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Attentats à Paris : Des Mauriciens racontent l’horreur

16 novembre 2015

Brigitte Philippe, 56 ans, employée d’aéroport : «J’étais au cœur du cauchemar»

 

Je vis en France depuis 40 ans. C’est là que j’ai construit ma vie. Je travaille à l’aéroport de Roissy et je suis maman de sept enfants. J’habite en face du Bataclan au Boulevard Richard Lenoir, un lieu que je fréquente souvent pour avoir assisté à beaucoup de concerts, entre autres, celui de Ziggy Marley.

 

Peu après 20 heures hier, je regardais la télé quand j’ai entendu deux grands booms. Je n’ai pas tout de suite réagi car, habitant cette région depuis longtemps, je peux vous dire que c’est un quartier très festif et les week-ends encore plus. Je me suis dit que c’était sans doute des personnes qui faisaient la fête. Puis, j’ai vu que les bruits devenaient persistants. J’ai alors ouvert la porte. Je suis sortie et là, c’était incroyable. J’étais au cœur de l’horreur. Les gens couraient partout. C’était des scènes de panique.

 

Très vite, j’ai compris ce qui se passait. J’avais peur. C’était fou, inimaginable, horrible. J’ai vu des policiers et, en quelques minutes, je me suis retrouvée avec un petit groupe de personnes qui étaient venues chercher refuge chez moi, car j’habite tout près. C’est ainsi qu’on s’est retrouvés à sept dans le hall d’entrée et chez moi. C’était surtout des journalistes, dont ceux du Parisien, qui étaient venus sur les lieux quand ils ont eu vent de ce qui se passait.

 

À ce moment-là, on était tous choqués. On réalisait à peine ce qui se passait. En même temps, on entendait des coups de feu. C’était comme dans un mauvais film. Mon fils Brian, 19 ans, était sorti. Je l’ai tout de suite appelé et il m’a dit qu’il était en sécurité pas loin et que, sur ordre d’un policier, il se cachait dans un immeuble. Je l’ai appelé toutes les deux minutes pour savoir s’il allait bien. Mon frère Jean-Bernard était aussi sorti. Il était chez un copain et j’ai été rassuré, quand je l’ai eu au téléphone.

 

Je n’ai pas pu dormir. Mon téléphone n’a pas cessé de sonner. Mon frère, le travailleur social Danny Philippe, et toute la famille étaient inquiets et j’ai dû les rassurer. Jamais je n’aurais imaginé vivre une telle chose. En début d’année, j’avais aussi été troublée par les opérations dans le sillage de l’attentat de Charlie Hebdo. De chez moi, j’avais entendu les coups de feu et là, ce drame qui fait des centaines de morts. Il faut être sans pitié envers les terroristes.

 


 

 

Tony Trompeuse, employé chez Air France : «Au Stade de France, c’était la panique !»

 

Avec mon ami Ludovic Rousseau, un autre Mauricien en vacances à Paris, on est arrivés au Stade de France vers 20 heures, le vendredi 13, pour le match France-Allemagne. Il y avait une très bonne ambiance. Il y avait beaucoup de familles avec des enfants. 15 minutes après le début du match, on a entendu un gros boum. On ne s’est pas inquiétés. On s’est dit que c’était peut être un gros pétard.

 

Quelques minutes plus tard, on a entendu un autre gros boum. Jusque-là, rien d’inquiétant. On était tous dans le match. D’importants dispositifs ont été mis en place autour du terrain ainsi qu’autour du stade. Mais rien ne laissait penser que les deux boums étaient des bombes. Mais c’était bizarre quand même. Ensuite, on a appris par les gens que c’étaient deux bombes et qu’il y avait 18 morts (pas plus de détails).

 

À cet instant, on n’était plus dans le match. On était tous paniqués. 10 minutes avant la fin du match, Ludovic et moi sommes sortis pour éviter la foule, mais la majorité des gens ont fait comme nous. Il y a eu plusieurs mouvements de foules. On a décidé de retourner dans le stade, car ça devenait dangereux. À l’intérieur, on nous a regroupés sur la pelouse du Stade de France. Ensuite, on a été prévenus que la sortie a été sécurisée et qu’on pouvait sortir du stade.

