Publicité

Covid-19 : le chaos

9 novembre 2021

Alvin Laval, 35 ans et doublement vacciné, meurt à l’ENT

 

Ses proches : «Le personnel n’a eu aucune empathie pour lui»

 

Cela fera bientôt une semaine qu’il a été foudroyé par la Covid-19 ! Et les proches d’Alvin Laval, 35 ans, sont bien loin de pouvoir faire leur deuil. Pour cause, leurs interrogations sont multiples et ils ne savent pas vers qui se tourner pour obtenir des réponses à leurs questions. Le trentenaire est décédé le mardi 2 novembre, soit quatre jours après son hospitalisation à l’hôpital ENT. Doublement vacciné au Sinopharm, il avait, toutefois, des problèmes de santé : il était asthmatique et en surpoids. Malgré cela, ses proches restent convaincus que si le traitement approprié lui avait été donné, il aurait pu s’en sortir. «Nous ne cessons de nous demander s’ils ont vraiment fait tout ce qu’ils pouvaient pour lui sauver la vie. Nous étions constamment en contact avec lui et il nous répétait que les infirmiers ne l’avaient pas mis sous ventilation, alors que son taux de saturation en oxygène ne cessait de chuter», confie Freddie, son frère.

 

Alvin Laval a commencé à se sentir mal le vendredi 22 octobre. Souffrant de toux et de fièvre, il a pris du Fervex. Le lendemain, son état de santé s’est détérioré. «Il a passé toute la journée au lit, il était complètement affaibli. J’étais inquiète», confie Warrdah, son épouse. Elle lui a alors recommandé de voir un médecin. Le lendemain, ils se sont rendus à l’hôpital Jeetoo, où un test PCR a révélé qu’il était positif à la Covid-19. Comme le veut le protocole, il est rentré chez lui pour s’auto-isoler et a pris des médicaments. Les médecins lui ont demandé ainsi qu’à sa femme d’appeler la hotline afin de rapporter le cas : «Mais  quand j’ai appelé, les personnes que j’ai eues au bout du fil ne m’ont posé aucune question sur son état de santé, ne m’ont pas demandé s’il avait des comorbidités ou s’il fallait qu’un médecin fasse le déplacement pour venir l’examiner», explique son épouse. Il a fallu qu’elle passe par une radio privée pour recevoir une visite médicale permettant à la Domiciliary Monitoring Unit (DMU) d’évaluer son état de santé. «Le médecin nous a dit que l’état de santé d’Alvin n’était pas préoccupant et que si celui-ci se détériorait, il fallait appeler la hotline pour obtenir des soins plus appropriés.»

 

«Il était très affaibli»

 

Durant les jours suivants, l’état du malade s’est dégradé continuellement et le jeudi 28 octobre, ses proches n’ont eu d’autre choix que de contacter le SAMU pour qu’ils viennent le récupérer. «Lorsqu’ils sont arrivés, les urgentistes ne l’ont même pas aidé à entrer dans l’ambulance, alors qu’il était déjà très affaibli. Ce qui m’a mise davantage en colère, c’est que je leur avais déjà informé de sa détresse respiratoire et qu’ils sont arrivés sans appareil de ventilation.» Alvin Laval a été conduit à l’hôpital Jeetoo où les médecins ont dit qu’il faudrait le stabiliser avant de l’envoyer à l’hôpital ENT. «J’ai récupéré ses affaires en pensant que le nécessaire serait fait dans la soirée. Le même soir, je suis revenu et on m’a informé qu’il ne pourrait pas être transféré, sans me donner d’explications. Il a fallu que je m’adresse au Duty Manager pour avoir des réponses à mes questions à 3 heures du matin», confie Freddie.

 

Le lendemain matin, soit le vendredi 29 octobre, c’est Alvin lui-même qui lui apprend qu’il sera transféré. «Il m’a dit que tout avait été organisé pour son transfert à l’ENT. Il n’y a eu aucune communication entre moi et le personnel de l’hôpital.» Sur place, son frère a découvert un endroit peu accueillant. «La salle où sont admis les patients positifs était dans un état déplorable. Son lit était cassé, il n’avait pas de drap. Nous avons tout fait pour le distraire malgré tout.» Après maintes tentatives, les proches du trentenaire ont finalement pu joindre le département concerné et parler à un médecin. «Il nous a dit qu’Alvin souffrait d’une pneumonie. Il avait été hospitalisé depuis jeudi mais ce n’est que bien plus tard qu’ils l’ont examiné et ont su de quoi il souffrait. Comment est-ce possible ? Ce même médecin nous a dit que son cas était sérieux mais que c’était le cas de tous les patients positifs admis à l’ENT. Il a aussi reconnu que le personnel était débordé.»

