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3 novembre 2021 12:04
Dans sa tête se mêlent révolte et chagrin. Ses réponses demeurent pour l’heure sans réponse et sa douleur sans consolation. Et la déclaration du ministre de la Santé selon laquelle des sanctions seront prises s’il y a eu faute professionnelle dans le cas des personnes qui sont décédées de Covid-19 à leur domicile n’apaise en rien ce volcan d’émotions que ressent Heena Allybaccus depuis la mort de son frère aîné, Shabeer Suneram, 32 ans, d’une «Covid-19 pneumonia», le lundi 25 octobre. Sa colère à l’encontre du personnel de santé est immense car elle estime que celui-ci est responsable de ce décès prématuré. «Mon frère a téléphoné plusieurs fois mais il n’a jamais eu d’ambulance. Il y a eu négligence. Kifer pa finn examinn li ? Mo frer inn telefonn plizir fwa me zot pann avoy dokter pou get li», s’insurge Heena, ravagée par la tristesse d’avoir perdu son frère. Il ne lui reste aujourd’hui que son époux Tariq et sa fille car son père Jayduth et sa mère Bibi Fatima sont, eux aussi, déjà décédés.
Shabeer, un habitant de Vallée-des-Prêtres, était allé faire un test de Covid-19 à l’hôpital Jeetoo le mardi 19 octobre car il ne se sentait pas bien et que son épouse Najaah, une employée d’hôtel, avait été testée positive la veille. «Son test s’est révélé négatif, toutefois, le personnel hospitalier l’avait nébulisé car il avait déjà des difficultés à respirer. Il est ensuite allé travailler mais m’a envoyé un message plus tard pour me dire qu’il avait toujours des difficultés à respirer», raconte Najaah. À partir de mardi après-midi, Shabeer, qui travaille à la CMT, a décidé de s’auto-isoler en compagnie de son épouse et de leur enfant de 10 ans, Sofyann, qui est en situation de handicap depuis sa naissance.
Cependant, son état de santé ne cessait de se détériorer. «Mercredi, il a téléphoné sur la hotline du ministère de la Santé à plusieurs reprises. Il éprouvait des difficultés à respirer. On lui a dit une première fois de prendre du sirop Panadol qu’un médecin lui avait prescrit la veille. Une autre fois, on lui a demandé de prendre du sirop pour la toux. C’est ma sœur qui est allée en acheter pour lui. Après l’avoir bu, il avait toujours des difficultés à respirer», explique Najaah. Les jours suivants, son époux, dit-elle, a appelé la hotline à plusieurs reprises pour signaler que son état de santé s’aggravait et demander de l’aide mais ni ambulance, ni médecin ne s’est déplacé pour venir le voir.
Najaah revient péniblement sur ce jour fatidique où elle s’est retrouvée privée à jamais de son époux et du père de son enfant. «Shabeer s’était réveillé à 7 heures. Il voulait se rendre à l’hôpital car il avait passé une mauvaise nuit. Il ne se sentait pas bien du tout. Il était fiévreux. Il parlait péniblement. Je lui ai donné du thé avant d’aller prendre une douche.» À son retour dans la chambre à coucher, la jeune femme a retrouvé son époux assis sur le lit. Il venait de téléphoner à un taxi. Le trentenaire a toutefois changé d’avis lorsque le chauffeur est arrivé devant leur porte et n’est pas parti. «Enn ti moman apre mo trouv li tonb lor lili. Li ti konsian. Li ti pe gagn difikilte pou respire. Li pa ti pe kapav koze mem. So lizie ti ouver. Linn res alonze mem. Linn ris trwa kou apre enn sel kout monn nepli tann li koze. Mo ti panse linn zis perdi konesans», se souvient Najaah. Ne sachant quoi faire devant la gravité de la situation, la jeune femme a appelé le SAMU qui ne se serait pas empressé de venir.