 

J’ai appelé ma femme Laurence pour la rassurer. Après, je n’avais plus de batterie. C’est ma femme qui a rassuré tous mes amis sur Facebook. Pour rentrer, c’était compliqué. J’habite la ville de Chatou, en banlieue parisienne. Il n’y avait plus de train pour rentrer. Ensuite, il y avait des colis suspects à la Gare du Nord. On a attendu plus d’une heure pour démarrer. Il y avait des policiers armés partout. Mais heureusement, on a pu rentrer sains et saufs

 

Depuis les attentats, c’est la grosse frayeur à Paris. Le bilan est très lourd. Sur BFM, on parle de 127 morts et plus de 180 blessés. Mon ami Ludovic est en vacances à Paris et on avait prévu de sortir ce week-end. On va éviter le centre de Paris au moins jusqu’à la fin du COP21. Honnêtement, ce week-end sera plutôt en famille avec ma femme et mes deux filles.

 


 

 

Damien Édouard, étudiant à Paris  : «Ma fiancée travaille dans le 11e»

 

J’ai été au courant de la fusillade uniquement à partir de 22 heures, à travers mon application mobile du journal Le Figaro. Puis une personne, tout près de moi, a dit au téléphone : «J’ai entendu dire que ça a tiré du côté de Bastille.» J’ai eu froid dans le dos : ma fiancée travaille justement à Bastille, juste à côté de la place de la République, dans le 11e arrondissement. Mon objectif : rentrer au plus vite. Très vite, j’ai su que ma fiancée était en sécurité grâce à Facebook. Dès que je l’ai vue, je l’ai prise dans mes bras. La voir m’a soulagé. Je ne pensais pas, à ce moment-là, que la fusillade était un attentat terroriste. Nous avons allumé la télé. Les premiers décomptes faisaient peur : déjà 18 morts dans le 11e.

 

Puis, les journalistes parlent du Stade de France, puis du Bataclan. Le bilan s’alourdit. La prise d’otage et l’attentat ont lieu à quelques mètres du boulot de ma copine. Elle fait souvent des heures supplémentaires. Heureusement que ce jour-là, ça n’a pas été le cas. Le choc émotionnel, les terribles images, les cris, j’ai passé une nuit scotché à mon écran. Un mélange de sentiments m’a pris aux tripes : le soulagement de savoir que les gens qui nous sont chers sont en sécurité, le choc de voir que même dans une puissance mondiale, on n’est pas à l’abri des islamistes radicaux, et un sentiment de patriotisme plutôt que de solidarité, car le mot solidarité est faible.

 


 

 

Olix Scott, étudiant en Info-com : «J’ai vu une femme blessée par balles»

 

Je suis sous le choc, effrayé et traumatisé par ce que j’ai vu et entendu. En ce vendredi soir, je me trouvais avec ma meilleure amie. Il était environ 21h45 et nous nous trouvions au Boulevard Voltaire qui se trouve à quelques pâtés de maison du Bataclan. Il y avait le match France-Allemagne qui était projeté sur un écran et les gens étaient emballés et survoltés. Tout d’un coup, on a entendu des coups de feu. On a d’abord pensé qu’il s’agissait de pétarades. Quelques secondes après, on a vu des gens courir vers le restaurant pour se réfugier. Certains étaient en pleurs et appelaient à l’aide. Ils criaient «il y a un attentat, il y a une fusillade».

