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4 août 2024 12:03
«Des caddies moins remplis, des factures plus chères et des porte-monnaie vides...» C'est le constat que nous fait Ana à la sortie d'un supermarché du centre de l'île. Pour elle, c'est indéniable, semaine après semaine, au moment de payer ses achats, la hausse des prix fait de plus en plus tiquer, alors que les consommateurs, de leur côté, payent encore et encore le prix fort.
Ce n'est plus un secret, le prix de plusieurs produits essentiels est dans une course effrénée vers les sommets. Et dans un contexte international perturbé, les prix, estiment les économistes, vont continuer de grimper. «On se demande ce qui n'a pas augmenté», lâche ainsi Ana, en notant qu'il y a, à nouveau, un changement à la hausse dans le tarif de certains produits comme le fromage, certains yaourts ou les pâtes, entre autres. «La nouvelle hausse des prix sur de nombreux produits aura une répercussion néfaste sur le pouvoir d'achat. Il devient de plus en plus difficile de vivre correctement à Maurice», nous confie, pour sa part, Giovanni, qui souligne aussi que l'augmentation des prix pèse de plus en plus sur le moral des consommateurs. Voilà plusieurs semaines depuis que cette tendance affecte la vie des Mauriciens. L'érosion du pouvoir d'achat est ainsi plus que jamais une réalité. Face à cette situation, certains ont dû s'adapter, changer leurs habitudes, revoir leurs priorités et parfois même faire des choix.
Selon une étude d'Afrobarometer Mauritius, datant du mois de juillet, «près de la moitié des citoyens déclarent que leurs conditions de vie se sont détériorées au cours des 12 derniers mois (...)». Le rapport souligne aussi que «the cost of living is the most important problem that Mauritians want their government to address, cited by more than four in 10 respondents (44%) as one of their top three priorities». Parmi les raisons qui sont mises en avant pour expliquer la situation, il y a la dépréciation de la roupie, la guerre entre l'Ukraine et la Russie qui impacte le commerce mondial, et le coût du fret, avec les problèmes autour du Canal de Suez, notamment. À ce sujet, Dorine Chukowry, la ministre du Commerce, dit suivre la situation.
«L'augmentation continue du coût du fret maritime est un problème complexe et mondial qui échappe au contrôle de mon ministère», a-t-elle déclaré, ce mardi 30 juillet au Parlement, en répondant à une question du député MMM Reza Uteem, tout en soulignant qu'une réunion avec des compagnies maritimes était prévue. Lors d'une conférence de presse le samedi 27 juillet, la ministre Chukowry avait aussi abordé la question de la hausse des prix en soulignant que c'est un phénomène mondial hors du contrôle du gouvernement. «La hausse de prix ne concerne pas que nous. C'est mondial. La seule chose que nous pouvons faire, c’est de nous adapter et de continuer de soutenir la population comme nous le faisons déjà. (...) On soutient notre population et on améliore leur pouvoir d'achat. Oui, le coût de la vie augmente mais on doit reconnaître que ce gouvernement est à l'écoute de la population et soutient les plus vulnérables», avait-elle déclaré tout en précisant que les autorités apportent du soutien à la population avec des aides sociales : «Pou nou soulaz la popilasion nou finn vini avek bokou mezir.»
La ministre Chukowry a aussi mis en avant le fait que, selon elle, les Mauriciens, vivent bien. «Malgré la vie chère, les Mauriciens sont en train de bien vivre. Je vous invite à faire un tour dans les shopping malls à travers le pays. Allez voir tous ces gens qui mangent dehors. C'est un signe que les gens vivent bien. Tous les restaurants sont bondés. Bizin fer musical chair pou kapav gagn enn plas dan restoran. Si dimounn pa ti pe viv bien, sa bann malls-la ti pou ranpli ? Tou so bann lespas ranpli, ke se swa so bann sipermarse, ke se swa so bann restoran. Alors, il ne faudrait pas faire de la démagogie et venir dire le contraire. Bien sûr, on a envie que les prix baissent mais li pa depann lor nou», a-t-elle déclaré.