«10-er ki zot inn vini. La ousi zot inn zis konstat lamor mo frer», s’insurge Henna. Pire : c’est à 14h15 que la police est venue récupérer la dépouille de Shabeer pour les besoins d’une autopsie. Et ce, après qu’Henna s’était rendue au poste de police une heure plus tôt pour signaler le cas. Le rapport du médecin-légiste indique que l’employé de la CMT a succombé à une «Covid-19 pneumonia». Et c’est ce jour-là aussi que la famille a eu la confirmation que Shabeer souffrait bien de Covid-19.
L’Al Ihsaan Islamic & Funeral Centre a eu la charge d’organiser les funérailles de Shabeer Suneram en suivant les rituels musulmans et le protocole sanitaire. «Nou fami remersie zot pou sa», confie Henna qui a, par la suite, fait désinfecter la maison de son frère qui occupait, avec son épouse et leur enfant, le premier étage de la demeure familiale. Mais sa douleur d’avoir perdu son frère ainsi que sa révolte face aux circonstances de sa mort demeureront sans doute encore longtemps…
Jean Marie Gangaram
Elle n’a pas eu la force de continuer de lutter. Après deux semaines d’hospitalisation à la New ENT Hospital, Bilkiss Noorally (photo) a perdu son combat contre le coronavirus ; une mort à laquelle les membres de son entourage n’étaient pas préparés. Âgée de 43 ans, elle n’avait aucun problème de santé, selon ses proches. Doublement vaccinée au Sinopharm, elle a quand même fini par rendre l’âme ce mercredi 27 octobre, au grand dam de sa famille.
L’époux de la quadragénaire, Rehaz, est anéanti. Il y a à peine quelques jours, sa moitié était encore pleine de vie. Employée comme Marketing Manager chez Courts, elle travaillait dur pour subvenir aux besoins de sa petite famille. Mais il y a un peu plus de deux semaines, elle est tombée malade et n’a pas été en mesure de se rendre au travail. «Elle a d’abord eu une légère fièvre mais elle s’en est remise. Au bout de quelques jours, elle a commencé à souffrir de problèmes respiratoires et ses bronches se sont resserrées», explique Rehaz. Elle a fini par contacter un médecin pour qu’il vienne la soigner à domicile et c’est à ce moment-là qu’elle a appris qu’elle avait contracté la Covid-19.
Comme le veut le protocole, Bilkiss Noorally s’est isolée chez elle, en pensant que les médicaments l’aideraient à aller mieux mais c’est le contraire qui est arrivé. «Nous avons vu son état de santé se dégrader de jour en jour. Jusqu’à ce qu’on n’ait d’autre choix que de la conduire à l’hôpital Jeetoo pour qu’elle soit examinée par des médecins.» D’abord admise au service des soins intensifs de cet établissement, elle a ensuite été transférée à la New ENT Hospital, où elle a été placée sous respiration artificielle.
Malheureusement, aucune amélioration dans son état de santé n’a été constatée durant les jours suivants ; une période qu’ont très mal vécu les membres de son entourage. «Nous avons demandé à toutes nos connaissances de prier pour elle. Elle était elle-même très pieuse. Le fait de ne pas être en mesure de la voir a été vraiment dur, particulièrement pour nos enfants», regrette Rehaz. Après exactement deux semaines d’hospitalisation, elle a succombé au virus, une situation que sa famille a du mal à accepter. «Elle n’avait aucun problème de santé avant de contracter le virus. Elle a déjà souffert d’une infection des poumons mais cela remonte à 10 ans et elle s’en était bien remise. C’est très dur pour nous de la perdre dans des circonstances pareilles, sans avoir pu lui dire adieu.»
Mariée depuis une vingtaine d’années, Bilkiss Noorally laisse derrière elle un fils de 15 ans et une fille de 11 ans. Ses funérailles ont eu lieu dans la soirée du mercredi 27 octobre, dans le respect des protocoles sanitaires établis.
