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25 avril 2022 17:52
«Darren nou ero ! Darren nou ero !» Ce sont sous des ovations que Darren L’Activiste, de son vrai nom Dominique Seedeeal, a été salué après sa comparution devant la Bail & Remand Court (BRC) par la foule qui s’était rassemblée en ces lieux ce samedi 23 avril. Il lui est reproché, rappelons-le, d’avoir participé à deux manifestations illégales s’étant tenues le 20 avril pour protester contre la cherté de la vie. Bien qu’il avait déposé une Precautionary Measure en compagnie de son homme de loi, Me Akil Bissessur, le vendredi 22 avril, pour dire qu’il n’était pas à l’origine de cette première mobilisation, il a été maîtrisé violemment par la police et arrêté à peine quelques minutes plus tard à Camp-Levieux, pendant qu’il tenait un rassemblement.
Darren L’Activiste a d’abord été conduit au poste de police de Rose-Hill avant d’être transféré aux Casernes centrales pour son interrogatoire. Il a ensuite passé la nuit en détention à Alkatraz. Il a été libéré sur parole le lendemain, la police n’ayant pas objecté à sa remise en liberté, et devra s’acquitter d’une caution de Rs 15 000 et signer une reconnaissance de dettes de Rs 100 000 ce lundi 25 avril. Il devra également se présenter au poste de police de Grand-Baie quotidiennement, avoir une adresse fixe et ne pourra pas utiliser sa page Facebook pour inciter le public à participer à des rassemblements illégaux.
«Mo remersie tou dimounn kinn la pou mwa. Depi toultan monn lager pou zot. Mo pann get figir ni relizion. Tan ki mo pou vivan mo pou kontign lager pou zot. Mo finn vini pou koze, pou defann zot, parski mo pa ti ena swa. Depi lane dernyer mo pe fer li», a déclaré Darren L’Activiste à la foule après sa comparution devant le Tribunal. Et de poursuivre : «Lapolis bizin vinn indepandan. Bann institision gouvernman bizin travay. Pri bizin bese.» Présent à Camp-Levieux lors du premier rassemblement pour lutter contre la hausse des prix, il s’y était à nouveau rendu le vendredi 22 avril pour mobiliser les habitants de la localité à cette cause avant que les menottes lui soient passées ; entraînant une véritable nuit d’affrontements dans divers endroits de l’île jusqu’aux petites heures, aussi bien que devant les Casernes centrales. Il en a donc également profité pour adresser un message à la population : «Rant kot zot. Pa fer dezord. Kalme zot. Nou atann, nou gete ki deroule. Nou atann gouvernman bes pri.» Il compte à présent sur le Premier ministre pour assumer ses responsabilités. «Li bizin respekte lepep. Se lepep ki donn pouvwar, se lepep ki pran pouvwar, se lepep ki fer li manze dan so lakaz, se lepep ki donn li larzan pou li viv. Mo pann lager dan vid, monn lager pou zafer ki ti bizin lager. Nanie pa fer mwa per.»
Si bon nombre de personnes voulaient déjà lutter contre la hausse des prix, c’est l’arrestation de Darren L’Activiste qui a conduit à cette nuit d’affrontements entre ceux qui le soutiennent, ceux qui luttent pour la même cause, et les forces de l’ordre. C’est en face des Casernes centrales, où le jeune homme était interrogé, qu’il y a eu les premières tensions. Une foule composée de plusieurs centaines de personnes s’était mobilisée afin de réclamer sa remise en liberté , mais la situation a bien vite tourné au vinaigre, conduisant la police à faire usage de la force et à utiliser des bombes lacrymogènes pour disperser le public hostile. Bien vite, cette poussée de fièvre s’est étendue à d’autres régions : à Camp-Levieux, soit là où tout a commencé, à Cité Barkly, à Cité Vallijee, à Trou-d’Eau-Douce, à Roche-Bois et à Curepipe, entre autres. Dans pratiquement toutes ces localités, la population a affiché son mécontentement en lançant des projectiles en direction de la police ou en provoquant des incendies, mais c’est à Cité Barkly que la situation a failli virer au drame quand un jeune homme a été blessé par balle (voir plus loin). À samedi matin, la situation était toujours tendue dans l’île, plus particulièrement à Roche-Bois, où la police essayait encore de maîtriser les esprits échauffés.
