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Par Elodie Dalloo
24 avril 2023 20:49
Depuis qu’ils se sont rencontrés grâce à des amis communs, il y a plus d’une cinquantaine d’années, André et Yvonne ne se quittaient plus d’une semelle. «Notre mère vivait à Mahébourg et notre père à Rose-Hill. Il faisait le voyage régulièrement pour aller la voir, l’emmener se promener, faire le tour de l’île. Ma mère me racontait souvent comment mon père épluchait ses mandarines ; il enlevait tout le blanc», relate Jennifer, la fille du couple, en riant.
À première vue, cela semble être une petite anecdote, drôle aussi. Mais c’était l’une des nombreuses raisons qui ont convaincu Yvonne qu’André partagerait le reste de son existence. Avec leur différence d’âge, «notre père disait souvent qu’il serait le premier à partir mais notre mère détestait qu’il aborde le sujet. C’était même devenu tabou. Elle ne voulait pas imaginer la vie sans lui», raconte David, le fils du couple.
Après s’être dit «oui», André et Yvonne ont emménagé ensemble à Beau-Bassin et les années suivantes, l’arrivée de Jennifer et David n’a fait qu’accroître leur bonheur. André était alors employé chez British American Tobacco (BAT), alors qu’Yvonne était enseignante. «Nous avons la chance d’avoir eu des parents aimants, qui se sont toujours préoccupés de nous. Mon père était particulièrement très familial. Nous dînions toujours en famille. Le samedi et le dimanche, nous prenions aussi le petit-déjeuner ensemble. Parfois, en semaine, notre père nous préparait un véritable festin ; il était passionné par la cuisine», confie Jennifer.
De sa mère, elle garde surtout le souvenir d’une femme toujours soucieuse. «Plus jeunes, lorsque nous sortions et rentrions tard à la maison, elle nous ouvrait la porte avant même qu’on ait le temps de frapper. On dirait qu’elle sentait déjà notre présence. Son inquiétude ne s’est jamais estompée avec le temps; elle nous demandait toujours d’être prudents en prenant le volant.» André et Yvonne se complétaient même dans leurs passions respectives. «Mon père aimait le bricolage et la logistique, tandis que ma mère aimait la lecture et l’esthétisme», se souvient-elle. «Ils étaient complémentaires à tous les niveaux.»
C’est lorsqu’ils ont pris leur retraite qu’André et Yvonne se sont davantage rapprochés. «Avant cela, chacun travaillait et quand ils rentraient, il fallait s’occuper des enfants. Lorsque nous sommes partis, mon père a pris sa retraite en premier. Puis, ma mère, devenue maîtresse d’école, a pris une retraite anticipée pour pouvoir passer plus de temps avec lui. Elle était consciente de leur différence d’âge et voulait profiter de chaque instant à ses côtés. Ils ne se séparaient jamais l’un de l’autre et se cherchaient des yeux même pendant leurs courses au supermarché», rigole Jennifer.
André et Yvonne allaient régulièrement prendre le café ensemble à Bagatelle, déjeuner à Port-Louis… Ils étaient très actifs. Ils faisaient aussi partie d’un groupe de troisième âge avec lequel ils organisaient des sorties. Tous les ans, se rappelle David, «ils faisaient en sorte de voyager. Ils ont vu les chutes du Niagara, ont fait le tour de l’Asie, sont partis au Vietnam et ont vécu quelques mois à Singapour lorsque mon père a dû s’y rendre pour des soins médicaux. Leur dernier voyage remonte à 2019, avant la Covid, lorsqu’ils se sont rendus à Montréal, puis à New-York. C’était le plus grand rêve de mon père de visiter cet endroit». Et puis, la maladie a frappé.
Yvonne a été la première à tomber malade. Son frère étant établi au Canada, raconte Jennifer, «j’avais ramené mes parents chez moi. Ils ne pouvaient plus vivre seuls. Pour ma mère, nous savions déjà qu’elle était malade mais par la suite, je me suis aperçue que mon père, bien que très autonome, avait besoin d’une attention particulière. Il oubliait plein de choses. Il allait bien, dans l’ensemble, mais son état de santé a commencé à se détériorer». Elle poursuit : «À chaque fois, c’était comme une course ; il y avait toujours l’un ou l’autre qui était malade au cours des 14 derniers mois.»
À la mi-mars, cette année, c’est cette fois l’état de santé d’Yvonne qui s’est détérioré. Après deux semaines en clinique, elle a pu rentrer à la maison mais était alitée. À peine une semaine après son retour, André, qui n’avait pas de gros problèmes de santé jusqu’ici, a commencé à aller mal. «On a vu le déclin fulgurant de l’état de santé de mon père. Comme si cela s’était précipité pour qu’il puisse accompagner ma mère qui était déjà mourante.» Admis en clinique, il y a rendu l’âme le samedi 15 avril.
