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Par Yvonne Stephen
8 septembre 2015 18:21
Baisser les vitres du véhicule. Laisser l’air chaud pénétrer dans l’habitacle jusque-là climatisé. Le choc est thermique. Mais aussi et surtout olfactif. Harry Narain Seepaul nous avait demandé de quitter la route principale de Triolet, de tourner dans une ruelle et d’aller au-delà du chemin asphalté pour emprunter une route de terre afin d’arriver à sa petite «usine». Par contre, il ne nous avait pas préparés à l’odeur. Forte, omniprésente. Une fragrance d’huile rance qui pourrait faire paniquer un estomac fragile. Il ne s’agit pas d’une fabrique de frites, d’une baz pour cuire des samoussa et autres gato delwil, mais un laboratoire pas comme les autres ou alors une station-service. Un deux dans un, en quelque sorte.
Ce coin, un peu fouillis, est une sorte de grand hangar avec quelques voitures, plusieurs récipients en plastique jetés ça et là, et une cour de zone industrielle. C’est là qu’Harry Narain Seepaul transforme l’huile végétale qu’il récupère dans les hôtels, les snacks, les restaurants ou encore des usines qui utilisent cette matière grasse pour leurs activités. En tout, ce sont 500 litres d’huile qui sont rapatriés à 7e Mile, Triolet, tous les jours. De quoi faire des baja à profusion ? Non ! Ce liquide visqueux récupéré n’est plus consommable ; et c’est bien ce qui intéresse notre entrepreneur.
Depuis trois ans, grâce à une machine artisanale – qu’il a fabriquée lui-même – et quelques produits, il répète tous les jours le miracle du carburant bio qui alimente des voitures et des engins de chantier. C’est dans une grande vasque en métal que la transestérification (le fait de modifier l’huile grâce à la chaleur et une substance chimique) a lieu. En ce début d’après-midi, toute l’huile a été traitée. Elle repose dans des drom en plastique afin que ce qui reste de «débris» puisse se séparer de l’huile. Mais avant ça, elle a passé huit heures dans une cuve : «Cette huile doit être nettoyée, chauffée, entre autres opérations. Il y a plusieurs étapes et ça prend du temps.»
A Rs 30 le litre de biodiesel, il estime que son carburant, en plus d’être écologique (car il n’émettrait ni gaz à effet de serre ni dioxyde de carbone), fait du bien au portefeuille : «Il y a moins de fumée et, en plus, le moteur est graissé. La durabilité des injecteurs, du moteur et de la pompe est multipliée par trois.» Afin de pouvoir utiliser ce biodiesel, il suffit d’avoir un moteur qui a besoin de diesel ! Aucune modification n’est nécessaire. Vous risquez, simplement, à un petit coup d’accélération, de sentir des strips ou des nuggets. Avec ses 4 à 5 employés – visiblement tout dépend de la «saison» –, il fait rouler sa petite entreprise.
Pour servir ses clients individuels, il a un système bien particulier afin de remplir leur réservoir : avec un arrosoir en fer blanc. Pour les commandes importantes et régulières – notamment pour les grosses machines de chantier –, il livre le biodiesel dans des contenants. Son produit fonctionne et est bon pour l’environnement, clame-t-il : «Nous n’avons jamais eu de problème. Avant de le lancer, j’ai testé mon produit dans ma voiture et dans celles de mes frères. Il n’y a jamais eu de souci.» Concernant les critiques au sujet de l’inflammabilité de ce produit – ou plutôt des substances chimiques qui y sont ajoutées –, il rassure : «Je lis beaucoup et je me documente sans arrêt. C’est un bon produit qui n’est pas dangereux.»
L’avenir, est-il convaincu, il se trouve là, dans sa petite usine. D’ailleurs, l’odeur d’huile rance, ça fait longtemps qu’il ne la sent plus.
Mais comment est-il tombé dans la marmite du biodiesel ? Un peu par hasard. Harry Narain Seepaul ne se décrirait pas comme étant éco-conscient. Au départ, se lancer dans le biodiesel était une question de sous. Avant, il avait de grosses machines. Puis, avec le prix du diesel qui ne cessait de monter, son business devenait de moins en moins rentable. C’est un peu comme ça qu’il s’est renseigné sur les alternatives au carburant traditionnel. Pour en savoir plus, il s’est rendu en Angleterre et s’est abonné à des magazines spécialisés. Au départ, il a galéré. Trouver la bonne formule, le bon mélange, les bonnes pièces pour construire son système, ce n’était pas une partie facile. Mais Harry Narain Seepaul n’a pas lâché le morceau.
Il a présenté son projet à feu Maurice Ile Durable et à la National Energy Commission (NEC). Il a attendu. Mais il n’a pas eu de retour : «Je n’arrive pas à comprendre pourquoi. Tous les grands pays se tournent vers le biodiesel.» Harry Narain Seepaul voit, désormais, plus grand. Avec le gaz (LPG) qui devrait être une ressource-phare pour la production d’électricité, selon le ministre de l’Énergie, Ivan Collendavelloo, l’homme envisage une chose un peu folle : «Produisons notre propre gaz.» Grâce à ses recherches, il affirme qu’avec le bon équipement, cela pourrait se faire avec de la sciure de bois, des graines de coqueluche, des algues marines et de l’huile végétale, entre autres. Néanmoins, l’appareil nécessaire coûte cher et, pour investir, Harry Narain Seepaul a besoin d’une assurance : qu’il puisse produire de l’énergie et la revendre au CEB. Malgré ses propositions et ses demandes de rendez-vous, il a l’impression de ne pas être entendu. Ce qu’il vise : fournir 2 MW – à titre indicatif, la capacité de production de la ferme photovoltaïque de Sarako est de 5 MW – en électricité. 1 MW obtenu grâce à du biodiesel et 1 MW à travers le gaz : «Ce sera l’occasion de créer des emplois, d’ouvrir d’autres fermes écologiques. Je pourrais former ces personnes et je leur rachèterais leur électricité pour la fournir au CEB.» Il espère qu’avec le changement de gouvernement et l’ouverture vers les énergies renouvelables, les choses vont évoluer pour lui et pour l’île Maurice.
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