 

C’est là que j’ai réalisé ce qui se passait. Le propriétaire du restaurant a décidé de nous enfermer à l’intérieur et il nous a demandé d’aller au sous-sol. Je ne me l’explique pas, mais je n’ai pas voulu y rester. Avec mon amie, on a pu sortir et on a couru le plus vite possible. J’ai vu une femme blessée par balles. On a essayé d’alerter les gens pour lui venir en aide, puis on a continué à courir. J’ai vu des soldats qui m’ont dirigé vers le métro. C’est à ce moment-là que j’ai entendu un deuxième coup de feu. Comme je n’ai pu rentrer chez moi à cause de l’arrêt de circulation des métros, un ami Mauricien m’a accueilli chez lui. J’espère que Paris pourra retrouver la paix, autrement nous vivrons tous dans la peur.

 


 

Yan, 32 ans, employé de banque : «J’étais à proximité d’un des lieux du drame...»

 

Je suis sous le choc, j’étais à proximité d’un des lieux de l’attentat un peu avant le drame. Je n’arrive toujours pas à réaliser ce qui s’est passé. Plus tôt ce vendredi, je me trouvais à la terrasse du café La Bonne bière qui se trouve à la rue La Fontaine-au-Roi dans le 11e arrondissement, situé en face de la pizzeria Casa Nostra, une des cibles des attaques. Cinq personnes y ont d’ailleurs été abattues. Je n’y étais pas au moment du drame, mais quelques heures plus tôt, avec un petit groupe d’amis, pour prendre un verre. Par un coup de chance, un concours de circonstances, j’ai quitté les lieux plus tôt. Je devais retrouver d’autres amis à l’autre bout de Paris. Mais au final, la rencontre avait été annulée et je suis rentré chez moi. J’habite à dix minutes du Stade de France.

 

Un peu plus tard, j’ai appris ce qui s’était passé. Tout de suite, j’ai voulu avoir les nouvelles de mes amis. Forcément, on est inquiet. Petit à petit, j’ai eu des nouvelles, mais à l’heure où je vous parle (hier matin), on est toujours sans nouvelles de deux personnes qui étaient avec nous, un homme et une femme. Du coup, depuis, je n’arrête pas de suivre l’évolution de la situation. Je suis en contact direct avec mes amis et je reste scotché aux sites d’informations sur mon iPad. Ce qui s’est passé est inimaginable. C’est choquant de se dire que nous vivons sous l’emprise du terrorisme.

 


 

 

Un vendredi de carnage

 

Les six attaques terroristes qui ont endeuillé la capitale française dans la nuit de vendredi à samedi se sont produites en l’espace de 30 minutes. Elles ont été menées quasi-simultanément du Stade de France au boulevard Voltaire, dans le 11e arrondissement. Au Bataclan, dans la salle archi comble – elle peut accueillir 1 500 places –, se tenait un concert du groupe Eagles Of Death Metal. Tous ceux qui se trouvaient sur les lieux où il y a eu les déflagrations ont vécu de longues heures de détresse, ne comprenant pas dans un premier temps ce qui se passait.

 

Dans le sillage de ces attentats, huit assaillants sont morts, dont sept en se faisant exploser. Quatre des terroristes sont morts au Bataclan, dont trois en actionnant une ceinture d’explosifs, le dernier étant tué lors de l’assaut des forces de l’ordre. Trois kamikazes sont morts au Stade de France (où se déroulait le match France-Allemagne) et un autre au boulevard Voltaire. 

 

 

Suite à ce drame, le président français François Hollande a décrété l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire et a annoncé trois jours de deuil. François Hollande doit par ailleurs rencontrer tous les partis politiques aujourd’hui à 17 heures et s’exprimera devant le Congrès à Versailles, demain, lundi. «Ce que les terroristes veulent, c’est nous faire peur, nous saisir d’effroi. Il y a de quoi avoir peur, il y a l’effroi. Mais il y a, face à l’effroi, une nation qui sait se défendre, qui sait mobiliser ses forces, et qui une fois encore saura vaincre les terroristes», a soutenu François Hollande.

 

Le groupe État islamique (Daech) revendique des attentats. Dans un communiqué écrit en français et publié sur Internet, le groupe djihadiste donne des détails de l’opération. Il évoque également les huit assaillants. Depuis, toute la France est sur le qui-vive. Les dispositifs militaires ont été renforcés, les contrôles ciblés, notamment dans les frontières, sont plus stricts. De nombreuses manifestations ont été annulées. La population est incitée à ne pas sortir de chez elle. Les élans de solidarité, à l’instar d’un don de sang pour les blessés, s’enchaînent.

