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14 février 2023 19:17
Il doit s’en mordre les doigts ! Et se dire qu’il s’est peut-être tiré une balle dans le pied lui-même en convoquant la presse, il y a quelques semaines, pour se défendre d’être un trafiquant de drogue, justifiant son train de vie par ses nombreux business, dont une compagnie de location de voitures, l’élevage de bétail et un fast-food. Car depuis ce fameux 14 janvier, les médias et plusieurs milliers de personnes ont commencé à beaucoup s’intéresser à lui. Alors que d’autres, connaissant son niveau de vie et les multiples rumeurs qui couraient sur lui depuis longtemps, se demandaient comment il était toujours en liberté. Jean Hubert Celerine, plus connu comme Franklin, a fini par être arrêté pour blanchiment d’argent allégué par l’ICAC le mardi 7 février, faisait le buzz encore une fois.
Au quartier général de la commission anti-corruption, on avance que cette arrestation n’a rien à voir avec la demande d’extradition de l’homme d’affaires de 31 ans vers La Réunion où il a été trouvé coupable de trafic de drogue. Les autorités de l’île sœur avaient commencé à enquêter sur lui en 2017, le soupçonnant d’être à la tête d’un important trafic de cannabis qu’il aurait acheminé de là-bas vers Maurice par voie maritime. Les enquêteurs réunionnais l’avaient ainsi mis sur écoute téléphonique. L’habitant de Rivière-Noire a d’ailleurs été condamné à sept ans de prison à La Réunion, le 2 juillet 2021, même s’il n’était pas présent lors du procès et n’a jamais pu être arrêté par les autorités réunionnaises. Il fait toujours l’objet d’un mandat d’arrêt émis là-bas.
À Maurice aussi, Franklin était dans le collimateur de la commission anti-corruption depuis 2016, même si les limiers de cet organisme n’avaient pu le coincer jusqu’au 7 février par manque de preuves. À l’époque, Franklin leur avait fait comprendre que seul le Mimi Grill était à son nom. En effet, tel était le cas sur papier. Officiellement, le suspect ne possédait que ce fast-food, alors qu’il faisait déjà l’objet d’une enquête pour blanchiment d’argent allégué lié au trafic de stupéfiant. Cet homme d’affaires de 31 ans, qui serait à la tête d’un véritable empire financier, était également dans le viseur de l’ADSU depuis 2016.
Dans le passé, les limiers de cette unité de la police avaient déjà procédé à pas moins de cinq opérations pour tenter de le coincer mais l’habitant de l’Ouest a toujours pu s’en sortir. La dernière perquisition à son domicile a eu lieu le 16 octobre 2022 et n’avait rien donné. Toutefois, son casier judiciaire fait état d’une affaire de possession de cannabis et de blanchiment d’argent. Franklin avait été arrêté dans un bungalow à Tamarin en septembre 2016. Il avait été trouvé en possession d’une certaine quantité de gandia ainsi que d’une somme de plus de Rs 300 000. Les policiers avaient également saisi une BMW et une Volkswagen pour les besoins de l’enquête. Ces deux véhicules figuraient sur une liste de choses soupçonnées d’être des «proceeds of crime». Mais à ce jour, Franklin n’a toujours pas été poursuivi dans cette affaire.
En 2019, il fait encore parler de lui après son arrestation pour possession de cannabis. La police en avait recueilli six grammes sur lui. Il a été condamné à payer une amende devant le tribunal de Pamplemousses dans cette affaire. Cette année-là, les enquêteurs de l’ICAC l’avaient convoqué pour qu’il justifie certains de ses avoirs car il était déjà soupçonné d’être le propriétaire de plusieurs biens par le biais de prête-noms. À l’époque, il avait pu s’en sortir en fournissant des explications rationnelles. Mais il n’avait cependant pu convaincre les limiers de la commission anticorruption, qui ont continué à garder un œil sur lui en s’intéressant aux prête-noms en question dans le cadre de cette enquête pour blanchiment d’argent. À un certain moment, l’ICAC aurait sollicité l’aide de la Financial Intelligence Unit (FIU) pour mener une enquête préliminaire sur Franklin après avoir identifié certains de ses prête-noms. Cette unité devait consulter un juge en chambre pour obtenir un Judge’s Order sur un «suspicious transactions report».
Il nous revient que la FIU «pann reponn» à cette requête de l’ICAC, alors que cette démarche aurait eu lieu en 2016. La commission anticorruption n’a toutefois pas baissé les bras. Au fil des années, d’autres éléments importants se sont ajoutés au dossier de l’enquête. L’affaire a connu un véritable rebondissement le 20 janvier, lorsque la FIU a, enfin, fait une demande de Restraining Order en Cour suprême pour réclamer la saisie des biens de Franklin ainsi que de certains de ses proches, dont son ex-compagne et leurs deux enfants, et de trois de ses entreprises. Cette démarche de la FIU a «deblok case-la», nous dit-on du côté de l’ICAC.
La commission anti-corruption a alors accentué son enquête sur l’entourage du présumé trafiquant de drogue. Son Intelligence Team avait déjà eu vent que Franklin avait notamment construit un véritable «château» à La Gaulette sur un terrain qui n’est pas à son nom. L’acte de vente du terrain en question aurait été rédigé par l’épouse d’un ancien ministre. Les limiers de l’ICAC ont ainsi interpellé trois suspects dans ce cas précis dans la soirée du lundi 6 février. Ces derniers sont tous soupçonnés de blanchir de l’argent pour le compte de Franklin en tant que prête-noms. Ritesh Samboo, qui en fait partie, n’a pas tardé à cracher le morceau.
