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19 mai 2020 16:58
Un homme nu menotté et enchaîné à une chaise dans le bureau de la CID de Curepipe. Cette image qui avait circulé sur les réseaux sociaux en janvier 2018 et choqué plus d’un est celle de David Gaiqui qui avait alors accusé la police de brutalités policières et ne cessait depuis de mener un combat contre cette façon de faire des enquêteurs. Arrêté pour vol à l’époque, il avait vu son affaire être rayée par la suite par le Directeur des poursuites publiques. Dans la tête de ses proches, cette terrible image a aujourd’hui cédé la place à une autre, encore plus triste. Celle de l’homme de 44 ans sur son lit de mort.
Car David Qaiqui est décédé le dimanche 10 mai. Selon un communiqué officiel de la police, il s’est effondré devant l’hôpital Jeetoo où il se rendait ce jour-là, vers 7h30, et son décès a été constaté 5 minutes après par un médecin de cet établissement. Le rapport d’autopsie a conclu à une thrombose coronaire. Depuis, ses proches sont inconsolables. «Nou ankor dan sok, sirtou mo mama. Li touzour pa le krwar ki mo papa inn mor koumsa», lance avec émotion Madison, la fille aînée de David Gaiqui, au lendemain des funérailles. La veille, malgré le confinement sanitaire, ils étaient nombreux à faire le déplacement à Cité Jonction, à Pailles, où habite la famille, pour rendre un dernier hommage au défunt. Un long cortège a également accompagné la dépouille au cimetière de Saint-Georges, à Les Salines, où a eu lieu l’inhumation.
Car la nouvelle du décès de David Gaiqui, le dimanche 10 mai, a eu l’effet d’une bombe. Et même s’ils n’osent pas croire que sa mort a quelque chose de louche, les proches de David Qaiqui ne peuvent pas ne pas se poser des questions car des zones d’ombre existent. Déjà, il portait des «blessures étranges» et puis, quelques jours auparavant, il est celui qui avait réceptionné les photos choquantes du détenu Caël Permes, assassiné en prison. Une coïncidence jugée troublante.
Ce n’est pas son avocat Anoup Goodary qui dira le contraire. Ce dernier, qui est actuellement en Australie, cache mal sa stupéfaction. «Je lui ai parlé la veille pendant 5 minutes par le biais des réseaux sociaux. Il était en pleine forme. On s’était également parlés un peu plus tôt ce jour-là. Notre principal sujet de conversation était le décès de Caël Permes à la prison de La Bastille quelques jours plus tôt. J’ai été profondément étonné le lendemain lorsque j’ai appris son décès !»
Selon Anoup Goodary, David Gaiqui était devenu un symbole de la brutalité policière. Et, poursuit-il, son client était devenu l’ennemi public no 1 de la force policière depuis qu’il s’était attaqué à cette institution après son arrestation en janvier 2018. David Gaiqui avait fait servir une mise en demeure au commissaire de police et à plusieurs hauts gradés, dans laquelle il réclamait la somme de Rs 50 millions de dommages à la police et à l’État pour traitement inhumain et dégradant. Ces derniers avaient aussi fait l’objet d’une plainte formelle au civil peu de temps après. «Mon client a apporté la honte sur la police. Il était devenu une cible pour ceux qu’il accusait», souligne Anoup Goodary. Une question le taraude : «À qui profite la mort de mon client ?»
Difficile toutefois pour l’avocat et les membres de la famille de David Gaiqui d’affirmer qu’il a été victime d’un complot visant à le tuer, même si plusieurs éléments peuvent le faire penser. «Nous constatons qu’il y a eu beaucoup de coïncidences, affirme un proche. Il est celui qui avait réceptionné les photos prises après l’autopsie de Caël Permes où on voit le corps de ce dernier couvert d’ecchymoses. Bizarrement, il trouve la mort alors même que la police commence une enquête sur l’origine de ces photos troublantes. Enn mari azar sa.»
Le plus intriguant dans l’histoire, ajoute-t-il, c’est «sa gro bos» qu’avait David Qaiqui sur la tempe droite et les ecchymoses qu’il avait à l’œil gauche. «So lizie gos ti nwar. Nou panse sa inn arive kan linn gagn enn kout lor kote drwat so latanp. Kapav linn gagn sa bos-la osi kan linn tom lor enn kitsoz. La polis dir nou linn tonbe divan lopital, me premie kitsoz ki enn dimounn fer kan li tonbe, se protez li ek so lame pou ki so figir pa gagn dimal. Eski linn gagn bate dan sime kan li ti pe al lopital ?»
Pour en avoir le coeur net, les proches de David Gaiqui souhaitent que la police visionne les images des caméras de vidéosurveillance placées entre Pailles et Port-Louis. «Bizin fer sa extra vit pou pa ena manipilasion zimaz. Si zot pann fini efas bann zimaz-la aster. Sak fwa zis kan ena problem ki bann kamera kinn peye sipa komie miliar-la pa bon», s’indigne notre interlocuteur. Plusieurs questions rongent les proches du quadragénaire. «La polis pe dir linn tonbe. Ki sanla inn lev li ? Eski li ti tom lor koltar ou dan enn kanal ? Eski li ti fini mor ou li ti ankor vivan kan linn tonbe ? Tou sa bann kestion-la fatig nou», précise un autre proche.
