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21 novembre 2016 01:17
Ils y ont cru tellement fort. Cet espoir a été à la hauteur de cette envie, de ce besoin viscéral de retrouver leur pays. Ils espéraient que les erreurs du passé allaient enfin être corrigées. Mais il n’en est rien. Aujourd’hui, les Chagossiens ont l’intime conviction qu’on s’est joué d’eux… une fois de plus. L’espoir est-il encore permis ? Pourront-ils un jour revoir les Chagos ? Quand cette plaie va-t-elle se refermer ? Depuis quelques jours, ces questions reviennent en boucle sur leurs lèvres.
Depuis que le gouvernement britannique a fait savoir, le mercredi 16 novembre, qu’il s’opposait à leur retour sur leur archipel, les Chagossiens ont le moral au plus bas. Les sentiments s’entrechoquent entre déception et colère. Il y a cette immense tristesse et cette désillusion qui les taraudent et qui leur donnent mal à la tête. Il faut dire que malgré les nombreuses tergiversations des Anglais, les Chagossiens avaient bon espoir de pouvoir enfin fouler le sol de leur archipel. La détermination du Premier ministre sir Anerood Jugnauth, toute la campagne de Maurice au niveau international pour réclamer sa souveraineté sur le territoire chagossien et la pression mise sur les Britanniques leur avaient permis de croire à un heureux dénouement.
Dans sa voix, l’amertume et la colère ne font aucun doute. Liseby Élisée, 64 ans, enrage. «Je m’attendais à une réponse positive. Je l’espérais tellement. Mais au lieu de ça, on nous propose de l’argent.»La proposition du gouvernement britannique de leur offrir, à la place, une aide financière de £ 40 millions sur une période de dix ans leur apparaît comme une insulte, comme si on voulait acheter leur souffrance :«Comment peuvent-ils penser que cela pourra remplacer notre droit fondamental, un droit qui a été bafoué ?»Pour Liseby Élisée, installée comme beaucoup de ses compatriotes dans le morcellement des Chagossiensà Baie-du-Tombeau, tout l’argent du monde ne pourra effacer ce désir profond de vivre à nouveau à Peros. «J’aimerais mourir là-bas et y être enterrée. C’est mon plus grand souhait.»
Encore aujourd’hui, le souvenir de son départ forcé est douloureux pour cette Chagossienne qui avait 20 ans à l’époque. «On nous disait depuis quelque temps qu’on devait quitter les Chagos pour aller à Maurice. On avait refusé et puis, petit à petit, le ravitaillement des engrais alimentaires se faisait de plus en plus rare jusqu’à ce qu’il n’y ait plus à manger. Un jour, le bateau Nordvertest arrivé pour nous emmener. On nous a dit qu’on n’avait pas le choix, qu’il fallait tout quitter, maison, meubles, animaux.» 44 années se sont écoulées depuis mais Liseby a gardé en elle un profond chagrin.
Choc, colère, tristesse. Encore une fois, ce sont ces sentiments qui animent la sœur d’Olivier Bancoult, leader du Groupe Réfugiés Chagos. «Les Anglais se sont bien joués de nous.»Depuis l’âge de 13 ans, âge à laquelle elle a quitté Peros Banos, Mimose Furcy vit avec un grand vide. «J’aime beaucoup Maurice mais ma vie est là-bas. Je suis très triste. Toute ma famille est enterrée là-bas. Le cimetière des Chagos est le seul à ne pas être fleuri.»
Ce déracinement, confie-t-elle, ne pourra jamais être oublié ni acheté. «Cette compensation est tout à fait normale car ils nous ont causé une grande souffrance mais ils ne peuvent pas nous priver de notre pays. C’est injuste.» Malgré les coups durs et la déception, Mimose Furcy et les siens sont bien décidés à ne pas abandonner. «Tant que je serai en vie, j’aurai de l’espoir et je ne laisserai pas tomber.»
