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17 mai 2020 00:07
Il y a des batailles comme ça. Il faut les mener. Il faut y croire. Il faut se persuader que le moindre changement est une sorte de victoire ; afin de continuer, de ne pas éteindre la flamme. Cette semaine, les syndicalistes, les personnes engagées dans le quotidien de notre pays, ont ressorti les arguments, les cris, les appels à la dénonciation, face aux propositions d’amendements servis au cœur du lockdown par le gouvernement et qui ont provoqué encore plus d’animation au Parlement, cette semaine. Pour ces décisions qu’ils jugent «liberticides», ils ont tenté tout ce qui était possible en période de couvre-feu. Mais les dirigeants, brandissant le spectre de la deuxième vague, campent sur leur position et rassurent : les mesures qui seront prises seront pour le bien de tous (voir hors-texte). Des discours policés qui ne convainquent pas ceux qui vont au front. L’avenir sera sombre, affirment-ils.
Cette semaine, alors que ça débattait au Parlement, les engagés du quotidien ont tenté par tous les moyens de faire basculer l’issue des amendements considérés comme allant à l’encontre des droits des employés de l’île, «pour empêcher que la clique oligarchie économique-capitaliste se serve de la crise de la Covid-19 afin de saigner à blanc notre pays et les droits des travailleurs et des citoyens avec la complicité du PMO», précise Ashok Subron qui estime que les changements sont dictés par le patronat. Alors, l’appel était général pour faire front à ces changements «proposés à la va-vite, sans consultation» : que chaque citoyen tente de faire changer l’opinion du député de la majorité de sa région pour que la loi ne passe pas. Pour le porte-parole de Rezistans ek Alternativ, et un des acteurs de la toute nouvelle coalition Konversasion Solider Collective (KSC), «l’histoire ne pardonnera jamais».
Cette semaine, il y a eu des mouvements de protestation sur les réseaux sociaux ; il fallait éteindre les lumières, participer à une e-protestation, afficher son message sur une pancarte, écouter une conférence publique en ligne. Des demandes des syndicats pour des discussions élargies avant de modifier les droits acquis des travailleurs. Une petite victoire : le gouvernement ne touchera pas aux congés des frontliners ! Une pétition, aussi. Lancée par 100% Citoyens, elle a récolté près de 30 000 signatures (Say no to abuse of power and human rights sur la plateforme change.org) au vendredi 15 mai. Dev Sunassee, qui en est l’initiateur, le reconnaît, cette pétition ne peut empêcher le passage de la loi : «Mais cela permet aux Mauriciens d’exprimer leur désaccord.» Et de mettre en lumière une désapprobation qui n’existe pas, selon les décideurs.
Dans les milieux des engagés, obligés de faire avec de nouvelles techniques à cause du couvre-feu sanitaire, la contestation ne s’arrêtera pas là. Elle prendra désormais plusieurs formes ; légales citoyennes. Le vote de ces amendements n’est qu’une étape. La suite, elle aura lieu lor koltar, en cour. Et plus les obstacles paraissent insurmontables, plus les acteurs du KSC resteront mobilisés. Malgré la douche froide reçue lors d’une rencontre avec Pravind Jugnauth, cette semaine. Rashid Imrith, président de la Fédération des syndicats du secteur public, estime qu’il y a une coupure entre la population et les dirigeants. Et demande aux employés de l’île de s’appuyer sur leur syndicat. Jack Bizlall, président de l’Observatoire de la Démocratie, a également tenté de faire bouger les choses en signant une lettre ouverte au gouvernement. Mais il doit être conscient qu’il s’agit là d’un coup d’épée dans l’eau face à ce qu’il dénonce ; l’Étatisme. «C’est une doctrine politique pratiquée par des manigances des régimes forts, par des dynasties familiales et claniques au pouvoir et par les bureaucraties dirigées par la technocratie», est-il écrit dans cette correspondance.
Des jeunes se mobilisent. Font entendre leur voix. À l’instar d’Olivier Lajoie, diplômé en langues et engagé à gauche. Une lueur d’espoir dans les ténèbres qui s’annoncent. Peut-être : «Gardons la même énergie ! L’histoire se rappelle que ce sont les situations difficiles qui ont permis aux nouvelles forces politiques de s’installer dans le pays dans les années 80. Peut-être que c’est ce qui va se passer ? Peut-être que nous garderons la même dynamique. Ki kone !» Pour lui, le terreau est fertile pour un renouveau : «De nombreux observateurs disent que cette crise sanitaire – en incluant la crise économique et la crise sociale qui vont suivre – équivaut à une guerre mondial ou à un événement d’une telle ampleur qu’il peut changer la face du monde. Il y a un avant et un après.» Alors, il conseille de ne pas baisser les bras : «Il faut s’engager ! Avec un peu de chance, ce qui se passe, ce sera pour notre génération, notre Mai 68, notre Mai 75, notre Printemps Arabe. Nous avons le droit de rêver. Au moins, nous avons encore ce droit-là !»
