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9 juin 2020 17:24
«Ce Budget a tenu en haleine toute la population mauricienne, surtout compte tenu des circonstances exceptionnelles dans lesquelles nous nous trouvons. Je qualifierais ce Budget de juste, avec des mesures correctes visant à nous aider à naviguer dans cette situation économique catastrophique qui se profile. Le ministre des Finances a été à l’écoute des planteurs et des syndicats sur certains points : valorisation de la culture locale, aide aux personnes en chômage technique... Par contre, on se demande quelles seront les retombées de l’investissement dans les projets en Afrique et de l’enlèvement de la contribution au NPF. Attendons-voir. Il y a quelques craintes aussi concernant le côté paradis fiscal, avec encore plus de facilités accordées aux non-résidents sur la question de l’enlèvement du taux minimal d’investissement, entre autres. Je constate aussi une certaine harmonie dans les secteurs de l’éducation, de l’entrepreneuriat, de l’environnement, des énergies renouvelables et de la santé.»
«Je suis directrice de Live Events Planner. Ce qui me touche dans ce Budget, c’est le maintien de la pension de vieillesse à partir de 60 ans à Rs 9 000. Le New Cancer Hospital est un super projet ainsi que la construction de logements sociaux, surtout que beaucoup de familles n’ont pas de toit. J’espère juste que ce ne sont pas que des promesses en l’air. Autre point positif : la mesure de renforcement des infrastructures pour aider à la protection des enfants et des femmes. J’espère que c’est pour très vite. Et pour les entrepreneurs ? En tant qu’entrepreneure, je trouve qu’il n’y a pas de vrai soutien et que l’endettement n’est pas une solution. C’est très dommage. Ce qui manque dans ce Budget, c’est un vrai plan économique. C’est aussi dommage qu’il n’y ait pas eu de baisse de prix du carburant et de l’électricité.»
«Je suis un professionnel de l’audiovisuel, membre de l'association Professional Photographers of America (PPA), et un entrepreneur. Il est vrai que le Budget pourrait être discuté et rediscuté, apprécié sous un angle et pas sous un autre. Mais ce que je retiens en tant que professionnel de l’audiovisuel, c’est qu’il n’y a aucune mesure pour les réalisateurs de contenus audiovisuels, les photographes et les vidéastes. Alors que le travail de la communauté des photographes et des vidéastes est souvent de faire la promotion de l’île Maurice. Pour redynamiser le secteur, il faudrait des schemes permettant aux entrepreneurs de ce secteur de s’en sortir. Nous avons aussi des investissements, des loyers et d’autres frais connexes. De façon directe, nous influençons la décision d’un couple à venir célébrer leur mariage à Maurice et à y dépenser des milliers d’euros, et incitons les étrangers à choisir Maurice comme une destination de vacances alors que la concurrence est très rude entre les îles. Je trouve dommage qu’aucune considération n’ait été accordée à toutes ces personnes contribuant activement à rehausser l’image de Maurice à travers l’audiovisuel et la photographie. Sur le plan personnel, c'est dommage qu’il n’y ait aucune mesure pour aider la famille. À noter que toutes les denrées de base ont connu une hausse faramineuse. Par exemple, mes provisions pour deux adultes et un bébé avoisinaient Rs 9 000 en février et en mai, pour les mêmes choses, j’en étais à presque Rs 14 000. Il y a beaucoup de flou, de grands termes et mots, mais au fond, il y a beaucoup de mesures drom vid.»
«Je trouve très bien le fait que le Budget alloue de l’aide aux ONG car, malgré la crise qui se profile à l’horizon, nous n’avons pas été oubliées et je suis rassurée de constater que le gouvernement va continuer à nous soutenir dans notre combat. J’ai vu que le personnel médical et les policiers vont recevoir une prime et c’est très mérité. Mais un fonds aurait aussi dû être dégagé pour tous les frontliners dans les secteurs public et privé, comme les éboueurs, les pompiers, entre autres. Ces personnes ont également risqué leur vie pour nous. Le gouvernement aurait dû encourager et soutenir le secteur privé à motiver certains employés, notamment les caissiers.»
«Je suis dans le secteur des meubles faits sur mesure, 100 % locaux. Encourager le Made in Mauritius, c’est bien mais le mettre en application sera plus difficile car le label Made in Moris existe déjà depuis longtemps et on peine toujours à faire acheter nos produits par des consommateurs locaux. Le gouvernement aurait dû augmenter la taxe sur tous les produits finis importés et réduire la taxe sur la matière première importée. Cela nous aurait aidés à être plus compétitifs et aurait encouragé les consommateurs locaux à se tourner vers le Made in Mauritius. Un point positif, c’est le loan à 0,5 %. Ce sera d’une très grande aide aux entreprises. Maintenant, reste à voir les conditions derrière.»