 

Entre-temps, l’état de santé d’Alvin ne s’améliorait pas. Complètement affaibli et éprouvant des difficultés à respirer, il était incapable de parler. Il communiquait régulièrement avec les membres de sa famille pour leur raconter ce qui se passait sur place en leur envoyant des SMS. «Il nous suppliait de le sortir de là et était convaincu qu’il y resterait parce qu’il ne recevait pas les soins nécessaires. Son taux de saturation en oxygène ne cessait de chuter mais ils ne l’ont placé sous ventilation que pendant trois heures», confie Warrdah. Elle poursuit : «Il nous disait aussi qu’il avait dû supplier les infirmiers une dizaine de fois pour qu’ils lui remettent un pot pour qu’il fasse ses besoins ainsi que ses médicaments contre l’hypertension. Ils n’ont eu aucune empathie pour lui. Depuis son admission à l’ENT, il n’avait même pas été en mesure de se doucher. Il insistait pour être transféré dans une clinique privée mais Wellkin ne soignait pas encore les patients atteints de Covid-19 à ce moment-là.»

 

Le lundi 1er novembre, ses proches ont à nouveau contacté le département où avait été admis Alvin Laval. «Nous avons pu les joindre avec beaucoup de difficulté. Les infirmiers m’ont assuré que son état était stable, qu’il ne fallait pas que je m’inquiète, mais mon frère m’avait déjà confié qu’il avait beaucoup de mal à respirer et n’était pas sous ventilation.» N’ayant eu aucune nouvelle de lui durant la soirée, contrairement aux autres jours, ils ont à nouveau contacté l’établissement le lendemain. «Au départ, ils n’avaient pas voulu nous donner d’explications mais ils nous ont rappelé 30 minutes plus tard pour nous annoncer son décès. Nous nous demandons où cela a pu mal tourner, vu que la veille, ils prétendaient que tout allait bien. Kan rant laba, koumadir pe rant dan enn labatwar. On dirait que plus de personnes en sortent mortes que vivantes», déplore Freddie.

 

Pour Freddie, il y a beaucoup de zones d’ombre. «Son taux de saturation en oxygène était descendu à 67 % et ils ne l’ont pas placé sous ventilation. On dirait qu’il y a une banalisation du virus. Nous nous demandons s’il y avait autre chose à faire pour le guérir, si l’hôpital dispose bien des ressources nécessaires pour sauver ses patients. Comment des gens censés sauver des vies peuvent-ils traiter les malades de la sorte ?» s’interroge-t-il. Il est d’avis que «si tout se faisait dans la transparence, le public aurait compris que la situation est alarmante, surtout avec un tel service de santé. Dimounn pa pe rann zot kont ki li danzere. Il faut mettre le danger en évidence afin que la population sache que même les vaccinés sont à risques».

 

Elodie Dalloo

 


 

Décès d’un homme de 67 ans vacciné et sans comorbidité

 

Son fils : «Personn dan lopital pann donn li bwar ek manze»

 

Il n'a pas survécu au virus. Après quelques jours d'hospitalisation au New ENT Hospital, cet habitant de Sainte-Croix, âgé de 67 ans, a succombé à la Covid-19 le mercredi 3 novembre. Un véritable choc pour ses proches car, disent-ils, le sexagénaire, qui était doublement vacciné au Covaxin, ne souffrait d'aucun problème de santé. «Il a toujours été très actif et tombait rarement malade. Li ti bien gayar», confie son fils. Anéantis de l'avoir perdu sans s'y être préparés, les membres de sa famille font part des nombreux manquements dont ils ont été témoins au niveau du service de santé.

 

Le sexagénaire a commencé à ressentir les premiers symptômes de la maladie la semaine dernière. Conduit à l'hôpital Jeetoo, il a eu recours à un premier test qui s'est avéré négatif. Durant les jours suivants, son état de santé a commencé à se détériorer. Ayant plusieurs symptômes du virus, il s'est à nouveau rendu à l'hôpital pour un deuxième test. Il a alors eu la confirmation qu'il avait contracté le virus. Bien assez vite, il a été transféré au New ENT Hospital à cause de ses difficultés respiratoires. Il pensait qu'il y obtiendrait les soins nécessaires mais a très vite déchanté.

