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12 octobre 2015 15:22
Ses proches n’arrêtent pas d’arriver de partout pour la voir. La résidence d’Israbee Beeharry, à Camp Mapou, Henrietta, ressemble à un véritable lieu de pèlerinage depuis son retour de La Mecque. Tous viennent prendre des nouvelles de la seule rescapée des cinq membres de la famille Jaunoo, qui s’étaient rendus en Arabie saoudite. Israbee Beeharry, née Jaunoo, est rentrée au pays le vendredi 9 octobre, seule, et elle est très éprouvée par le cauchemar qu’elle a vécu en ce lieu saint. Elle a perdu son frère, ses deux sœurs et sa belle-sœur, et a subi plusieurs blessures dans la bousculade meurtrière du 24 septembre, sans compter le traumatisme psychologique de ce moment cauchemardesque où elle a cru qu’elle allait mourir.
La vieille dame de 69 ans revient de loin et se remet lentement, entourée de sa famille qui est aux petits soins pour elle depuis son retour. «Elle est très fatiguée. Elle reprend des forces. Ma mère a été très courageuse», confie Nooreza, 50 ans, la fille aînée d’Israbee. Les proches de la septuagénaire ne savaient pas comment lui annoncer que les autres étaient décédés. Ils croyaient qu’elle ne savait pas encore que son frère Swalley, 63 ans, et ses sœurs Saida, 54 ans, et Zenobee, 62 ans, étaient morts dans la bousculade mortelle à Mina, et que sa belle-sœur Zabine, 57 ans, était toujours portée disparue. «Mais elle a appris la terrible nouvelle à travers d’autres pèlerins mauriciens, dans l’avion, sur le chemin du retour», explique Nooreza.
Si cette dernière est heureuse de retrouver sa mère, elle ne peut s’empêcher d’être très triste d’avoir perdu plusieurs autres êtres chers : «Notre famille est durement touchée. J’ai perdu un oncle et deux tantes. Une troisième est toujours portée manquante. Ce n’est pas un hasard si ma mère a pu s’en sortir. C’est la volonté de Dieu. Allah a voulu qu’elle s’en sorte pour raconter ce qui s’est passé là-bas. Elle a été très forte malgré son âge. Elle a besoin de beaucoup de repos maintenant.»
Israbee Beeharry en était à son second pèlerinage à La Mecque. Le premier, elle l’avait fait il y a dix ans, en compagnie de son époux Islam qui est décédé il y a cinq ans. «Ma mère insistait pour repartir en Terre Sainte. Elle a profité du fait que son frère et ses sœurs s’y rendaient pour aller avec eux. Ce qu’elle a vécu là-bas est terrible. C’est une véritable grâce divine qu’elle soit encore en vie», précise Nooreza.
La petite bande est arrivée sur place avant le début du pèlerinage qui a commencé le 22 septembre pour prendre fin le 26 septembre. «Tout se passait bien. Ils ont visité des lieux sacrés et ont fait des prières dans de grandes mosquées. Ils ont aussi passé une semaine à Madina où ils ont fait des prières et des visites», raconte Nooreza. Les membres de la famille Jaunoo se sont ensuite dirigés vers Mina où ils ont passé une journée et une nuit. Le lendemain, au réveil, ils sont partis sur la plaine Arafat pour un moment intense en prière, puis à Muztalifa avant le coucher du soleil pour y passer la nuit à la belle étoile. Ils ont profité de ce séjour pour ramasser des pierres qui devaient servir au rituel de la lapidation de Satan, à Mina le lendemain, jeudi.
C’est à Mina justement que le drame a eu lieu. Une bousculade qui a fait des centaines de morts. «Tout s’est passé tellement vite qu’elle n’a même pas réalisé qu’elle pouvait mourir pendant cette bousculade. Ma mère, mes tantes et mon oncle marchaient à la file indienne lorsqu’ils ont été emportés par cette vague humaine. Ma mère était à l’avant», explique Nooreza.
À un moment, le horni d’Israbee s’est envolé. Saida, qui était juste derrière Israbee lui a lancé : «To horni pe tombe.» Et Israbee a répliqué : «Les li tombe.» Mais Saida ne l’aurait pas écouté et se serait arrêtée pour ramasser le voile de sa sœur qui fait partie du ehram, soit les vêtements blancs que doivent obligatoirement porter les pèlerins en Terre Sainte. Sous la pression exercée par les autres pèlerins, Saida serait tombée, entraînant Zenobee, Zabine et Swalley avec elle. «Ma mère dit qu’elle a entendu Zabine appeler à l’aide après sa chute. Elle n’a pu se retourner, car la pression exercée par la foule était trop importante. Elle est également tombée quelques minutes plus tard», précise Nooreza.
À ce moment précis, Israbee croyait qu’elle allait mourir. «On m’a marché sur le corps lorsque j’étais par terre.» Par la suite, elle s’est retrouvée enfouie sous plusieurs cadavres. «On a dû m’extirper de dizaines de cadavres pour me secourir et ce, à la troisième tentative. Les volontaires ont su que j’étais vivante, car j’ai pu sortir mon bras pour faire savoir que j’étais en vie», raconte la septuagénaire.