Après avoir donné son dernier sacrement à leur mère mourante, le même jour, Jennifer et David lui ont annoncé le décès de son époux, sa moitié. «Nous ne savons pas vraiment si elle avait compris ce qui se passait, vu qu’elle n’était plus en mesure de parler.» Après avoir entamé toutes les démarches administratives, il était prévu que les funérailles d’André aient lieu le lundi 17 avril, dans la matinée. «Avant de quitter la maison pour la cérémonie mortuaire, nous l’avons annoncé à ma mère et l’avons laissée en compagnie d’une Carer.» Il était 9h15 lorsque celle-ci a tenu les mains d’Yvonne et lui a dit qu’une heure plus tard, elles prieraient ensemble pour son époux dont les obsèques auraient lieu à cette heure. «Ma mère a aussitôt cligné des yeux, versé une larme et elle est partie. Lorsque la Carer nous a appelés pour nous l’annoncer, j’ai tout annulé pour rentrer pour un constat et les démarches administratives. Nous avons fait une veillée à nouveau le lundi soir, puis nous nous sommes arrangés pour faire les funérailles des deux, ensemble, le mardi 18 avril. Nous trouvons cela tout de même beau qu’ils soient unis dans l’éternité.» David en est persuadé : «Subconsciemment, ils étaient connectés. Ils savaient, plus ou moins, ce qui se passait. Si l’un était parti avant, l’autre aurait beaucoup souffert.»
Depuis le départ de leurs parents, à uniquement deux jours d’intervalle, Jennifer et David ne croient plus au hasard. Ils repensent, d’ailleurs, au magnifique papillon de nuit qu’ils avaient d’abord aperçu dans leur maison, le jour du décès de leur père, puis retrouvé sur la table de chevet de leur mère le lendemain des funérailles. «Nous nous sommes posé beaucoup de questions sur ce que cela représentait et nos recherches nous ont démontré qu’en islam, le papillon de nuit et la flamme représentent l’autodestruction et la renaissance dans l’essence divine. Nous avons l’impression que cela symbolise notre père, qui s’est jeté dans les flammes en tombant malade et a quitté ce monde avant notre mère, déjà mourante, pour l’aider à partir plus sereinement.» Ils repensent également à la séance photo à laquelle avaient participé leurs parents, dix ans plus tôt (comme le témoigne notre photo en couverture), «pour avoir de beaux clichés à exposer le jour de leurs funérailles. Nos parents avaient fait des photos individuelles mais aussi une photo ensemble. Nous leur avons toujours demandé à quoi elle servirait, sans jamais nous imaginer qu’ils quitteraient ce monde ensemble, et ils nous répondaient que c’était «au cas où», comme s’ils savaient ce qui les attendait».
Si le départ de leurs parents les attriste, Jennifer et David sont tout de même rassurés qu’ils aient quitté ce monde après avoir réalisé tous leurs rêves. «Ils ont visité tous les endroits qu’ils souhaitaient mais voulaient aussi être sûrs que leurs enfants ne manquent de rien. Ils n’avaient plus de souci à se faire à ce niveau-là et ont eu deux petits-enfants – Jin et Vann. Ils sont partis sereins.» Ils remercient particulièrement Danielle, Dorianne et Marie-Claude, des Carers dévouées, qui se sont occupées de leurs parents jusqu’à leurs derniers instants…
Les Or Kam Fat ne sont pas les seuls à avoir quitté ce monde l’un après l’autre. En 2021, Amatul Mateen Khudurun et son époux Abdool Azize ont succombé à la Covid-19 à deux jours d’intervalle. Amatul Mateen Khudurun a commencé à avoir les premiers symptômes de la maladie le 12 novembre, avant d’être admise aux soins intensifs de l’hôpital Jeetoo. Le même jour, son mari, qui avait des problèmes respiratoires, a cessé de s’alimenter. Il a, à son tour, été transporté à l’hôpital et a été placé sous oxygène lorsque son test antigénique a révélé qu’il avait aussi contracté la Covid-19. Ils ont succombé à la maladie les 20 et 22 novembre 2021 respectivement. En 2018, Vincent et Pamela Lo Thiap Hing sont décédés à neuf jours d’intervalle. Durant leurs longues années de vie commune, mari et femme étaient inséparables, nous avait confié un membre de leur entourage. Ils auraient célébré leur 67e anniversaire de mariage si la maladie ne les avait pas emportés le 13 et le 22 novembre respectivement.
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