Le 25 octobre 2019, vous avez déposé une plainte en Cour suprême pour inconstitutionnalité de l’article 250 du code pénal en présence du Collectif Arc-En-Ciel (CAEC). Pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Ridwan Ah Seek, j’ai 29 ans et je bosse dans le secteur bancaire. Je travaille avec le Collectif Arc-En-Ciel depuis environ 10 ans.
Pourquoi cet engagement pour la cause LGBT ?
Étant membre de la communauté LGBT, je me sens directement concerné, impacté par tout ce qui se passe par rapport à ce sujet. Comme je suis de nature combative, je me suis joint au collectif pour lutter pour les droits des personnes de la communauté LGBT et, petit à petit, d’année en année, j’ai occupé plusieurs rôles au sein de l’organisme. J’ai été bénéficiaire, puis employé à temps partiel et après, je me suis retrouvé sur le board.
Et comment pouvez-vous définir ces dix dernières années ?
J’ai beaucoup appris. J’ai pu aussi rencontrer d’autres bénéficiaires, d’autres personnes. Je ne dis pas que je ne connaissais personne avant mais au sein du collectif, on voit la cause sous un autre angle. Dans le sens où tu arrives à voir les vrais impacts des actes homophobes. Des fois, on peut se dire qu’on est tranquille dans sa petite vie, je vis tranquillement, personne ne m’agace mais quand je vois ce qui se passe autour de nous, comme j’ai pu le voir en évoluant avec le collectif, on se rend compte à quel point une remarque ou encore un mot dans la rue peut blesser et faire quelqu’un se sentir mal dans sa peau. Mon implication au sein du collectif m’a donné une autre vision de la réalité que peuvent subir les membres de la communauté LGBT.
Qu’est-ce qui a changé dans votre vie depuis que vous militez pour cette cause ?
J’ai aujourd’hui beaucoup plus confiance en moi déjà. Je sais maintenant que, même si le monde entier me tourne le dos, j’ai toujours des personnes ici ; une équipe, qui sera toujours là pour moi, pour me soutenir à n’importe quel niveau. Je suis aussi beaucoup plus à l’aise à parler de ma sexualité à d’autres personnes.
Et quels changements avez-vous pu voir au fil des années par rapport au combat que mène le collectif ?
Je dirais qu’il y a eu une évolution dans la société mauricienne par rapport à la cause que le collectif défend. Ça commence à évoluer. C’est lent mais ça vient. Il y a bien évidemment ceux qui sont contre et on respecte leurs sentiments. Mais ces dernières années, je peux dire qu’on a eu pas mal de soutien. On a, par exemple, vu ce grand élan de solidarité sur les réseaux sociaux quand la pride avait dû être annulée en 2018. On a ainsi vu qu’il y avait aussi des personnes qui comprennent et qui respectent notre réalité. À la pride 2019, on a eu un soutien et une présence, hors pair.
Connaissant cette réalité, pourquoi avoir accepté d’afficher votre identité et votre visage dans le sillage de cette action ?
Être gay, ce n’est pas mon identité mais ça fait partie de mon identité. Je ne me présente pas en disant que je m’appelle Ridwan et je suis gay. Non, pas du tout. De nature, j’ai toujours été franc et vrai envers moi-même et aussi envers mon entourage… Qui je suis et ce que je fais n’est pas supposé déranger les autres. J’ai décidé de m’engager dans cette action pour contribuer à faire avancer la cause, pour faire respecter les droits et la liberté de tout le monde et parce que je milite pour cela depuis déjà plusieurs années. Je le fais à visage découvert parce que je trouve que c’est ainsi plus humain, au lieu de me cacher et de le faire sou tapi. Je ne voulais pas me battre et le faire dans un petit coin. Je pense que c’est très important de montrer le côté humain et honnête de la chose.
Que dit l’article 250 du code pénal ?
C’est une loi qui date de très longtemps, de l’époque coloniale. Notre île est en évolution constante et une telle loi qui empêche les humains d’avoir leurs droits fondamentaux, de faire ce qu’ils veulent dans leurs chambres, sans déranger personne, n’a pas sa raison d’être. Promulgué dans sa version en 1898, cet article est une relique de notre passé colonial et d’une vision passéiste et révolue des rapports sociaux. En criminalisant deux adultes du même sexe et consentants dans leur intimité, l’article 250 est en violation de la Constitution mauricienne, la loi suprême de notre pays. Les personnes reconnues coupables en vertu de cette loi encourent une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement. L’article 250 contrevient à plusieurs droits fondamentaux constitutionnels, notamment à ceux de l’égalité, de la vie privée, de la liberté d’expression, de la liberté personnelle, de la protection contre la discrimination et la protection contre tout traitement inhumain et dégradant. L’article 250 concerne tout le monde, pas que les personnes de la communauté LGBT.
Quel changement voulez-vous apporter à travers cette action en Cour suprême ?
Déjà, il faut que l’île et la mentalité des gens évoluent et que chaque personne se sente libre. Si je fais l’amour avec mon partenaire, il faut que je ne ressente aucune crainte d’aller finir en prison ou qu’on me colle une amende.
Est-ce qu’il y a eu des réactions autour de vous depuis que votre nom a été associé à cette démarche judiciaire ?
Je reçois beaucoup de soutien. Au bureau, on m’a rassuré qu’on sera là pour moi et c’est également le cas du côté de ma famille.
Et pourquoi ce combat est important ?
Tout simplement parce qu’on se bat contre une loi qui bafoue les droits humains. Ça doit changer.