Elodie Dalloo
Elle était admise à l’hôpital ENT depuis le mardi 26 octobre, après avoir été testée positive à la Covid-19. Malheureusement, elle est décédée quatre jours après son hospitalisation. Est-ce dû directement à la Covid-19 ou à une/des comorbidité/s ? C’est une question que beaucoup se posent car la jeune femme de 22 ans, domiciliée à Bon-Accueil, était dialysée depuis son plus jeune âge. Selon une source proche du ministère de la Santé, le rapport officiel concernant son décès n’est pas encore connu mais il confirme toutefois qu’elle était positive lors de son hospitalisation.
Le député Vikash Nuckcheddy, qui habite la même localité que la jeune femme, confie : «Je connais bien la famille car nous habitons la même localité. Et je croisais aussi souvent la fille lorsque je récupérais mon père au centre de dialyse à Flacq. Nous n’avons aucune idée de comment ces personnes ont pu contracter le virus car le personnel de l’hôpital et celui du centre de dialyse sont négatifs. Peut-être que son état de santé l’a rendue plus vulnérable, tout comme mon père qui est décédé six jours après avoir été testé positif, alors que ceux qui s’occupaient de lui à la maison étaient tous négatifs. Quoi qu’il en soit, cette nouvelle attriste la localité.»
Parmi les jeunes victimes de la Covid-19 durant la semaine écoulée figure également un habitant de Clairfonds no 3, à Vacoas, âgé de 34 ans. Il est décédé alors qu'il était en auto-isolement chez des proches. Une autopsie a attribué sa mort à une pneumonie provoquée par le virus. Sa cousine, une policière, a indiqué à la police que le trentenaire avait eu recours à un test rapide le 18 octobre, qui s'était avéré positif. Depuis, il s'était isolé chez ses parents. Son état de santé s'est aggravé tôt dans la matinée du lundi 25 octobre. Malheureusement, les appels de ses proches afin d'obtenir une assistance médicale sont restés sans réponse. Ce n'est que quatre heures plus tard qu'un médecin est venu sur place, alors que l'ambulance de l'hôpital Victoria n'est arrivée qu'à 10h45. Le jeune homme a rendu l'âme 15 minutes plus tard.
Valérie Dorasawmy et Elodie Dalloo
Le taux de mortalité lié à la Covid-19 donne froid dans le dos. Surtout avec le rajeunissement des victimes. Pas moins de 19 Mauriciens ont succombé directement au virus cette semaine, selon les chiffres disponibles au vendredi 29 octobre, dont des personnes dans la vingtaine, trentaine et la quarantaine. Et selon ces mêmes chiffres, 156 personnes sont mortes à Maurice depuis mars 2021. Sans compter les patients positifs qui sont officiellement décédés d’autres causes.
D’ailleurs, lors de son allocution à l’occasion de l’inauguration officielle de l’unité des soins palliatifs de la Clinique Ferrière Bon Secours, le Deputy Prime Minister Steven Obeegadoo a relevé ce fait : «Il y a trop de décès. Et chaque décès est un de trop. Il va falloir continuer à se battre car le vaccin marche mais il ne suffit pas. Même vaccinés les gens décèdent tous les jours. Mais la majorité des personnes décédées n’étaient pas vaccinées.»
Le ministre Obeegadoo a aussi tenu à saluer l’effort de la population qui a répondu positivement à l’exercice de vaccination. «Cette crise sanitaire perdure car malgré tous les progrès réalisés par la science et la médecine, ce redoutable virus ne tarit pas d’ingéniosité en se métamorphosant sous différents variants, augmentant ainsi la transmissibilité. Après avoir connu un pic entre juillet et août, il y a eu une baisse mais le coût humain reste extraordinaire et les décès nous guettent tous les jours. C’est pourquoi, il faut continuer à se battre et se rendre compte de l’importance de la dose de rappel du vaccin.»
Le Deputy Prime Minister a, par ailleurs, souligné le travail extraordinaire abattu par le service de santé public pour faire face à la Covid-19 en disant espérer que, dans un avenir proche, le service de santé privé pourra se joindre à la cause.
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