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Anielle Jellin-Utile : «Commençons par revoir le système de la méthadone»

19 août 2015

Le traitement des utilisateurs de drogue injectable à travers la méthadone est utilisé à Maurice depuis plusieurs années. A-t-il fait ses preuves selon vous ?

 

Le traitement des utilisateurs de drogue injectable à travers la méthadone existe depuis 2008 et le programme d’échange de seringues depuis 2006. Je pense que ces deux programmes ont fait leurs preuves. D’ailleurs, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le taux de VIH-Sida a diminué de 60 % chez les personnes qui s’injectent des drogues. Ainsi que le taux de criminalité, qui est de - 60 % chez les personnes qui se droguent par intraveineuse.

 

Vous qui êtes sur le terrain, est-ce que vous avez assisté à des changements de vie pour les personnes qui suivent ce traitement ?

 

Bien sûr ! Mais avant la décentralisation. Depuis ce changement, les utilisateurs de drogue injectable sont plus nombreux. Beaucoup de ceux qui prenaient le traitement à la méthadone reviennent sur les sites d’échange de seringues. Pourquoi ? Parce qu’à leur avis, l’heure et le lieu de distribution ainsi que les doses proposées ne sont pas adéquats. J’ai rencontré des personnes qui suivaient le traitement à la méthadone depuis le début du programme et qui avaient réussi à réintégrer la société et qui, maintenant, reviennent vers nos sites d’échange.

 

La décentralisation, une fausse bonne idée ?

 

C’est triste et révoltant de voir ces personnes qui sont traitées comme des moins que rien. Leur donner un médicament dans une station de police, c’est stigmatisant et discriminatoire. Six patients sur dix arrivent à s’en sortir avec le traitement à la méthadone, mais les Mauriciens ne veulent voir que les quatre qui n’y arrivent pas. Ils ne se sont jamais posé la question de savoir pourquoi ces personnes s’asseyaient sans rien faire après avoir pris leur dose. La réponse est simple : ils n’ont pas de certificat de moralité et ils n’arrivent pas à trouver un emploi. C’est très difficile de trouver du travail quand on a été condamné pour un délit de drogue. Ces gens préfèrent rester dans la rue plutôt que de rentrer chez eux pour entendre les mêmes remarques de leurs proches qui leur ressassent sans arrêt qu’ils ne font rien.

 

Ces derniers jours, on a beaucoup parlé de la «méthabave». Pouvez-vous expliquer de quoi il s’agit exactement ?

 

C’est de la méthadone qu’on boit et qu’on recrache, qu’on stocke dans des petits conteneurs ou petits sacs en plastique, et qu’on refourgue à quelqu’un d’autre. Cette pratique est assez dangereuse car, si une personne à la tuberculose, elle peut très bien la transmettre à une autre.

 

La méthadone est donc utilisée comme une drogue par certains usagers ?

 

Oui. Certaines personnes utilisent la méthadone pour «tenir» plus longtemps pendant l’acte sexuel. Une dose peut se vendre à Rs 100 – Rs 200. Cette pratique peut être fatale car ces personnes ne se sont jamais injectées de drogue. D’ailleurs, la dose consommée n’est pas prescrite par un médecin.

 

La suboxone, un des traitements médicamenteux préconisés par le ministère, réglerait ce problème selon le ministère. Qu’en pensez-vous ?

 

Ni l’United Nations Office on Drugs and Crime ni l’Organisation mondiale de la Santé n’a préconisé la suboxone ou la naltrexone dans sa charte de réduction des risques.

 

La suboxone et la naltrexone sont les traitements qui devront être utilisés pour les nouveaux patients qui veulent guérir de leur addiction. Quel est votre avis sur le sujet ?

 

Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Ce sera un fiasco. Car nous ne connaissons pas très bien ces nouveaux médicaments. De plus, changer de substances ne suffit pas. Le suivi psychosocial est essentiel pour la réussite de tels programmes. Pointer du doigt les ONG parce qu’elles se sont engagées à faire ce suivi et qu’elles n’y arrivent pas, ce n’est pas juste. Pour que nous puissions le faire, il faut nous donner les ressources nécessaires. Ce qui n’est pas le cas actuellement. Je crois qu’il faut avancer étape par étape et commencer par revoir le système de la méthadone.