Heureusement ! Car il y a des batailles comme ça…
Ces amendements ? Pa bon, pa bon ! Surtout ceux concernant les droits des travailleurs, l’utilisation des fonds internationaux et le pouvoir qui serait accru aux forces de l’ordre. Au Parlement, et ailleurs, cette semaine, les députés de l’opposition ont partagé leur point de vue sur ce que propose le gouvernement. Xavier-Luc Duval, leader du PMSD, estime que les amendements du Bank of Mauritius Act, c’est comme donner «un chèque en blanc au gouvernement» : «Afin qu’il ait accès à des milliards de roupies ainsi qu’aux réserves internationales. Car ce gouvernement a fait des excessive investments dans des projets, notamment l’installation des caméras Safe City, la construction des chemins qui n’étaient pas aussi importants. Et les secteurs du tourisme, du textile et du sucrier continuent à être en déclin. Aujourd’hui, le secteur offshore est sérieusement menacé, sans oublier la faillite d’Air Mauritius. C’est du fiscal dominance».
Pour Ritesh Ramphul, des Rouges, il est impossible de voter pour ces amendements : «Le gouvernement nous demande de voter un projet de loi qui affectera la liberté des gens, leur train de vie, l’éducation, les affaires, les taxes, le droit et les conditions de travail, c’est impensable.» Pour Rajesh Bhagwan du MMM, le gouvernement n’est plus à l’écoute de la population : «Il est à la solde de Business Mauritius et des grands patrons du privé.» Si l’opposition n’est pas sur la même longueur pour tous les sujets ; il semble qu’ils ont trouvé un terrain d’entente, cette semaine (à l’exception de la petite pique lancée par Adrien Duval à Arvind Boolell, concernant sa façon de mener son poste de leader de l’opposition).
Mais même unie, selon le système électoral et parlementaire, elle ne peut rien.
Au Parlement ou en conférence de presse ; le discours est le même du côté de la majorité gouvernementale. Objectif ? Faire passer la pilule ?
Pravind Jugnauth persiste. Le Premier ministre a le sens de la formule. Au Parlement, il a lancé : «Bitter pills and bitter medicines which are best for good health are not easily taken. However, ailing persons do take them when they know they are good for them.» Pour le chef du gouvernement, ces amendements sont donc essentiels : «La présentation de ces deux projets de loi témoigne de la détermination du gouvernement à mener la guerre contre la pandémie de la Covid-19. Maintenant, vient le temps de la reconstruction, de la reprise économique (…).» Pour lui, la situation exige que son gouvernement prenne des mesures «bold and exceptional», tout en assurant que la priorité du gouvernement est de préserver l’emploi.
Soodesh Callychurn le dit, ce ne sont que des sacrifices passagers. Le ministre du Travail rassure : «Quand l’économie se portera mieux, nou pou retablir tou zot drwa. Se enn garanti ki mo pe donn zot.» Il précise également que le gouvernement ne touche pas au salaire minimum ou au wage guarantee fund en cas de perte d’emploi. De plus, il assure que si un patron souhaite mettre quelqu’un à la porte pour raison économique, il doit passer par un redundancy board.
Renganaden Padayachy, ministre des Finances, estime qu’il serait difficile de continuer en mode business as usual. Concernant les amendements controversés au Bank of Mauritius Act, il estime que «les réserves de la Banque de Maurice seront utilisées au profit des Mauriciens. Car cet argent, après tout (…) n’appartient-il pas aux Mauriciens?»
Le père Veder s’exprime. Pour l’homme d’église, il n’y a pas de doute, l’exemple devrait venir d’en haut : «Et si nous prévoyions des amendements dans nos lois pour réduire les salaires des ministres et députés, pour la révision à la baisse des fringe benefits, pour la réduction de la garde rapprochée, pour l’imposition du choix de voitures plus modestes, et pour la limitation de changer de voitures selon un temps déterminé ?» a-t-il écrit sur sa page Facebook, en précisant que «le gouvernement a bien géré la pandémie en l'espace de deux mois. En faisant ces amendements, ils font fi de cette adhésion populaire et se discréditent pour les jours à venir».
