subi des pressions et il a remis en question des points qui avaient été décidés. Nous nous attendions à ce qu’il y ait des pressions. Mais that’s it, on s’arrête là», a-t-il déclaré. Même s’il se dit «bien chagrin» et qu’il estime que le PTr et le MMM ratent leur «rendez-vous avec l’histoire», il souhaite «garder de bonnes relations» avec Navin Ramgoolam. Et cela, même si la «page de l’alliance avec le PTr est bien tournée» pour les prochaines élections.
Ne voulant pas laisser de place aux suppositions, Paul Bérenger a précisé qu’une alliance avec le MSM n’était pas, non plus, à l’ordre du jour : «Nous allons seuls et nous aurons une bonne majorité.» Contacté, le Prime Minister’s Office n’a pas souhaité faire de commentaire pour l’instant. L’état-major des Rouges reste également silencieux. Seul Navin Ramgoolam, lui-même, est en mesure de faire part de sa réaction face à ce retournement brutal de situation. Pravind Jugnauth, leader du MSM, formation politique que Paul Bérenger a délaissée au profit d’une alliance PTr-MMM, estime ne pas avoir assez d’informations pour réagir.
Idem pour Aurore Perraud, directrice de communication du PMSD, parti qui a quitté l’alliance gouvernementale suite aux propos de Navin Ramgoolam après son bureau politique du jeudi 5 juin (voir les réactions en hors-texte). Le chef du gouvernement déclarait alors : «Toutes les conditions sont réunies pour une alliance PTr-MMM.» La volte-face de Paul Bérenger fait trembler l’échiquier politique. Et sa décision soulève beaucoup de questions concernant ces fameux points sur lesquels Navin Ramgoolam est revenu. Souhaitait-il que le projet de loi sur la réforme électorale soit présenté – et voté – avant les élections alors que Navin Ramgoolam estimait qu’il était suffisant de voter un amendement au premier schedule de la Constitution en remplaçant le mot «shall» par «may» ?
Une mesure nécessaire pour que, lors du nomination day, les candidats ne soient pas dans l’obligation de décliner leur appartenance ethnique. Une nécessité pour Navin Ramgoolam car le gouvernement mauricien s’est engagé auprès des Nations unies concernant cette réforme électorale. Cet organisme international avait estimé qu’il s’agissait d’une violation des droits fondamentaux de tout candidat en vertu de l’article 25 de l’International Covenant on Civil and Political Rights.
Le partage des tickets serait également une autre probable raison du désamour entre Paul Bérenger et Navin Ramgoolam. Depuis le bureau politique rouge, des voix travaillistes se sont élevées pour décrier la formule 30-30 qui n’était pas appropriée, selon eux. Ils auraient exigé plus de candidats sur la liste rouge.
Justement, la liste rouge aurait également provoqué des frictions. Il se murmure que Paul Bérenger n’aurait pas apprécié que le chef du gouvernement insiste pour que Hervé Aimée soit présent sur cette liste et que Kalyanee Jugoo demeure à la circonscription nº4, c’est-à-dire Port-Louis Nord/Montagne-Longue. La principale concernée n’a pas souhaité faire de commentaire à ce sujet. «Je ne suis pas au courant», nous a-t-elle déclaré. Le cas Kailash Purryag vs Arvind Boolell comme numéro deux d’une éventuelle alliance PTr-MMM aurait également été la cible du mécontentement du leader du MMM. Paul Bérenger aurait une préférence pour l’actuel Président de la République, néanmoins, il se chuchote que le camp Boolell aurait fait pression sur Navin Ramgoolam.
Les détails précis qui ont provoqué la fin des discussions autour d’une alliance PTr-MMM seront certainement connus dans les jours à venir. Après la période de roucoulement, il faudra bien des munitions à Paul Bérenger pour animer ses points de presse hebdomadaires. En parlant de point de presse, celui qui a eu lieu hier, en début d’après-midi, a désormais l’air d’une obscure farce. La table était dressée pour deux. Des fleurs apportaient une touche de couleur. Quelques anthuriums (qui signifient, dans le langage des fleurs, selon les interprétations, «fougue sensuelle» ou encore «amour passion») donnaient un peu de hauteur au bouquet. Et c’est un Navin Ramgoolam et un Paul Bérenger visiblement «happy» (au point de se lancer sur une reprise du tube de Pharrell Williams : «It might seem crazy what I’m about to say…») qui s’étaient retrouvés face à la presse après des semaines de tergiversations et de «koz koze» par personnes interposées ou pas.
Les deux hommes arboraient la même couleur de chemise : du bleu. Paul Bérenger était en mode col ouvert. Navin Ramgoolam avait, lui, sorti la cravate. Un signe d’accord… qui ne devait pas durer. Navin Ramgoolam devait prendre la parole en premier et évoquait le projet de loi sur la réforme électorale qu’il a reçu «très tard», la veille. Paul Bérenger avait, lui, pris connaissance du document le matin même. Le chef du gouvernement devait dire son souhait de faire de Maurice un modèle, de consolider l’unité nationale et d’approfondir la démocratie avec l’aide de «kamarad Paul» qui, lui, ne cessait de regarder ses fiches alors que Navin Ramgoolam s’exprimait.
Quand le leader du MMM a pris la parole, Navin Ramgoolam était, lui, attentif, il écoutait les déclarations de Paul Bérenger, riait à ses sautes d’humeur et acquiesçait avec le sourire. Et cela, même quand le leader de l’opposition a décidé de tempérer les ardeurs rouges. «L’alliance n’est pas encore faite», déclarait-il alors que le leader du PTr tenait, lui, un discours beaucoup plus ensoleillé. Paul Bérenger avait-il déjà pris sa décision ? Difficile de le dire, car au fil de l’exercice de communication, ces propos devaient se réchauffer : «Je suis amoureux de l’histoire du PTr. Peut-être qu’à force de rencontres, je tomberai amoureux du parti.»