 

Les messages, hashtags et autres posts de solidarité en soutien aux victimes se sont aussi multipliés sur Internet, notamment sur les réseaux sociaux. Depuis les attentats, d’autres scènes de panique et démarches suspectes ont aussi eu lieu un peu partout dans l’île de France, alors que les forces de l’ordre sont plus vigilantes que jamais. Un élan de solidarité mondial envers les attaques terroristes de Paris, de New York, à Auckland en passant par Rio, est aussi venu dénoncer ces actes. Ainsi, de nombreux monuments à travers le monde ont été illuminés aux couleurs tricolores.

 

De par le monde, que ce soit les particuliers, les stars ou encore les personnalités politiques comme le président Barack Obama, on condamne «ces actes barbares».

 


 

 

Réactions

 

Sir Anerood Jugnauth, Premier ministre 

 

«J’ai appris cette nouvelle à la radio. Je suis très choqué et je ne m’attendais pas à ce qu’une telle chose se produise à Paris. C’est déplorable et barbare. Au nom du peuple mauricien, je condamne ces actions terroristes sans réserve. Je présente toutes mes sympathies aux familles des victimes. Je pense que nous devons être tous solidaires pour combattre et mettre fin au terrorisme. Le ministère des Affaires étrangères tient à rassurer qu’aucun Mauricien ne figure parmi les victimes.»

 

Joël Rault, ambassadeur de Maurice en France

 

«L’ambiance est très morose. À l’heure où je vous parle (midi, heure de Maurice), le choc est encore palpable. On peut constater  que les rues sont désertes. Jusqu’ici, à notre connaissance, il n’y a pas de Mauriciens et proches de Mauriciens parmi les victimes. Nous demeurons très positifs et confiants.»

 

Étienne Sinatambou, ministre des Affaires étrangères

 

«Nous sommes immensément attristés et choqués. Dans ces moments de douleur et de tristesse, nos pensées vont directement aux familles endeuillées. Je suis en contact régulier avec l’Ambassade de Maurice à Paris. Selon nos dernières informations, il n’y a aucun Mauricien à déplorer parmi les victimes, mais rien n’est sûr, car toutes les victimes n’ont pas été identifiées. Les Mauriciens qui ont un problème peuvent contacter la permanence de l’ambassade de l’île Maurice à Paris.»

 

Xavier-Luc Duval, vice-Premier ministre 

 

«Je suis horrifié par la série d’attentats qui a frappé Paris dans la nuit du vendredi. Je tiens à présenter mes sincères condoléances aux familles des victimes. Nous sommes entièrement solidaires avec la France dans ces moments difficiles (...) À Maurice, nous sommes profondément choqués par ce qui s’est passé (...)»

 

Paul Bérenger, leader de l’opposition 

 

«Je tiens à exprimer ma solidarité à la France après les attentats survenus dans la nuit de vendredi à Paris et je présente mes sympathies aux familles des victimes.»

 

Navin Ramgoolam, leader du PTr

 

«C’est choquant et je condamne cet acte barbare de terrorisme. J’étais en contact avec l’ambassadeur de France ce matin (NdlR : samedi matin) pour exprimer ma solidarité envers la France. Je salue la mémoire des victimes.

 

Arvin Boolell, ancien ministre des Affaires étrangères

 

«C’est un terrible drame. Nos prières et nos condoléances vont au peuple français, à ceux qui ont perdu des proches. La communauté internationale a la responsabilité de résoudre les conflits. Il faut agir avec plus de force et il faut plus d’interactions au sein des cellules antiterroristes. Cette lutte est sans merci et sans répit.»

 

Textes : Christophe Karghoo, Yvonne Stephen-Lavictoire, Michaëlla Coosnapen-Gentil et Sabine Azémia

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