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Après des années d’enfer conjugal, Micheline Jolicoeur tue son compagnon Jean-Noël Natian : légitime défense ou crime prémédité… l’entourage du couple s’interroge

25 février 2024

La victime s'est vidée de son sang dans la chambre à coucher avant de rendre l'âme.

Ils étaient séparés depuis un bon moment après avoir vécu ensemble pendant une dizaine d’années. Cela faisait déjà un peu plus d’un an que Marie Lourdes Jolicoeur, plus connue sous le nom de Micheline, âgée de 49 ans, avait tout bonnement abandonné le domicile de son concubin Jean-Noël Frederic Natian, 50 ans, pour retrouver sa terre natale, l’île Rodrigues. Pour ceux qui côtoyaient le couple, ce départ subit n’avait rien de surprenant car la quadragénaire avait subi les coups de son compagnon pendant bien trop longtemps. «Linn bien gagn bate ; lipie kase, lamaswar kase. Misie-la ti pe tegn sigaret lor mo mama. Linn bien tortir li. Komie fwa mo mem monn bizin sorti lakaz, vinn sers li, parski boug-la inn bat li, inn met li dormi deor dan lapli», relate tristement Nina, la fille de la suspecte, issue d’une précédente union.

 

Ces faits sont confirmés par Feroz, un voisin : «Boukou fwa kan madam-la ti pe gagn bate, nou ti pe bizin rantre pou tire. Toulede ti korek, me kan zot ti pe bwar zot pa ti pe kompran nanie. La dernière fois qu’elle a été tabassée, quelque temps avant son départ, je me souviens l’avoir vue sur le sol se faisant rouer de coups de pied. Sa zour-la mo ti krwar li mor.» Son départ précipité n’avait donc pas suscité beaucoup d’interrogations, les voisins étant convaincus qu’elle avait trouvé une porte de sortie.  Ce qui a davantage surpris les habitants de cette localité, c’est plutôt le retour inattendu de la quadragénaire chez son ex-compagnon il y a environ deux semaines. Feroz, dont la maison se situe devant celle de Jean-Noël Natian, raconte avoir questionné la dame lorsqu’il l’a croisée dans la localité après plus d’une année d’absence. «Mo ti pe anvi kompran pou ki rezon linn revinn kot misie-la. Linn dir mwa li ti pe zis vinn rekiper so bann zafer.»

 

Cependant, elle n’est jamais partie du domicile de son «bourreau» et il n’aura fallu que de quelques jours pour qu’une nouvelle tragédie s’y produise ; cette fois, bien pire que les précédentes. Dans la matinée du dimanche 18 février, Feroz a dû solliciter les forces de l’ordre après avoir vu Micheline Jolicoeur errant seule dans les rues avoisinantes, pieds nus. L’air perdue, elle ne cessait de répéter à ses voisins qu’elle avait tué son concubin. Ses mains et ses pieds étaient recouverts de sang. Feroz a d’abord cru qu’elle avait eu les ennuis habituels avec son compagnon, vu que «sak fwa zot ti pe lager, se misie-la ki ti pe dominn madam-la», et a demandé aux forces de l’ordre d’intervenir. Le temps pour les limiers du poste de police de Vacoas d’arriver sur les lieux, la quadragénaire s’était à nouveau enfermée dans la maison et avait verrouillé portes et fenêtres.

 

Lorsque les officiers sont arrivés, Feroz les a conduits jusqu’à la maison qu’occupait ce couple à Purahoo Lane, à une vingtaine de mètres de la route principale de Glen-Park,  à Vacoas. Ils n’ont pas eu à faire usage de force pour que Micheline Jolicoeur accepte de leur ouvrir la porte. Vêtue d’une robe bleu et blanc tachée de sang, elle semblait en état de choc et pouvait à peine se tenir debout, ont avancé les policiers. Elle avait aussi une profonde entaille au bras gauche. «Mo finn touy mo konkibin ; monn koup li ek enn cutter», leur aurait-elle lancé, l’air déboussolée. En s’introduisant dans la maison, les policiers étaient loin d’imaginer la vision d’horreur qui les attendait : Jean-Noël Natian était allongé sur le dos sur un matelas sanguinolent dans la chambre à coucher dépourvue d’électricité. Une couverture recouvrait à peine son corps nu. Ses yeux étaient grands ouverts mais il ne réagissait pas. Blessé sur diverses parties du corps, dont le cou et les parties intimes, il ne respirait déjà plus. Soumise à un feu roulant de questions, Micheline Jolicoeur a avoué aux enquêteurs : «Mwa ek mo konkibin inn lager ar cutter ier swar. Linn bles mwa, lerla monn touy li ar mem cutter.» Lorsqu’elle a été informée de ses droits constitutionnels et du délit commis, elle est restée silencieuse.