«J’ai 14 ans, je suis en Grade 9 et j’étudie au St Nicolas Grammar School. Cette année, j’ai pris le temps d’écouter le discours budgétaire car nous sommes passés par une période très difficile et que j’ai décidé de montrer plus intérêt envers tout ce qui concerne mon pays. Ce qui me touche dans ce Budget, c’est la prime de Rs 15 000 aux frontliners ainsi que le fait que des Eco Bins seront installées à travers l’île pour collecter le plastique et le transfert de Rs 2 milliards au National Environment Fund, des mesures visant à encourager l’utilisation d’énergies renouvelables. Mais je trouve dommage que de nombreux produits d’alimentation subiront une hausse, comme les boissons, biscuits, yaourts, etc. Je pense que la hausse des prix devrait plutôt être appliquée aux boissons alcoolisées et aux cigarettes pour décourager les jeunes à en consommer. Avec ce Budget, j’espère que notre pays se remettra vite debout et que les jeunes auront un meilleur avenir.»
Des mesures, des mécontents. Les syndicats ont fait entendre leurs voix suivant le Budget Speech. Reaz Chuttoo, président de la Confédération des travailleurs du secteur privé (CTSP), nous a fait la déclaration suivante : «C’est un Budget sans surprise, même s'il y a eu beaucoup de supports mis en place pour la relance de l'économie du pays. Mais les employés du secteur privé sont les enfants pauvres de ce Budget. Par exemple, le personnel des centres hospitaliers et celui de la force policière auront une compensation de Rs 15 000 chacun. Qu’en est-il du personnel du secteur privé qui a nettoyé et surveillé les hôpitaux durant le confinement ? Autre point : il y a eu la réforme du NPF pour la Contribution sociale généralisée (CSG), sans discussion au préalable. Nous voulons de la clairvoyance ; nous ne pouvons pas faire croire aux employés du secteur privé qu'ils paieront moins et gagneront plus. C'est faux ! Nous avons déjà informé le Bureau international du travail à ce sujet et j’espère qu'il y aura une consultation et une discussion avant que la CSG soit adoptée.»
La CTSP a également adressé une lettre à Fazila Jeewa-Daureeawoo, ministre de la Sécurité sociale, pour demander une réunion urgente afin de discuter de l'abolition du fonds de pension.
De son côté, le Mauritius Labour Congress a analysé les mesures budgétaires lors d'un point de presse le vendredi 5 juin. Pour son président, Haniff Peerun, l’introduction de la contribution a été faite sans consultation et, calculs à l'appui, les «travailleurs auront moins à leur retraite qu'avec le NPF». Il a toutefois salué des mesures comme la rénovation des écoles et la distribution de tablettes aux enfants au bas de l'échelle. Par ailleurs, la prime de Rs 15 000 aux employés des hôpitaux et aux policiers doit être donnée à d'autres frontliners aussi, soutient-il.
À ce sujet, dans un autre point de presse le même jour, celui de la State Employees Federation, son président, Radhakrishna Sadien, a aussi déclaré que «ce ne sont pas que les gens de l'hôpital ou de la police qui ont travaillé pendant le confinement», citant les employés de supermarchés, les pompiers ou encore les éboueurs.
Plus positif, dans un communiqué de l’Association for the Protection of the Environment and Consumers le jeudi 4 juin, son président, Suttyhudeo Tengur, confie que le Budget «rassure la population avec la préservation des acquis dont la pension de vieillesse, entre autres facilités».
«Un Budget de solidarité et de partage.» C’est ce qu’a affirmé le Premier ministre, Pravind Jugnauth, à l’issue de la présentation du Budget 2020-2021. Selon lui, celui-ci vient porter secours aux entreprises, PME et personnes au bas de l’échelle, toutes durement touchées par la crise sanitaire. «La priorité de ce Budget est de relever l’économie et le social. Notre philosophie est d’essayer de garder un équilibre afin que la population puisse aller de l'avant.»
Cependant, l’opposition n’est pas du même avis. Selon le leader de l’opposition, Arvin Boolell, ce Budget est dangereux et trompeur. Il a, par ailleurs, affirmé que le Budget ne présente aucun plan pour la création d’emplois et la relance des secteurs en difficulté. «Actuellement, la dette est de 75 % du PIB. Même avant la pandémie, le tourisme et le textile, entre autres, étaient dans le rouge. On s’attendait à un Budget de relance.»
Pour le leader du PTr, Navin Ramgoolam, l’exercice budgétaire présenté par Renganaden Padayachy est tout simplement «choquant». «C’est la première fois que je vois un ministre des Finances présenter un Budget pareil. Il a utilisé des subterfuges pour cacher des choses. Il n’y a aucune transparence. Il n’a rien dit sur les dépenses et les revenus, ce qui est l’essentiel d’un Budget.»