Face à cette déclaration, Jayen Chellum, le secrétaire général de l'Association des consommateurs de l'île Maurice (Acim), estime qu'il ne faut pas généraliser. «On ne peut pas dire que tous les Mauriciens vivent bien, considérant que dans notre population, il existe différents groupes de revenus et différentes classes socio-économiques. Nous ne pouvons pas mettre tout le monde dans le même panier. Il y a des catégorisations, des différences par rapport à des consommateurs avec différents groupes de revenus», explique--t-il. Concernant la fréquentation des malls par les Mauriciens, le secrétaire général de l'Acim estime qu'il ne faut pas en tirer des conclusions : «Il faut considérer le fait que les supermarchés et les malls dominent le marché de la vente au détail aux dépens des petites boutiques et des petits magasins. Quand on circule, on peut comparer et voir combien de personnes se tournent vers les magasins en ville et combien vont faire leur course dans les malls. Ceux-ci sont devenus comme des centres d'attraction où les gens trouvent de tout sous un seul toit. Et c'est donc normal que beaucoup de personnes se tournent vers ces lieux. Les malls accueillent des Mauriciens de différentes couches sociales qui se tournent vers eux au lieu d'aller dans les petits commerces des villes et des villages. Ce ne sont pas des facteurs sur lesquels on peut se baser pour tirer des conclusions par rapport à l'enrichissement des consommateurs de différents groupes de revenus. Certaines classes sociales avec leur groupe de revenus peuvent se permettre d'aller dans des restaurants, mais ce n'est pas le cas pour tout le monde.»
Pour Jayen Chellum, les semaines à venir risquent d'ailleurs d'être difficiles : «Ce sera le cas en raison de l'immobilisme du gouvernement à ne pas contrôler les prix des produits et du fait que ce même gouvernement maximise sur la taxe, c'est-à-dire qu'il est en train de maximiser sur les revenus qu'il gagne de la taxe et qu'il ne veut pas intervenir pour la baisser. Par exemple, avec la taxe sur le fret, et aussi considérant les profits qui sont exercés d'une manière libre à l'exception de certains produits, les choses s'annoncent difficiles. Dans un tel environnement, je trouve que ce gouvernement n'a pas d'égard ni de sensibilité par rapport à ce que vivent les Mauriciens. L'avenir s'annonce ainsi sombre pour les consommateurs. On a affaire à un système qui permet une exploitation éhontée des consommateurs.»
Si certains estiment que les allocations aux ménages ainsi que les subventions sur certains produits permettent aux Mauriciens de faire face au coût de la vie, Jayen Chellum ne l'entend pas de cette oreille : «La source des allocations, c'est la taxation. Donc, il s'agit de notre argent. Larzan sorti dan nou pos enn kote ek li rerant dan nou pos lot kote. L'allocation qui est donnée par le gouvernement, c'est pour pallier la perte du pouvoir d'achat au-delà de la compensation salariale. Lorsqu'on enlève le rattrapage à la perte de pouvoir d'achat dans l'allocation donnée, ce qui reste pour dépenser est moindre. Et avec toutes les augmentations de ces derniers temps et l'inflation qui bat son plein, on ne peut pas venir dire que les Mauriciens vivent bien. Cela dépend du groupe de revenus. Il y a des gens qui vivent avec le salaire minimum et avec le coût de la vie actuellement, ils se retrouvent en difficulté.»
Suttyhudeo Tengur, président de l'Association de la Protection de l'Environnement et des Consommateurs, (Apec), pense aussi que la vie des Mauriciens est loin d'être rose. «Les Mauriciens, surtout ceux au bas de l'échelle et ceux qui sont au bas de la classe moyenne, sont terriblement affectés par la hausse du coût de la vie. Kou de lavi ek linflasion, se enn tax ki tap direk lor pos ek portfey dimounn. Bann alokasion kontribie enn ti pe pou soulaz bann dimounn ki dan la povrete. Ces personnes comptent sur les aides sociales. C'est pour cette raison qu'il existe le filet de protection sociale dans tous les pays du monde pour aider cette catégorie de personnes qui est au bas de l'échelle. Concernant la dette des ménages, il a été prouvé que les aides sociales n'aident pas à résoudre le problème des consommateurs», déclare Suttyhudeo Tengur en dénonçant ces hausses de prix qui n'arrêtent pas d'affoler les porte-monnaie des Mauriciens...
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