Anoup Goodary va demander à la Commission nationale des Droits de l’Homme d’ouvrir une enquête à cet effet. «Je vais demander une enquête car il y a trop de zones d’ombre. Je refuse de croire pour l’instant que mon ami David a été victime d’un foul play même si sa mort est très louche. Il était aussi devenu le symbole de la brutalité policière. Est-ce que la police aura la volonté de faire la lumière sur cette affaire ?» martèle l’avocat. Il explique que David Gaiqui était devenu un «ami sincère» et l’aidait beaucoup dans sa lutte contre la brutalité policière. Il précise que c’est David Gaiqui qui lui avait envoyé les photos troublantes de Permes.
La relation d’amitié entre les deux hommes a démarré le 26 janvier 2018. Quand Anoup Goodary est devenu l’avocat de David Qaiqui et a posté une photo de ce dernier sur Facebook, accompagnée de la légende suivante : «Naked and beaten up at Curepipe CID. That’s how my client is treated. Welcome to Mauritius of 2018, Pravind Jugnauth, dearest Prime Minister.»
David Gaiqui était alors soupçonné de faire partie d’un gang qui a commis plusieurs braquages à travers le pays. «J’ai eu le choc de ma vie ce jour-là lorsque je suis arrivé au poste de police de Curepipe pour rencontrer mon client. Il était dans un sale état», se souvient Me Goodary. À ce moment-là, les limiers de la CID de Curepipe ignorent qu’il est monté à l’étage pour prendre des nouvelles de David et il en a profité pour faire une photo discrètement. Par la suite, l’un des policiers l’a informé que David Qaiqui avait déjà retenu les services d’un autre avocat qui était en fait le représentant légal de son frère. Les policiers lui ont alors demandé de sortir.
Ce n’est qu’une vingtaine de minutes plus tard qu’il est parvenu à parler à son client. À ce moment-là, David Gaiqui portait des vêtements, raconte son avocat. Mais il avait des traces de coups sur le visage et ne pouvait parler. Il était entouré d’au moins sept policiers lors de cette première rencontre avec son avocat. «Mo espere mo retrouv mo klian vivan apre», avait lancé Me Goodary à l’attention des policiers en quittant les lieux. David Gaiqui avait retrouvé la liberté une semaine plus tard. «Je pense que certains policiers n’ont jamais pu digérer la décision du DPP de rayer la charge de vol qui pesait sur lui», ajoute l’avocat.
Le décès de son «ami» a provoqué un déclic en lui. Anoup Goodary s’est alors souvenu d’un épisode qui s’est déroulé il y a quelques mois : «J’étais au tribunal de Pamplemousses lorsqu’un Sub Inspector est venu vers moi pour me dire que mon client était mort. Sur le coup, je n’ai pas fait la connexion. En fait, il ne s’agissait pas de mon client mais du constable Gaiqui accusé de torture by public official dans l’affaire Iqbal Toofanny. Le policier avait été retrouvé sans vie à son domicile à La Gaulette. Je me demande s’il n’y a pas eu un plan pour faire tomber David depuis cette époque-là.»
Des questions et encore des questions, l’avocat et les proches de David Gaiqui n’arrêtent pas de se les poser depuis sa mort troublante. La famille du quadragénaire attend la fin du confinement pour décider de la marche à suivre. En attendant, elle panse ses plaies.
Interrogé sur le décès de David Gaiqui dans des circonstances troublantes, Erickson Mooneapillay, avocat et responsable de l’ONG Dis-Moi qui milite pour le respect des droits humains, revient à la charge avec une importante proposition : «Je réclame une Coroner’s Court, comme en Angleterre. Dans le système actuel, policiers et avocats, entre autres, sont tous suspendus à la décision d’un médecin légiste qui est employé par la police. Une Coroner’s Court est présidée par un magistrat. Ce dernier est tenu d’écouter tous ceux qui désirent déposer dans une affaire précise avant de prendre une décision. Je précise que ce magistrat travaille en toute indépendance dans une affaire où il y a un décès suspect.»
Dis-Moi n’est pas non plus resté silencieuse après le décès de Caël Permes, le 5 mai, à La Bastille, ainsi que celui de deux autres prisonniers : Micheal Louise, le 20 mars, à Beau-Bassin, et Jean Alain Auguste, le 29 avril, à Melrose. Le responsable de l’ONG a adressé une correspondance au Directeur des poursuites publiques le 11 mai dans laquelle il réclame une Judicial Inquiry : «We are pleading to you to institute a Judicial Enquiry into the above matters at your earliest convenience so as to throw some light in relation to the events and circumstances leading to their death. In the circumstances we would humbly invite you to use the powers entrusted to you.»
L’avocat Mooneapillay demande également la démission du commissaire des prisons : «Dis-Moi exige la démission sans délai du commissaire des prisons pour avoir failli dans sa tâche de protéger la vie du détenu Caël Permes ainsi que d’autres détenus, de réhabiliter les détenus, d’enquêter sur les violences alléguées en milieu carcéral et de prendre les sanctions adéquates et de maintenir et de faire respecter les droits humains des détenus. De ce fait, Dis-Moi réclame la mise sur pied d’une commission d’enquête qui viserait à établir les responsabilités individuelles quant à la gestion des prisons et les graves violations des droits humains alléguées depuis juillet 2016.»
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