 

Le coeur lourd, son fils revient sur «les gros manquements» au niveau du personnel médical. «Ils ne souhaitent pas, eux-mêmes, être en contact direct avec les patients positifs.» Résultat : son père a déjà attendu pendant de longues heures qu'un médecin vienne l'examiner, en vain. «Ce n'est que bien plus tard, vers 16 heures, que celui-ci s'est présenté.» Il déplore également un manque de considération des infirmiers vis-à-vis des patients admis au New ENT Hospital. «Je l'ai contacté en sortant du travail et il se plaignait d'avoir soif. Linn dir mwa personn pann donn li bwar ek manze. J'avais dû faire le déplacement de Port-Louis jusqu'à l'hôpital pour lui apporter de l'eau. Cela m'a fendu le coeur qu'il soit traité de la sorte.»

 

Lorsqu'il a voulu obtenir des renseignements, dit-il, cela n’a pas été facile. «Ce sont les policiers et les vigiles qui m'ont donné les informations dont j'avais besoin. Le management est quasi inexistant.» Il estime qu'il faudrait «plus de visibilité au niveau de ce qui se passe réellement à l'ENT».

 

ED

 


 

Les infirmiers/ères «à bout» : «Nous ne savons pas combien de temps nous allons tenir»

 

Le combat est quotidien. Énergivore en temps et en ressources. Et le nombre d’hospitalisation en hausse de personnes positives à la Covid-19 dépose un poids considérable sur les épaules des infirmiers/ères. La pression est là et elle vient de la situation qui a des accents alarmants, explique Bholanath Jeewuth, secrétaire de la Nurses’ Union (NU) : «Jusqu’à maintenant, nous avons géré. Mais nous sommes à bout. Nous ne savons pas combien de temps nous allons tenir encore.» En ce samedi matin du 6 novembre, alors que nous lui parlons, il explique que cinq infirmiers de l’hôpital Jeetoo ont été testés positifs à la Covid-19. Ils partent, de ce fait, en isolation pour dix jours : «Il faudra combler le vide. Nous n’avons pas le choix. Mais les choses s’enchaînent et nous ne savons plus à quel saint se vouer.»

 

À ceux et celles qui critiquent le travail des Nurses, il répond : «Nous nous donnons corps et âme.» Mais pour lui, pas de doute, l’avenir s’annonce sombre. Surtout que les hospitalisations demandent des traitements longs, de huit à dix jours, et que les ressources s’épuisent. Les infirmiers/ères sont débordés/es. Le Dr Dhunraj Foolchand, président du Nursing Council, organisme régulateur de ce corps de métier, en est, lui aussi, conscient : «Il y a un manque aigu de personnel. À chaque fois que des membres du personnel infectés vont en isolation, c’est tout le service qui en souffre. C’est une grosse pression. Heureusement que, tant bien que mal, les infirmiers coopèrent afin de continuer à fournir un bon service.»

 

Avec l'ENT décrété hôpital «normal», ce sont des employés de tous les hôpitaux de l’île qui seront appelés en renfort : «Il y aura une rotation de trois mois pour les infirmiers des salles d’opération et de l’ICU, afin qu’ils aient la capacité de gérer les cas, et dans les hôpitaux régionaux le manque va se faire sentir.» Pour l’instant, explique-t-il, il n’y a pas vraiment de résistance face à cette décision : «Le ministère encourage les infirmiers à travailler à l’ENT, il y a un package en termes de paiement. Même s’il y a encore quelques réticents, dans l’ensemble, ça se passe bien. Et au final, les membres du nursing staff sont condamnés à travailler soit à l’ENT, soit dans la salle Covid d’un hôpital régional.»

 

«Triple shifts»

 

Des impératifs encore plus contraignants alors que la situation l’est déjà assez. Aujourd’hui, explique-t-il, les Nurses se retrouvent à enchaîner des double shifts ou des triple shifts et il est difficile, voire impossible, que la fatigue ne se ressente pas : «C’est un combat de tous les instants. Le ministère fait de son mieux ; il recrute. 40 infirmiers fraîchement diplômés ont été embauchés. Un autre batch est aussi concerné.» Bholanath Jeewuth estime qu’il faudrait aller encore plus loin afin de permettre aux infirmiers/ères de se concentrer pleinement sur le cœur de leur métier : «Pour ce qui est de bann zafer papie, nous avons besoin d’aide. Les tâches administratives pourraient être faites par le non-nursing staff qui a la formation adéquate. Ou alors, il serait bon de demander de l’aide aux personnes du Youth Employment Programme.»