Tous ces chamboulements ont véritablement démarré le mercredi 20 avril, lorsqu’un rassemblement illégal à Camp-Levieux a pris une tournure catastrophique ; un rassemblement auquel avaient participé Darren L’Activiste, ainsi que bon nombre d’habitants de la localité. Ce jour-là, un jeune homme avait affiché son mécontentement quant à la hausse des prix en obstruant la rue Arianne avec des pneus. Conduit au poste de police, il a été libéré le même jour. Mais bien assez vite, le message a circulé et plusieurs dizaines de personnes se sont rassemblées au même endroit, munies de pancartes, afin de faire entendre leur voix quant à la hausse du prix du gaz ménager et du carburant. D’après certains habitants de la localité, la police aurait malmené une femme et c’est la raison pour laquelle la situation aurait dégénéré. Ce jour-là, deux jeunes hommes – Kesaven Mootien, 27 ans, et Kerven Lajoie, 24 ans – ont été appréhendés, provoquant la colère des habitants de la localité. D’autant qu’ils auraient été victimes de brutalités policières. Une foule s’est ainsi massée à l’angle des rues Madras et Pigeot, non loin du poste de police, et a mis le feu à un matelas. Jusqu’à fort tard, la police a eu fort à faire afin de calmer les esprits échauffés. Il aura fallu l’intervention de Me Rama Valayden, ainsi que de Darren L’Activiste, pour que les deux jeunes hommes soient libérés. Ce n’est qu’à cet instant que la foule a fini par se disperser et que le calme a été rétabli ; accalmie qui n’a été que de courte durée.
En effet, deux jours plus tard, Darren L’Activiste a fait part dans une vidéo, sur la page Facebook Radio Mo Pep, de son intention de se rendre au poste de police de Camp-Levieux, pour déposer une Precautionary Measure, alléguant avoir eu vent de rumeurs que la police était à sa recherche. Dans cette même vidéo, il a aussi fait part de son intention de manifester contre la hausse des prix et a invité le public à le rejoindre. «Mo la pou soutenir lepep. Mo panse gouvernman bizin reget sa parski pa tou dimounn ki ena le moyen pou kapav surviv. Ils ne peuvent pas monter et baisser les prix comme ils l’entendent. Se akoz sa ki dimounn pou koumans kokin. Se la mizer ki pou pousse bann dimounn komet bann krim», nous indiquait l’une des participantes, avant que la police ne mette un terme à ce rassemblement. En effet, si dans un premier temps, Darren L’Activiste n’a pas été inquiété, et ce, bien qu’il se soit rendu au poste de police avant d’entamer sa manifestation, il a finalement été arrêté et maîtrisé avec violence à peine 15 minutes plus tard, sous les yeux de toutes les personnes venues le soutenir.
À sa sortie du Tribunal, ce samedi, Darren L’Activiste était accompagné de ses hommes de loi, Mes Akil Bissessur, Rama Valayden, Anoup Goodary, Sanjeev Teeluckdharry, Shakil Mohamed et Neelkanth Dulloo. Tous ont tenu à remercier ceux venus apporter leur soutien à leur client et ont demandé au public de ne pas aller à l’encontre de la loi pour faire entendre leur voix. «Nou lans enn apel pou ki piblik morisien respekte nou drapo. Pa tonb dan bann piez ki pe met lor zot sime. Nou lans enn lapel a lapolis pou ki li debout ansam ar lepep, ki li res indepandan et pa azir kouma enn zouti gouvernman.» En ce qui concerte les allégations de brutalités policières contre Darren L’Activiste, ils ont indiqué que «nou pou pran sa en kont legalman».
Ils n’ont passé que quelques heures en détention policière mais ce court instant, disent-ils, a été un vrai cauchemar. Kesaven Mootien (photo), 27 ans, et Kerven Lajoie (photo), 24 ans, ont gardé des séquelles de ce mercredi 20 avril fatidique où ils ont, allèguent-ils, été victimes de brutalités policières. Le premier, que nous avons rencontré à son domicile, revient sur cette fameuse journée. «Sa zour-la, mo ti pe rant mo lakaz kan monn trouv enn ta dimounn kot enn kamarad. Je suis allé voir ce qui se passait et quand je suis arrivé, la situation dégénérait déjà. Lapolis ti batt enn tifi et se a partir sa ki bann dimounn inn ankoler. J’étais debout quand un policier m’a approché pour me demander de m’en aller, mais je lui ai répondu que j’étais sur un terrain privé. Je pense qu’il l’a mal pris. Quand il a voulu m’embarquer, j’ai résisté et il a commencé à me tabasser.»