 

Dans un communiqué, plusieurs ONG, dont CUT, qui viennent en aide aux utilisateurs de drogue injectable, ont fait part de leur point de vue concernant cette décision ministérielle. Pour elles, il faudrait proposer les trois traitements. Quelle est le vôtre ?

 

Mettre de côté le traitement à la méthadone pour les nouveaux patients, c’est leur priver d’un choix. Avant la méthadone, il y avait le detox (un mélange de codéine et de valium). Pour certains patients, ça a fonctionné, pour d’autres non. Ce sera la même chose avec ces nouvelles substances. Pour de meilleurs résultats, il faut offrir un choix à l’utilisateur de drogue injectable qui veut s’en sortir. Le gouvernement veut apporter la suboxone et la naltrexone, tant mieux. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut oublier la méthadone. En lui proposant ces trois alternatives, l’utilisateur de drogue injectable pourra décider quel médicament lui convient le mieux car lui seul connaît ses besoins. Le ministre de la Santé estime que la suboxone peut guérir de la dépendance en six mois. C’est facile de dire ça ! Mais est-ce réalisable ? Je ne crois pas.

 

Plusieurs solutions sont proposées au patient. N’y a-t-il pas de risque que la situation soit mal gérée ?

 

C’est très probable. Surtout que, pour une personne souffrant d’hépatite C, ce qui est le cas de 96 % des utilisateurs de drogue injectable, la suboxone ne peut être prescrite. Il faut d’abord traiter la maladie.

 

Comment expliquer que le ministre Gayan n’ait pas fait le pas vers les ONG lors de cette prise de décision ?

 

A mon avis, il pense que ses docteurs et lui pourront tout régler. Mais c’est du grand n’importe quoi ! Cela fait un moment que les autorités gouvernementales sont déconnectées de la réalité du terrain. CUT a commencé l’échange de seringues en toute illégalité afin de pouvoir montrer des chiffres au ministère de la Santé, à l’époque. Pour montrer les problèmes qu’allait engendrer la non prise en compte de cette réalité de l’utilisateur de drogue injectable. Aujourd’hui, M. Gayan vient dire que ce programme, ainsi que celui de la méthadone, n’a pas fonctionné. Il s’appuie sur quoi ? Nous, nous sommes sur le terrain et nous en connaissons la réalité.

 

Quel est le «stand» de CUT par rapport à la légalisation/dépénalisation du gandia ? Débat qui fait rage en ce moment à cause de l’ampleur que prennent les drogues synthétiques.

 

Nous sommes pour une politique moins répressive concernant les usagers des drogues.

 

Les drogues synthétiques justement, quel est votre constat sur le terrain ?

 

Ces drogues font beaucoup de dégâts auprès des jeunes. Nous n’avons que très peu d’informations concernant les produits eux-mêmes. Comment faire de la prévention alors ? C’est compliqué. Je n’ai pas encore pu avoir une personne fiable qui pourrait me dire quels sont les produits qui sont utilisés pour créer ces drogues.

 


 

Bio express

 

Anielle Jellin-Utile est la Monitoring and Evaluation Officer de l’ONG CUT. Son engagement dans le social ne date pas d’hier. Comme elle a grandi dans une «cité», explique-t-elle, elle a toujours voulu faire quelque chose. «J’ai vu les ravages de la drogue, je ne pouvais pas rester insensible», confie-t-elle. Depuis ses 18 ans, elle est engagée dans le social. A son niveau d’abord : en aidant ceux qui en avaient besoin à se rendre dans les centres de santé. Après quelques années dans le data entry, elle a rejoint CUT, il y a quatre ans, pour œuvrer dans l’administration. Puis elle s’est intéressée de plus près au terrain et a trouvé sa voie.

 


 

Ma semaine d’actu

 

Quelle actualité locale a retenu votre attention cette semaine ?

 

L’histoire de ce petit garçon qui a péri dans l’incendie de sa maison à Bon-Accueil. Je suis maman et je me dis que ce genre de drame peut arriver à tout le monde. J’ai été très touchée par les conditions dans lesquelles vit cette famille.

 

Que lisez-vous actuellement ?

 

Je lis les articles d’actualité, tout ce qui concerne le ministère de la Santé.

 

Qu’avez-vous retenu de l’actualité internationale ?

 

Que les débris retrouvés à La Réunion viennent bien du MH 370 de Malaysia Airlines.

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