Commission diocésaine Justice et Paix. Si l’instance dit respecter le travail décisionnaire du gouvernement, ses porte-parole ont partagé leur inquiétude : «Nous craignons que les lois d’exception que le gouvernement se propose de faire voter à l’Assemblée ce vendredi, génèrent dans la population une inquiétude qui pourrait déboucher sur une crise sociale de plus grande ampleur.» Ils ont plaidé pour plus de dialogue, ont parlé de leur inquiétude concernant le droit des travailleurs et ont exhorté à plus de prudence concernant la rétroactivité des lois et le durcissement des amendes, entre autres.
«Je pense qu’il était grand temps d’apporter des amendements à de vieilles lois, telles que le Quarantine Act. L’attitude de certains pendant cette période de couvre-feu ont rendu la chose plus que nécessaire. Et pour les amendes, ça reste entre les mains du judiciaire. Les cours décideront quels seront les montants en prenant en considération toutes les circonstances et explications de la personne concernée. Concernant les amendements de 57 lois, nous devons accepter que ce sont des stratégies post-Covid afin de permettre au pays de se refaire une santé économique, de se sortir la tête de l’eau et d’assurer un proper damage control. Je dénonce avec force l’attitude de certains politiciens qui créent une psychose afin de tirer un capital politique de toute cette situation.»
«Le gouvernement nous demande de faire des sacrifices mais ne parle pas des sacrifices des dirigeants. Qu’en est-il ? Il ne parle pas de diminuer le gaspillage de l'État. Il est regrettable que rien n’ait été mentionné pour le CSR Fund. Des millions de roupies sont en train de dormir dans ce fonds. Plus les jours passent et plus les gens n’ont pas à manger et cela va empirer avec toutes les pertes d’emploi qu’il y aura. Pour Planète Enfants Maurice (PEM), le gouvernement a failli dans sa tâche envers la nation et avec ces amendements.»
«Le gouvernement bafoue tous les droits de l’homme. Ce sont des amendements irréfléchis ou alors, ces décideurs ont été mal conseillés. Pour un Premier ministre, qui est à la base un avocat, je ne comprends pas qu’il pense qu’on peut autoriser les forces de l’ordre à défoncer les portes des gens sans mandat, simplement sur la base d’une allégation. Pour les salariés, c’est honteux ! Imaginez que vous vous êtes sacrifié 30 ans pour une entreprise et qu’au final, on vous mette à la porte avec un mois de salaire uniquement en prétextant des soucis de trésorerie. C’est vraiment inquiétant. Je pense que, dans un avenir proche, les jeunes voudront immigrer dans d’autres pays afin de ne plus subir la dictature de notre île.»
«Ces amendements sont désastreux ! Ils nous prennent en otage. C’est révoltant en ce qui concerne les droits des travailleurs ; faire les gens travailler sans leur donner la totalité de ce qui leur est dû renvoie à l’époque où les gens devaient travailler sans salaire. C’est un pas en arrière pour les droits des travailleurs et c’est un véritable coup à tous les efforts et les combats de ceux qui ont bataillé pour une île Maurice meilleure et juste, dans la dignité et le respect de sa population. C’est une honte de ne pas penser aux frontliners, que ce soit des médecins, des employés de supermarchés ou encore des éboueurs. C’est scandaleux de permettre aux policiers de faire irruption chez les gens sans warrant, alors que nous avons entendu parler des cas de violences policières. C’est triste pour notre démocratie qui perd de sa force jour après jour. C’est un moment noir de notre histoire. Les gens sont confinés chez eux et n’ont pas vraiment conscience de ce qui se passe et quelles seront les conséquences pour les travailleurs et leur santé psychologique.»
«Dans son ensemble, les amendements apportés sur les Covid et Quarantine Bills par le gouvernement sont dans l’intérêt de tout un chacun pour leur propre protection. Toutefois, le projet de loi, par rapport au Workers’ Rights Act, donnera carte blanche aux employeurs pour licencier leurs employés. En tant que jeune qui va bientôt entrer dans le monde du travail, je pense que cela va bafouer les droits des travailleurs et ça va faire grimper le taux de chômage à Maurice. Ainsi, l’effet de ces mesures pourra avoir un impact négatif sur les générations actuelles et futures.»
Textes : Amy Kamanah-Murday et Yvonne Stephen-Lavictoire
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