Dans le véhicule de police, dit-il, «j’étais entouré de quatre policiers. L’un d’eux s’est assis sur mes mains menottées pour me faire mal. Zot inn fer letour pou pass par sime pli long ki ena, lerla zot inn donn mwa kout pwin ek kout pie. Monn bizin amenn rol mor telman mo ti pe gagn bate». Au poste de police, poursuit-il, «se bann lezot lapolis kinn dir bann zenes-la aret bate. Bann lezot-la par kont inn bien tret nou ek inn mem donn nou manze ek bwar kan nou ti ferme». À ce jour, Kesaven Mootien souffre encore, assure-t-il, «de douleurs aux bras».
Kerven Lajoie, en revanche, participait bel et bien au rassemblement public lorsqu’il a été arrêté. «Mo ti pe sorti travay lerla monn tann tapaz. Kan monn tann piblik pe koz lor ogmantasion pri, monn zis dir ki zordi zour nou pe bizin travay gramatin pou manze tanto. An mem tan, enn lapolis inn dir gard distans sinon li pou servi lafors. J’ai à peine eu le temps de réagir qu’il m’ont embarqué.» C’est une fois au poste, dit-il, qu’il a été brutalisé : «C’est après m’avoir placé dans la même cellule que Kesaven qu’ils m’ont tabassé. Ils ont aussi menacé de faire du mal à mon frère».
Relâché, le jeune homme a retenu les services de Me Akil Bissessur et s’est à nouveau rendu au poste de police de Camp-Levieux le lendemain afin de porter plainte pour brutalités policières. L’enquête suit son cours.
Elodie Dalloo
Il allait rendre visite à sa belle-sœur lorsqu’il a pris une balle en pleine mâchoire. C’est ce que raconte une cousine de François Gowin, 28 ans. Cet habitant de Cité Barkly a été hospitalisé d’urgence à l’hôpital de Candos où le personnel soignant attend des signes d’amélioration avant de procéder à une intervention chirurgicale. «Linn gayn kout bal anba so menton. Pe bizin atann so leta stabilize pou kapav oper li», souligne une de ses cousines.
François Gowin a été blessé par balle lors des affrontements entre la police et des habitants de Cité Barkly dans la soirée du vendredi 22 avril. Des résidents de ce quartier avaient, entre autres, lancé des projectiles en direction de la police. Plusieurs unités avaient alors été déployées sur place pour ramener le calme. Les policiers ont dû utiliser du gaz lacrymogène et des balles caoutchoutées pour disperser la foule.
La cousine de François Gowin explique que celui-ci travaille à son compte. Il est père d’un garçon de 9 ans et d’une fille de 6 ans. Frère et sœur vivent avec leur mère à Rose-Hill depuis la séparation des parents.
Jean Marie Gangaram
Le maintien du law & order demeure la priorité absolue du quartier général de la police. Le bureau du commissaire de police a d’ailleurs émis un communiqué de presse dans ce sens, samedi après-midi, pour rappeler aux fauteurs de troubles qu’ils risquent la prison et une amende en cas d’arrestation. «Les fauteurs de troubles risquent jusqu’à 5 ans de prison et une amende ne dépassant pas Rs 100 000», précise l’inspecteur Shiva Coothen, du service de presse de la police.
À ce jour, il y a eu trois arrestations après les émeutes survenues dans plusieurs localités du pays. Parmi, un policier de 25 ans, habitant Cité Mangalkhan et affecté à la National Coast Guard, qui est en détention après avoir brandi un sabre à l’égard de ses collègues présents dans son quartier pour assurer l’ordre et la paix. Il fait l’objet d’une accusation provisoire de «taking part in a riot». Il y a aussi un habitant de St-Pierre a, lui, été arrêté après l’affrontement entre le public et la SSU devant les Casernes centrales.
Le bureau du commissaire de police précise aussi que plusieurs policiers ont été blessés dans l’exercice de leur fonction avec des projectiles ou encore par des attaques avec des cocktails Molotov lors des différents affrontements avec les émeutiers. «13 policiers ont été blessés en service. Les cas de certains sont assez graves», souligne l’inspecteur Coothen. La police rappelle aux membres du public que les rassemblements illégaux sont également interdits. «Les infractions au law & order et à la paix publique ne seront pas tolérées», martèle l’inspecteur Coothen.
Jean Marie Gangaram
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