Paul Bérenger, leader du MMM, a, lui, qualifié le Budget de «décevant». Il s’est notamment exprimé sur la réforme du système de pension qui représente, selon lui, la mort lente de la pension universelle. «Donn linpresion gran kitsoz inn fer, linn zis sonn zorey dimounn avek 12 000 lozman !» Selon lui, il aurait fallu accorder une plus grande attention aux entreprises afin d’éviter les fermetures et les licenciements.
Xavier-Luc Duval, leader du PMSD, n’a pas non plus mâché ses mots. Pour lui, ce Budget ne vient en aucune manière régler les problèmes urgents auxquels le pays fait face. «L’économie de Maurice est à genoux. Ce sont des mesures sans queue ni tête. Il a dévalisé la Banque de Maurice pour faire une liste de construction.» Pour lui, il s’agit d’un Budget «shopping list».
Pas mal de choses annoncées pour le domaine de l’art et de la culture. Lors du Budget, le ministre des Finances a déclaré que Rs 19 millions seraient allouées au récent plan post-Covid-19 du ministère des Arts et du patrimoine culturel, notamment pour le support de concerts virtuels ; Rs 15 millions au calendrier culturel ; Rs 35 millions à la préservation des sites historiques et du patrimoine. Il a aussi évoqué le développement d’un Art District à Port-Louis, avec des expos et installations à des endroits stratégiques, la mise sur pied d'une galerie d’art online, d'espaces pour des événements artistiques et des expos au complexe de Côte d’Or, et l'organisation d'un Art Festival pour la fête de la Musique en 2021.
Des mesures auxquelles les artistes n’arrêtent pas de réfléchir depuis le jeudi 4 juin. Avec des opinions qui ne vont pas souvent dans le bon sens. La chanteuse Linzy Bacbotte, par exemple, se pose plein de questions : «C’est très bien d’avancer des chiffres par millions mais comment tout cela va se faire dans la pratique ? Je me pose des questions du genre : qui bénéficiera de ces aides ? Seront-elles équitables pour tous les artistes ? Et qui va monitor ces projets ?»
Stephan Rezannah, fondateur et dirigeant du label Jorez Box, qui produit plusieurs artistes (Blakkayo et Eric Triton, entre autres), trouve qu’il y a des choses positives mais… «C’est bien de voir plusieurs mesures dans ce Budget pour les artistes, même si je m’attendais à ce qu’on annonce une réforme de la Mauritius Society of Authors (MASA). Il y a aussi un peu de flou, pas de détails concrets, avec la sensation que ces mesures sont plus une réaction à une période de crise, comme une bouée de sauvetage.»
C’est la grande déception, par contre, du côté de l’artiste plasticienne Nirveda Alleck, qui n’y va pas par quatre chemins : «On dit qu’il y aura des expositions à Côte d’Or. Or, ce n’est pas un endroit très fréquenté. Qui viendra voir nos expositions ? Je vois aussi le projet d’un Art District, qui date d’un moment. Nul besoin de faire encore une étude sur des endroits stratégiques, des festivals comme Porlwi ont déjà montré ces endroits. Donc, pour moi, ce sont des mesures un peu trop immédiates, pas claires, et qui ne me semblent pas être sur le long terme.»
La technologie sera plus que jamais partie prenante de notre quotidien. Et le Budget s’est pas mal appesanti sur ce secteur. Il y a notamment, et surtout, la création d’un Data Technology Park à Côte d’Or, avec 12 centres différents. Il y a aussi le retour du DBM Loan pour l’achat d’ordinateurs, le projet de Wi-Fi dans les écoles, la numérisation des services publics, entre autres.
Vincent Bourelly, Chief Operation Officer de la compagnie Elytis et membre du conseil d’administration de la Mauritius IT Industry Association (MITIA), accueille tout cela plutôt positivement : «En tant qu’acteur du secteur informatique, j’accueille très favorablement la volonté de numérisation des services publics, encadrée par une Agence pour la transformation numérique. Ceci devrait permettre, à terme, de réduire la bureaucratie et d’améliorer l’efficacité de ces services. La facilitation de l’accès à la technologie est bien aussi, avec notamment le grand retour du DBM Loan pour l’achat d’équipements à des fins éducatives et la finalisation du projet de Wi-Fi dans les écoles.»
Notre interlocuteur approuve aussi la création du parc de Côte d’Or : «La promotion de l’innovation était également une attente du secteur et semble s’articuler autour de la création du Parc technologique de Côte d’Or. Reste à connaître les détails autour de ce projet ambitieux.»
Textes : Christophe Karghoo et Stephane Chinnapen
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