Le jeune homme a confié aux enquêteurs que la maison est financée entièrement par Franklin, même si le terrain est à son nom à lui. Cet habitant de Rivière-Noire dirige aussi une compagnie de location de voitures qui appartiendrait, en réalité, à Franklin. Trois véhicules de ladite compagnie – une Hyundai, une BMW et un Ford Raptor – ont déjà été saisis pour les besoins de l’enquête. Quatre autres suspects qui dirigent des Car Rentals sont également dans le collimateur de l’ICAC. Ils seront bientôt interrogés. Pour l’heure, le suspect Ritesh Samboo est le seul à avoir fait le grand déballage. Il a retenu les services de Me Kailash Trilochurn pour le défendre et l’assister. Les enquêteurs de la commission anti-corruption ont d’ailleurs arrêté Franklin sur la base des aveux de Ritesh Samboo. Lors de sa comparution en cour, ce dernier était vêtu d’un casque de protection et d’un gilet anti-balles pour des raisons de sécurité. Car des représailles sont à craindre.
Lors d’une perquisition dans la fameuse maison de La Gaulette, les limiers de l’ICAC ont constaté plusieurs signes extérieurs de richesse. Cette maison incomplète est évaluée à environ Rs 25 millions. Les fenêtres sont toutes dotées de shutters automatiques. Autre fait marquant : la résidence en question est positionnée comme un poste d’observation. Il offre une vue imprenable sur la côte Sud-Ouest qui est réputée pour être une véritable passoire pour le trafic de drogue entre Maurice et la Réunion ou encore Madagascar. En fouillant, les enquêteurs ont aussi découvert que le charpentier qui s’occupait des travaux au domicile de Franklin à La Gaulette roulait la Hyundai saisie. Les aveux de Ritesh Samboo ont, par la suite, provoqué un véritable crac dans le réseau de Franklin.
Et l’ICAC ne compte pas lâcher l’affaire. Ses limiers étudient désormais toutes les transactions bancaires des prête-noms de Franklin qui est officiellement considéré comme «enn nwar touni». Pour cause : il n’a pas de biens à son nom. La raison pour laquelle l’ICAC a opté pour une enquête pour blanchiment d’argent le concernant – même s’il n’y a pas de peine de prison sévère en cas de condamnation – au lieu d’une enquête pour corruption, c’est qu’un suspect trouvé coupable de blanchiment d’argent voit tous ses biens être confisqués. Les limiers de l’ICAC maintiennent ainsi la pression sur Franklin en continuant à s’attaquer à ses prête-noms, soit tous ceux qui ont acquis des biens illégalement avec son argent qui proviendrait du trafic de stupéfiants. Une liste comprenant une demi-douzaine de noms est déjà sur la table des enquêteurs.
L’un des suspects concernés a déjà été interpellé le jeudi 9 février. Il est soupçonné d’avoir agi comme prête-nom lors de l’acquisition du White Bird, un yacht saisi à La Preneuse. Celui-ci a, par la suite, été escorté vers le port par la National Coast Guard, avant d’être mis sous scellé dans la cour des locaux de l’ICAC. Interrogé, le suspect a déclaré qu’il en a fait l’acquisition pour la somme de Rs 2,5 millions, alors qu’il coûte bien plus. Il nie aussi avoir agi comme prête-nom pour Franklin. L’ICAC l’a invité à revenir bientôt avec les documents qui prouvent qu’il est bel et bien propriétaire de ce bateau de luxe. Un proche de Ritesh Samboo intéresse également l’ICAC. Cet entrepreneur en bâtiment est soupçonné d’être un prête-nom pour Franklin. La journée du vendredi 10 février a, elle, été marquée par la saisie de trois autres véhicules comprenant un Toyota Hilux.
Un autre aspect de l’enquête concerne les récents déplacements de Franklin à l’étranger. Les autorités mauriciennes sont en présence de plusieurs informations à cet effet. De retour au pays en janvier, le suspect avait déclaré qu’il revenait de Madagascar. A-t-il rencontré, sur place, deux frères connus dans le milieu du trafic de drogue à Maurice ? C’est la question que se posent les enquêteurs des différentes unités concernées.
Franklin devra à nouveau comparaître devant la justice ce mardi 14 février sous une accusation provisoire de blanchiment d’argent. Le principal concerné a fait valoir son droit au silence dans toute cette affaire. Il doit aussi retourner devant le tribunal de Bambous le 20 février pour le début des débats sur la motion de remise en liberté sous caution déposée par ses avocats Yatin Varma et Alexandre Leblanc. Le timing de l’arrestation de Franklin est également diversement commenté. Certains considèrent sa détention comme une mise en scène pour éviter aux autorités mauriciennes de le remettre à la justice française. Mais pourquoi ? D’aucuns n’hésitent pas à avancer que c’est parce qu’il aurait le bras long, avec des contacts dans les hautes sphères du pays et des taupes grassement payées au sein de la force policière, qui seraient à son service. Vrai ? Faux ? Affaire à suivre…
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