 

Fichée à la police

 

Durant les minutes qui ont suivi, les officiers de la Scene of Crime Office (SOCO) et de la Criminal Investigation Division (CID) de Vacoas ont été mandés sur la scène de crime pour délimiter les lieux et recueillir le maximum d’indices. Un couteau et un cutter ont été récupérés. Quant à Micheline Jolicoeur, elle a été conduite dans les locaux de la brigade criminelle pour les besoins de l’enquête avant d’être examinée par un médecin légiste de la police. Bien que sa blessure au bras semblait profonde, elle a refusé d’être soignée. Entre-temps, Feroz a pris l’initiative d’informer sa fille Nina de son arrestation. «Lorsque je lui ai parlée, elle semblait choquée d’apprendre que sa mère était retournée vivre chez cet homme. J’ai l’impression qu’elle n’avait informé personne de son retour de Rodrigues.» D’ailleurs, Nina se pose beaucoup de questions : «Mo mama inn bien pass mizer, me li ti kontan sa boug-la. Plizier fwa monn fer li al Rodrig, me mo pa kone si sak fwa linn retourne akoz li per.» Micheline Jolicoeur a passé la nuit au centre de détention de Vacoas et a comparu devant le tribunal de Curepipe le lundi 19 février sous une accusation provisoire de meurtre. Elle a ensuite été reconduite en cellule, la police ayant objecté à sa remise en liberté. D’après nos renseignements, elle était déjà fichée à la police comme récidiviste : elle aurait commis des petits larcins dans le passé, dont le dernier remonte à 1995.

 

Lors de son interrogatoire, Micheline Jolicoeur a partagé avec les enquêteurs toutes les violences subies aux côtés de l’homme qu’elle a agressé mortellement. Victime de violence conjugale durant plusieurs années, la quadragénaire a avancé que le jour du drame, une dispute aurait à nouveau éclaté après qu’ils auraient consommé des boissons alcoolisées. Jean-Noël Natian, affirme-t-elle, aurait cherché à s’en prendre à elle avec un cutter et l’aurait blessée au bras. Pour se défendre, elle lui aurait arraché l’arme tranchante des mains et infligé plusieurs coups sur le corps. Toutefois, elle prétend ne pas s’être aperçue qu’elle lui avait attribué un coup mortel au cou parce que la pièce était dépourvue d’électricité. Elle ne se serait rendu compte de sa mort que le lendemain matin, après avoir passé la nuit à dormir à côté de son corps sans vie et ensanglanté. Elle insiste sur le fait d’avoir avoir agi en état de légitime défense. L’autopsie pratiquée par le Dr Maxwell Monvoisin, Principal Police Medial Officer (PPMO), a attribué le décès de Jean-Noël Natian à un sectionned right carotid.

 

Douloureuses images

 

Jamais marié et sans enfant, Jean-Noël Natian était passionné par la cuisine et le jardinage. Il a longtemps vécu à Cité Anoska jusqu’à ce qu’il décroche un poste dans un abattoir à la Marie. Il a d’abord occupé un espace sur son lieu de travail, puis, son patron lui a donné la possibilité de s’installer dans une maison lui appartenant à Glen-Park, Vacoas. Quelque temps plus tard, Micheline Jolicoeur, dont il avait fait la connaissance quelques années plus tôt, s’est installée chez lui. Il avait toujours été très proche de sa soeur Virginie et de sa nièce Anastasia, mais celles-ci n’ont jamais porté sa compagne dans leur coeur pour diverses raisons.

 

«Madam-la pa ti kontan nou ; li pa ti kontan ki mo frer frekant so fami. Li pa ti mem les li kone kan nou papa ti mor ; se akoz li ki mo frer pann la pou asiste lamor nou papa. Nou ti deza al laba pou lane, kot lager ti leve akoz madam-la tro zalou. Sak fwa, li ti pe menas pou touy li, pou fer so lekor disparet. Li ti pe dir ki si li pa kapav fer li, li pou fer so bann zanfan fer li. Li ti anvi gard mo frer zis pou li», relate Virginie, rongée par la colère. Sa fille Anastasia est tout aussi remontée : «Cette femme ne supportait pas de voir la relation que j’avais avec mon oncle. Lorsque j’étais encore enfant, c’est lui qui s’occupait de moi lorsque mes parents se disputaient. Il ne voulait pas que je sois témoin des violences que subissait ma mère. Je l’ai toujours considéré comme un deuxième père mais sa compagne ne l’a jamais toléré, au point où elle s’était même convaincue qu’il était le père de mes enfants.» 