A-t-il encore la force, le courage de continuer à se battre ? Rozemont Saminaden se le demande. Il est fatigué, las de tant d’années de combat. Il est né le 29 août 1936 à Salomon. Il avait 40 ans lorsqu’il est arrivé à Maurice. La blessure est encore vive pour celui que l’on surnomme Ti Frère, figure connue de la communauté chagossienne. Aujourd’hui âgé de 80 ans, il n’a jamais pu oublier les Chagos. La décision du gouvernement britannique de leur refuser le droit de retour a été pour lui un choc. «Mon coeur saigne. C’est une terrible déchirure. J’étais déjà déçu mais aujourd’hui je le suis encore plus. Chaque être humain aimerait vivre là où il est né. Pendant combien d’années devrons-nous nous battre ? Les Anglais nous traitent de la pire sorte qui soit.»Après toutes ces années à réclamer les droits des Chagossiens, Ti Frère se demande si son vœu le plus cher sera exaucé : «Tout ce que je désire, c’est pousser mon dernier souffle sur mes terres.»Mais peut-il encore espérer ? Les sentiments de Rozemont Saminaden sont mitigés. «Je ne sais pas si je peux encore y croire mais je ne veux pas baisser les bras. La loi internationale doit pouvoir obliger l’Angleterre à nous rendre les Chagos.»C’est le cri du cœur de Ti Frère et de tous les membres de la communauté chagossienne pour qu’ils puissent enfin rentrer chez eux.
Il y a quelques semaines, Londres demandait à Maurice une trêve jusqu’à juin 2017, avant de porter sa résolution devant l’Assemblée générale de l’ONU. Cependant, les Britanniques ont préféré prendre un pas décisif dès maintenant, sans tenir compte des discussions entre Maurice et Londres. C’est au Parlement britannique que la baronne Anelay a annoncé mercredi que l’Angleterre refuse le retour des Chagossiens dans leur pays, qu’une compensation leur sera offerte et que le bail sera renouvelé jusqu’à 2036. Selon la baronne Anelay, ce fonds, qui s’étalera sur dix ans, aidera les Chagossiens à améliorer leur accès aux services de santé et sociaux, à les former et à trouver de l’emploi.
Face à cette nouvelle qui a eu l’effet d’une douche froide, le gouvernement mauricien a tout de suite réagi, contestant fermement la légalité de cette décision. «Maurice ne reconnaît pas les Chagos comme un territoire anglais. L’archipel des Chagos a fait et fera toujours partie du territoire mauricien», a annoncé le bureau du Premier ministre dans un communiqué officiel, après une réunion avec les responsables de ce dossier, plus déterminé que jamais à porter l’affaire devant la Cour internationale de justice.
Pour Maurice, la Grande-Bretagne est en totale violation du droit international. «Si une compensation financière pourrait soulager les Mauriciens d’origine chagossienne, aucune somme et aucune excuse publique de la Grande-Bretagne ne pourrait rendre légal ce qui est illégal», précise le gouvernement.
La décision de Londres a créé choc et consternation parmi les membres du gouvernement et ceux de la société civile. Vendredi soir, Paul Bérenger déclarait, lors d’un congrès du MMM à Plaine-Verte, que nous faisions face à une situation grave et qu’il avait peur pour le pays, et le leader de l’opposition est revenu à la charge dans sa conférence de presse samedi. Selon lui, le gouvernement mauricien n’a pas su faire son lobbying sur le plan international. «C’est un coup bas additionnel de la Grande-Bretagne. Maurice a mal battu ses cartes. Nous attendrons désormais la réunion du comité parlementaire sur les Chagos, prévue ce mercredi, pour voir de quoi il en ressort.»
Du côté du PTr, Shakeel Mohamed a qualifié la démarche de l’Angleterre comme étant «impériale et raciste». Pour lui, les Anglais ont commis une faute grave et cette proposition de compensation est «une insulte».
Olivier Bancoult est, lui, catégorique. «La dignité des Chagossiens n’est pas à vendre.»Après la décision de Londres d’interdire le retour du peuple des Chagos sur leurs terres natales, le leader du Groupe Réfugiés Chagos est plus que jamais décidé à porter l’affaire devant les instances internationales. Il se dit prêt à mener une nouvelle bataille juridique et une demande de Judicial Review sera logée en Cour. Ce sentiment que Londres mène Maurice et le peuple chagossien en bateau est partagé par de nombreuses personnes impliquées dans ce combat. Pour Lindsey Collen de Lalit, ça fait des décennies que ça dure. «Les Chagossiens doivent cimenter davantage cette alliance avec les Mauriciens et il est plus que jamais l’heure d’accentuer cette lutte pour récupérer les Chagos.»
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