Néanmoins, la difficulté des choix à faire dans le cadre d’une alliance devait être évoquée : «J’ai 20 personnes ministrables dans mon équipe. Même avec un 60-0, il n’y aura que 12 postes à pourvoir. Je ne peux pas faire de miracle.» Un état de choses que comprenait parfaitement Navin Ramgoolam : «C’est difficile pour deux grands partis de s’entendre. Mais c’est notre souhait de le faire.» On avait l’impression que le coup de foudre politique faisait voir la vie en rose. «C’est le rôle du chef de l’opposition de critiquer», estimait Navin Ramgoolam alors qu’il était question des critiques de Paul Bérenger ces dernières années. Néanmoins, le leader du MMM devait préciser qu’il ne revenait pas sur ses propos et qu’il n’avait pas fini de se battre contre les scandales (cette fois, il avait ajouté le terme «alléguées») qu’il dénonçait depuis des mois. «Je ne retire rien de ce que j’ai dit. Mais je ne peux pas rester prisonnier du passé», précisait-il. D’ailleurs, il semblait qu’ils avaient trouvé la solution pour commencer une nouvelle histoire : la mise en place d’un Serious Fraud Office pour remplacer l’Independent Commission Against Corruption.
Tout semblait aller bien dans le meilleur des mondes. On ne s’inquiétait pas, semble-t-il, de la possibilité de ne pas avoir la majorité à l’Assemblée nationale, suite à cette alliance, élément nécessaire pour faire voter la réforme électorale et concrétiser le projet de deuxième République. Les militants n’étaient pas contre cette alliance, estimait Paul Bérenger : «Le programme du PTr et du MMM est fondamentalement le même.» Le leader du MMM n’avait jamais demandé la tête de certains ministres même pas celle de Rajesh Jeetah qu’il verrait bien en prison afin de conclure une alliance : «C’est une information fausse», lançait le chef du gouvernement. Les sacrifices afin de pouvoir mettre en place une liste de candidats étaient un mal nécessaire. En somme, aucun obstacle ne semblait infranchissable !
Entre le leader du MMM qui lançait des «Navin» à tout va et le chef du gouvernement qui cherchait du regard «kamarad Paul», ça roucoulait ferme à la Clarisse House. Mais le temps de la lune de miel n’a pas duré. C’était encore un mauvais scénario pour cette telenovela politique.
Depuis l’annonce de Paul Bérenger, la marmite politique est en ébullition. C’est le temps des rumeurs ! Une en particulier concerne le PMSD. Se pourrait-il que l’ancien allié du Labour Party retourne au bercail ? La question est posée. Néanmoins, au niveau des Bleus, on ne souhaite pas faire de commentaire pour l’instant. Aurore Perraud, directrice de communication du parti, elle, ne souhaite pas faire de déclaration : «Comme tout le monde, je viens d’apprendre que les négociations entre le PTr et le MMM sont finies. Nous sommes sous le choc. C’est difficile d’avoir une réaction à chaud. Nous avons besoin d’un temps de réflexion.»
Lors d’un point de presse, le vendredi 6 juin, le leader du PMSD, Xavier Luc Duval avait énuméré ses raisons de quitter le gouvernement. Néanmoins, il avait précisé qu’il se séparait en bons termes de Navin Ramgoolam. D’autre part, le chef du gouvernement a lui aussi eu des propos similaires, lors du point de presse avec le MMM, hier : «Le PMSD n’était pas d’accord avec la réforme électorale, le seuil d’éligibilité et d’autres choses, et a préféré rompre avec le PTr. Nous respectons ce choix. Nous nous sommes séparés en bons termes» Est-ce que la séparation sera de courte durée ? Affaire à suivre…
Mais où se trouve donc Maurice Allet ? À hier soir, même Xavier Luc Duval, le leader du PMSD, ne savait pas où il se trouvait. À tel point qu’il devait lancer, en début de soirée, un avis de recherche sur son compte Facebook. «Avis de recherche lancé pour retrouver Mons. Maurice Allet. Mons. Allet si vous lisez ce message veuillez contacter la direction du PMSD», pouvait-on ainsi lire sur son mur.
Il ne semble pas vraiment étonné de la tournure qu’ont pris les événements. Que Navin Ramgoolam revienne sur des points déjà décidés ne semble pas le surprendre. Le leader du MSM, Pravind Jugnauth, ne voulait, néanmoins, pas en dire plus : «Je n’ai pas assez d’informations en ma possession. Je maintiens, simplement, ce que j’ai dit lors de ma conférence de presse plus tôt.» Et c’est en fin de matinée hier, samedi 7 juin, que Pravind Jugnauth s’était exprimé. Selon lui, Navin Ramgoolam et Paul Bérenger avaient kidnappé le «pouvoir politique pour satisfaire leurs ambitions et intérêts personnels» : «Ramgoolam et Bérenger ont utilisé la réforme électorale pour dévier l’attention de la population. Il n’y aura pas de réforme électorale pour les prochaines législatives. Leur grand discours sur la portée historique de la réforme électorale n’a été qu’une mascarade.» Il a également déclaré que Paul Bérenger avait «abdiqué de sa responsabilité constitutionnelle». «Quand Navin Ramgoolam a annoncé qu’il fera alliance avec le MMM, Paul Bérenger a été ému. Il ne manquait que les larmes. Son amour pour Navin Ramgoolam vient briser l’espoir de la majorité de la population pour un véritable changement politique.» Il s’est également dit prêt à écouter Xavier Luc Duval.
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