 

Un petit geste qui pourrait permettre de soulager quelque peu les infirmiers/ères qui vont au travail courageusement tous les jours. Et même s’il y a des infections au sein du nursing staff, la peur de la maladie n’est plus tout à fait présente, estime le syndicaliste : «Nous en savons plus sur le virus, comment nous protéger. Nos camarades qui vont en isolation reviennent, donc c’est rassurant.» Reste que la fatigue n’aide pas. L’épuisement est là : «À force de travailler sur des shifts consécutifs, nos résistances baissent. La question est : ziska kan nou pou ale koumsa ? Je crains un effondrement dans le futur.»

 

Surtout que les choses ne semblent pas prendre le chemin de l’amélioration. Et que ceux qui travaillent dans les hôpitaux et/ou y sont admis sont à risques, explique le Dr Dhunraj Foolchand : «Malgré toutes les précautions, les médecins, les infirmiers sont infectés. C’est inévitable. C’est parce que le virus est airborne.» Aujourd’hui, estime-t-il, les hôpitaux sont des «sources de contamination» : «Et il y a un centre de traitement de la Covid-19 dans chaque centre hospitalier.» Il ne s’agit pas d’une tendance locale : «Elle est globale. Partout dans le monde, malgré les précautions sanitaires, le matériel de précaution, la désinfection, le nettoyage, l’hôpital reste une source d’infection et ça touche, forcément, le personnel soignant. Le contact est là, avec les patients et on n’y peut rien. Et avec le Delta, c’est encore plus compliqué.»

 

Yvonne Stephen

 


 

Les médecins décrient «un manque de personnel» et «un désordre dans la gestion de la situation»

 

La conjoncture actuelle liée à la Covid-19 interpelle de toutes parts. La situation provoque crainte et incertitude face à la progression du virus. Mais nous met aussi face à un service de santé décrié mais aussi dépassé par la situation.

 

Le Dr Bhooshun Ramtohul, vice-président de la Government Medical Consultant In Charge Association (GMCICA), est parmi les premiers à reconnaître que le personnel du service hospitalier est submergé. «Le nombre de cas augmente mais le nombre de personnel dans le milieu hospitalier reste le même. Les médecins déjà en service avant la Covid-19, plus ceux recrutés depuis la pandémie, ne sont pas suffisants pour la prise en charge des patients actuellement. Le personnel est dépassé. Les gens doivent réaliser que nous sommes dans un pays où la ressource est limitée au niveau médical. Où irons-nous chercher d’autres médecins d’ailleurs ?» explique notre interlocuteur. Et la situation générale dans l’île ne s’arrange pas, dit-il, au contraire : «Le nombre de cas a vraiment augmenté et ce qui se passe actuellement est effrayant. Tout le monde a peur.»

 

Le Dr Ishaq Jowahir, vice-président de la Private Medical Practioners Association (PMPA), estime également que l’heure est grave. «Tous les jours, nous recensons des cas positifs dans les familles. Le ministère, lui, assure que tout est bien géré, alors qu’il y a beaucoup de lacunes, en sus des protocoles qui ne font que changer chaque jour. Il y a un vrai désordre dans la gestion de la Covid-19 dans l’île», lâche-t-il.

 

Le Dr Jowahir avance que, pour une meilleure gestion de la pandémie à Maurice, il faudrait plus de sérieux de la part du gouvernement mais aussi de la transparence. «Il n’y a pas de protocole net et défini, et cela impacte grandement la gestion de la situation. De plus, le gouvernement ne fait pas preuve de sérieux en faisant croire aux gens que tout est sous contrôle, en autorisant la réouverture des frontières sans quarantaine et la reprise de plusieurs activités sans contrôle strict. Mais il y a aussi le manque de transparence. Le gouvernement doit être vrai. Vrai sur le nombre de décès, de cas positifs au quotidien, entre autres. La population aurait été plus vigilante et il n’y aurait pas eu ce relâchement», s’insurge le Dr Ishaq Jowahir.

 

Le vice-président de la PMPA souligne aussi que le ministère devrait comptabiliser tous les décès liés à la Covid-19, même ceux des victimes souffrant de comorbidités. «Ces personnes-là seraient certes décédées tôt ou tard mais la Covid-19 a accéléré les choses. C’est devenu un facteur de plus et c’est pourquoi cela devrait aussi être comptabilisé dans le nombre de décès lié à la Covid-19.» En ce qu’il s’agit des enfants, le Dr Ishaq Jowahir reconnaît que ces derniers peuvent aussi être des vecteurs du virus. «Il a été dit auparavant que les enfants ne contractaient pas le virus. Mais la réalité nous démontre le contraire, et avec l’évolution de la situation, ils sont tout aussi exposés. De plus, ils ne sont pas vraiment soumis aux tests. Quoi qu’il en soit, la situation est alarmante.»

 

Valérie Dorasawmy

Publicité