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Par Elodie Dalloo
20 avril 2020 01:50
Certains y voient de l’humour, d’autres des fake news ayant porté préjudice au gouvernement… Tout est parti d’un mème, dont le message laisse entendre que des dirigeants étrangers consulteraient le Premier ministre pour des conseils en vue de combattre le Covid-19 après que l’île n’a enregistré aucun nouveau cas en 48 heures. Et celui-ci a été partagé par Rachna Seenauth, ex-secrétaire de l’ancienne présidente de la République Ameenah Gurib-Fakim. Sauf que cette action est considérée comme un partage de fausse nouvelle par Kaushik Jadunundun, membre de l’Information and Communication Technologies Authority (ICTA). Rachna Seenauth a alors été arrêtée le mercredi 15 avril à son domicile, à Quatre-Bornes, après qu’une plainte a été logée contre elle.
«Lorsque les policiers sont arrivés, ils m’ont gentiment demandé de les suivre jusqu’aux Casernes centrales pour que j’y sois interrogée. J’ai eu le temps de passer un coup de fil pour demander à ce qu’on avertisse mes avocats, avant qu’ils ne saisissent mon cellulaire et mon ordinateur. Puis, je les ai suivis sans broncher», raconte la trentenaire. Sur place, l’attente est longue. Après avoir patienté pendant environ trois heures dans la Conference Room de la Special Supporting Unit, elle est conduite dans les locaux de la Cyber Crime. «À ce moment-là, j’ai compris que c’était sérieux. On m’a informé qu’il faudrait que je passe la nuit en détention et que ce ne serait que le lendemain que je pourrai m’entretenir avec mes avocats.»
Rachna Seenauth est conduite au centre de détention de Pailles. «Je n’ai pas fermé l’oeil de la nuit. C’était l’incertitude ; je n’avais jamais vécu une telle chose. Je voulais vraiment abandonner, me demandant où était la démocratie dans ce pays…» Le lendemain, elle peut finalement s’entretenir avec ses avocats, Me Rouben Mooroongapillay et Lovena Sookhee. «J’ai appris que j’avais beaucoup de soutien et cela m’a rassurée. Cela m’a donné de l’espoir pour notre pays. Comme dit le dicton, what doesn’t kill you makes you stronger. J’en suis ressortie beaucoup plus forte et je continuerai à dénoncer les injustices et les abus», assure-t-elle.
Mais il lui faut quand même être interrogée. Elle explique alors que «c’était de l’humour, juste une satire. Pour moi, il était évident qu’il s’agissait d’une parodie». Après sa comparution en cour de Rose-Hill sous une accusation provisoire de Breach of ICTA sous la Section 46, elle s’est acquittée d’une caution de Rs 7 000 et a pu regagner son domicile.
Sollicité, Me Rouben Mooroongapillay ne compte pas s’arrêter là. «Il s’agit d’un acte d’intimidation», soutient-il. Il a ainsi adressé une correspondance à plusieurs hautes instances du pays, notamment au chef juge, au Premier ministre, au Commissaire de Police, au Directeur des poursuites publiques et au leader de l’opposition, dans laquelle il fait état d’incohérences sur la manière dont cette affaire a été traitée. Il s’interroge notamment sur les raisons pour lesquelles sa cliente a été appréhendée alors que le plaignant n’avait même pas terminé d’enregistrer sa déposition. «Comment est-ce possible ? Pourquoi a-t-il fallu que 12 officiers se présentent à son domicile ? Ma cliente a été arrêtée par des officiers du CCID. Pourquoi n’a-t-elle pas été conduite dans les locaux de ce département immédiatement après son arrestation au lieu de ceux de la SSU ?»
Il allègue, en outre, que le plaignant «a souvent utilisé un langage injurieux à l’encontre de plusieurs individus, notamment des politiciens, sur les réseaux sociaux. N’aurait-il pas dû être arrêté pour Breach of ICTA ?» Me Mooroongapillay a logé une motion afin que l'accusation provisoire logée contre sa cliente soit levée pour la publication d’une «satire».
À suivre.
Ils sont nombreux à avoir exprimer leur soutien à Rachna Seenauth après son arrestation. Parmi, Arvind Boolell, leader de l’opposition, qui a adressé un message sur sa page officielle : «Arrestation Rachna Seenauth pa faire sens di tout.»
Il affirme ne pas comprendre qu’elle ait pu passer la nuit en détention à cause d’une «blague ki li fine partager». «Si l’Etat pena sens de l’humour, c’est la democratie ki en danger [...] Nou soutenir la citoyenne Ms Rachna Seenauth», a ajouté Arvind Boolell.
Shakeel Mohamed, également du PTr et membre de l'Assemblé nationale, a, lui, partagé son ressenti à travers une vidéo. «Sa post-la mo finn trouv li mo finn riye. Bizin ena enn seans de l’humour dan sa bann moman difisil-la (…) Où est la liberté d’expression ? Où est la liberté de pouvoir faire une blague ? Je trouve cela choquant que nous soyons dans une situation pareille.»
Ils ont été verbalisés par les forces de l’ordre pour breach of curfew le jeudi 16 avril, après avoir assisté leur cliente Rachna Seenauth lors de sa déposition suivant son arrestation la veille. D’après la police, Mes Rouben Mooroongapillay et Lovena Sookhee n’étaient pas en possession du mémo qui stipule qu’ils ont le droit de circuler en temps de confinement.
Dans une correspondance, Me Rouben Mooroongapillay fait part de son indignation : «Cela va à l’encontre des droits constitutionnels !»
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