 

La soeur et la nièce de la victime disent avoir été informées de la tragédie par leurs anciens voisins, des habitants de La Brasserie. C’est à Virginie qu’a été confié la lourde tâche d’identifier le corps du quinquagénaire. «Monn gagn enn sok. Mo pa ti atann enn zafer koumsa. Sa fam-la inn koup koup li partou ; kot so likou, so ledo, so parti intim. Li ti pou pli fasil pou aksepte perdi li si li ti malad», lâche Virginie, qui tremble encore en se repassant ces douloureuses images dans sa tête. Elle ne s’était pas imaginé que sa visite à son frère quatre mois plus tôt aurait été la dernière. «A lepok, li ti dir mwa ki zot tinn separe parski zot ti pe gagn tro boukou problem. Li ti pe dir mwa ki madam-la ti pe anpes li viv so lavi. Monn dir li si li trouve madam-la pa bon, li bon zot inn kite.»

 

Arme du crime

 

Son frère, dit-elle, lui avait aussi demandé de venir s’installer chez lui car son ancienne maison avait pris feu quelques jours plus tôt. «Monn refize, mo ti dir li ki se parski mo ena mo bann zanfan ek ti zanfan avek mwa. Depi sa zour-la mo pann gagn so nouvel parski li pa ti pe servi telefonn.» Même si elle reconnait que son frère n’était pas un enfant de choeur, dit-elle, «li pa ti merit enn lamor koumsa. Si sa madam-la pa ti dakor ek li, li ti bizin ale ek les li trankil. Kifer linn retourne pou li fer enn zafer parey ?» À ce stade, sa fille et elle se posent beaucoup de questions quant aux circonstances ayant conduit Micheline Jolicoeur à ôter la vie à leur proche.

 

Comme Virginie et Anastasia, Feroz, le voisin de la victime, peine à croire que Micheline Jolicoeur a achevé le quinquagénaire parce qu’elle cherchait à se défendre. Pour cause, elle aurait acheté l’arme du crime dans une quincaillerie de la localité deux jours avant de commettre l’irréparable. Tous se demandent ainsi si elle n’aurait pas prémédité ce crime. De plus, Feroz relate que le jour où Micheline Jolicoeur était revenue dans le coin, elle avait un comportement étrange : «Monn trouv li pe louk dan lakaz misie-la letan mo pe al donn zwazo manze. Monn demann li ki li pe fer, linn dir mwa ki Jean-Noël andan me pa pe ouver laport. Elle a fini par réussir à s’introduire dans la maison, je ne sais comment, et elle est tombée sur lui avec une autre femme.»

 

Les choses auraient aussitôt dégénéré. «Linn pran lot madam-la, linn trenn li depi andan linn fer li sorti. Lerla linn dir mwa ki li inakseptab ki kan li pala, misie-la pran enn lot fam amenn dan lakaz. Ils n’étaient plus ensemble mais je pense qu’elle n’a pas digéré le fait d’avoir été remplacée. Depuis, elle n’a plus voulu quitter les lieux.» Le voisin continue : «Lorsque j’ai questionné Jean-Noël par la suite, il m’a répondu qu’il n’était pas, non plus, en mesure d’expliquer son comportement.» Lorsque Micheline Jolicoeur l’avait quitté pour se rendre à Rodrigues, explique Feroz, «misie-la ti pe viv so lavi, li ti ena bann kamarad ti pe ale vini. Toulezour, li ti pe al travay trwa zer di matin, ler li retourne li pas laboutik, pran so boutey, apre li bat enn grog li dormi ; sete sa so lavi. Li pa ti pe trenn lari. Se kan madam-la inn retourne ki problem inn revini».

 

Lorsqu’il repense à toutes ces bagarres lors desquelles il a dû s’interposer dans le passé, Feroz se souvient : «Jean-Noël a toujours eu le dessus sur elle; elle n’était pas en mesure de se défendre.» C’est la raison pour laquelle il se pose la question suivante : «Eski li pann atann misie-la fini dormi pou li pass a lakt ? Monn rant dan lakaz-la apre krim-la, monn trouve ki kalite linn bles misie-la. Sa finn sok mwa. Mo pa kompran kouma li ti pou posib li koup li sa kalite-la san ki misie-la kapav defann li. Elle s’est acharnée sur lui.» Virginie abonde dans ce sens : «Mo rest bet kouma linn kapav koup mo frer sa kalite-la, devan ek deryer. Mo frer ti enn dimoun bien bati ek solid. Li ti pou kapav defann li mem sou lefe la bwason.» Même si elle reconnait que son frère était loin d’être parfait, dit-elle, «li pa ti bizin tir so lavi. Je ne compte pas rester les bras croisés. Mo le enn lazistis pou mo frer».

 

Avec l’aide de Feroz, les proches de la victime ont pu organiser ses funérailles dans l’après-midi du lundi 19 février. Micheline Jolicoeur a, quant à elle, participé à une reconstitution des faits ce vendredi 23 février avant d’être reconduite en cellule. A-t-elle agi en état de légitime défense ou s’est-elle laissé emporter par la jalousie et la colère ? L’enquête le déterminera.

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