Israbee est ensuite transportée sous une tente avec d’autres ressortissants étrangers pour y recevoir des soins. Vêtements déchirés et sales, pieds nus, la septuagénaire est terriblement éprouvée. Sur place, on lui donne des calmants car elle a terriblement mal sur plusieurs parties du corps. «Elle nous a dit qu’elle avait perdu connaissance pendant une heure. À son réveil, elle se trouvait toujours sous la même tente en compagnie d’autres rescapés. Elle a eu beaucoup de mal à se faire comprendre, car elle ne parle pas l’arabe, mais connaît l’ourdou. C’est finalement dans un centre qu’elle a pu rencontrer quelqu’un qui la comprenait», explique Nooreza.
Le lendemain, vendredi 25 septembre, elle a ainsi pu retrouver son agent et téléphoner à sa famille. À ce moment précis, Israbee ignore que son frère, ses deux sœurs et sa belle-sœur n’ont plus donné signe de vie après la bousculade mortelle. Aujourd’hui, elle le sait et essaie de faire face. «Elle tient bien le coup. Notre famille passe par des moments très durs. On souhaite qu’elle se rétablisse au plus vite. Toute la famille va la soutenir pour lui permettre de récupérer rapidement», précise Nooreza.
Tous les membres de la famille Jaunoo observent actuellement le deuil pour une durée de 40 jours. Des prières spéciales sont dites tous les soirs au domicile de Saida et Swalley à Chemin-Grenier et chez Zenobee Kaudeer, née Jaunoo, à Rose-Belle en sus de la namaz fajr (prière du matin), la namaz zohr (prière à midi), la namaz maghrib (prière après le coucher du soleil) et la namaz esha (prière du soir). Afin que leurs âmes reposent en paix et que leurs proches puissent se remettre de cette tragédie.
Il a eu le cœur brisé en prenant possession des huit valises appartenant à Swalley, Saida, Zenobee et Zabine. Taleb Nabeebaccus, le gendre d’Israbee Beeharry, explique que c’est lui qui a eu cette lourde tâche : «C’était très dur de récupérer les valises des défunts à l’aéroport.» Les funérailles des défunts ont eu lieu en Terre Sainte, souligne cet habitant de Rose-Belle, employé à Air Mauritius. Il en profite pour remercier le ministre Soodhun pour la gestion de ce problème. Ses remerciements vont également aux dirigeants de l’Islamic Cultural Centre, à Sam Lauthan, chef de la délégation, à Airports of Mauritius, à la douane, à la police et à Xavier-Luc Duval. «Ma belle-mère a eu un accueil VIP. Soodhun et Duval ont bien géré cette crise», dit-il.
L’attente est terrible pour Nizam Jaunoo et les siens. L’ambiance est d’ailleurs très lourde au domicile des Jaunoo à Mosque Road, Chemin-Grenier, en ce début de soirée du mercredi 7 octobre. Le soleil vient de se coucher. Tous les hommes de la famille se dirigent vers la mosquée pour le namaz maghrib. Les femmes, elles, prennent place dans la maison en attendant le début des prières spéciales du deuil. Ce jour-là, seul le décès de Saida Jaunoo a été rendu officiel.
Ce n’est que bien tard dans la soirée que Nizam et les autres membres de sa famille ont eu la confirmation du décès de Swalley et Zenobee, le frère et la sœur de Saida. «Nous acceptons tous la mort de mes deux sœurs et de mon frère, même si nous sommes très affectés. C’est une décision d’Allah. Ils ont eu de la chance de mourir en Terre Sainte mais, en même temps, leur départ nous plonge tous dans une profonde tristesse. Ils sont morts en martyrs avec leurs vêtements blancs. Ils ont quitté la famille et l’argent pour Dieu», confie Nizam Jaunoo.
La dernière fois que la famille a eu des nouvelles des pèlerins avant le drame, dit-il, c’était le matin de la fête Eid-Ul-Udha : «Swalley avait envoyé un texto pour nous souhaiter bonne fête avant de se rendre à Mina. Mon frère était le seul à avoir un portable sur lui ce jour-là. Ce n’est que tard dans la soirée, en tentant de le joindre en vain, sur son portable que nous avons commencé à nous inquiéter. C’est par leur agent qu’on a su qu’ils étaient dans la bousculade et qu’ils n’étaient pas rentrés.»
Le lendemain, Israbee donne enfin signe de vie. Ses proches sont horrifiés par son témoignage, surtout quand ils apprennent que des centaines de corps sont stockés dans des conteneurs frigorifiés en attendant d’être identifiés. «Nu bien tris me nu bizin aksepte seki finn arive parski se volonte bondie», souligne Nizam.
La terrible attente de la famille Jaunoo est loin d’avoir pris fin, car Zabine, l’épouse de Swalley était toujours portée manquante à hier après-midi. «Nu pena okenn lespwar parski zot tou ti ansam», souligne Nizam.
Il est inconsolable. Lui, c’est Shaffick Nazurally dont la mère Halima figure parmi les victimes de la terrible bousculade à La Mecque. Halima Nazurally s’était envolée pour l’Arabie saoudite avec son autre fils Nishal afin de participer au Hadj. Tous deux figuraient sur la première liste des Mauriciens disparus après la bousculade. Shaffick et les siens avaient par la suite appris avec joie que Halima et Nishal avaient été retrouvés. Leur soulagement a cependant été de très courte durée, car Halima est sortie à nouveau pour compléter son pèlerinage et n’a plus donné signe de vie. Sa dépouille a été identifiée cette semaine.
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