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19 avril 2021 16:35
Elle est troublée, tourmentée, hantée... Car quoi qu’elle fasse, elle n’a, en ce moment, qu’une image en tête. Elle revoit encore et encore cette «horrible scène» où une pelleteuse a recouvert en quelques secondes une sombre boîte disposée dans une fosse. Le bruit de la terre rebouchant le trou résonne encore à ses oreilles. Impossible de ne pas y penser. Impossible d’oublier. La séquence est comme ancrée en elle...
C’est la dernière image que Valérie Sab, 43 ans, a de sa mère Dookmanee Sab, 68 ans. Cette patiente dialysée, positive à la Covid-19, est décédée le dimanche 11 avril à l’hôpital de Souillac. De retour chez elle, à Chemin-Grenier, depuis le lundi 12 avril, après 14 jours passés en quarantaine – ses différents tests PCR s’étant avérés négatifs –, elle se retrouve dans une maison familiale vide où règne un silence pesant. Son père et son frère aîné sont toujours en quarantaine, alors que sa mère... n’est plus. «Rien ne sera plus jamais pareil», s’écrie-t-elle. Le monde autour d’elle s’est arrêté : «Personne ne devrait mourir dans de telles conditions. On vit un véritable drame. Mon père est bien down. Il est inconsolable. Il a 72 ans et, avec ma mère, ils vivaient leur retraite ensemble. Il s’est toujours occupé d’elle. C’est dur. Quand il rentrera, ma mère ne sera pas là…»
De l’émotion dans la voix, l’unique fille de cette famille de trois enfants – son jeune frère a, lui, été épargné de la quarantaine, ne vivant pas dans la maison familiale – n’arrive toujours pas à réaliser ce qui s’est passé en quelques jours. En plein désarroi, elle peine à remonter la pente. «Je suis sortie de quarantaine et je suis rentrée à la maison sans ma maman. La perdre dans de telles circonstances est une véritable épreuve. Et savoir dans quelles conditions elle a été enterrée est encore plus pénible. On n’a pas pu voir son visage pour lui dire au revoir. Durant les premiers jours de ma mère en quarantaine, quand je pouvais encore lui parler, elle m’avait demandé de la sortir de là car elle n’était pas bien et ne mangeait pas correctement», lâche dans un sanglot celle qui travaille dans la force disciplinaire.
Difficile de mettre des mots sur les sentiments qui l’habitent. Dans sa tête, c’est le chaos, avec toujours cette image qui revient : cette boîte dans laquelle repose aujourd’hui celle qu’elle a vu quitter la maison familiale le vendredi 26 mars, sans se douter que c’était la dernière fois qu’elle la voyait : «Je ne peux définitivement pas reprendre le cours de ma vie normale. En quelques jours, on est venus chercher ma mère pour l’emmener en quarantaine, elle a été testée positive à la Covid. Par la suite, je me suis aussi retrouvée en quarantaine, tout comme mon père et mon frère. Puis, maman est décédée. C’est un cauchemar. On a vécu une succession de malheurs. Ce soir-là, quand ils sont venus la prendre pour la conduire en quarantaine, ma mère m’a donné de l’argent en me disant que c’était pour ses funérailles. Je lui ai dit de ne pas s’en faire, qu’elle allait retourner à la maison mais tel n’a pas été le cas. Je me dis qu’au fond d’elle, elle savait qu’elle n’allait pas rentrer.»
C’est à travers des images filmées par son jeune frère qu’elle a pu assister aux funérailles de sa mère, ce lundi. La gorge nouée, elle revient sur cette douloureuse expérience : «Au moment où ma mère était mise en terre, j’étais seule dans une chambre. J’ai pleuré, j’ai crié toute seule. J’ai supplié pour qu’on me laisse assister à son enterrement même de loin mais personne ne m’a écoutée. Quand j’ai vu les vidéos, mon cœur s’est déchiré. Jamais je n’aurais imaginé qu’elle quitterait ce monde dans ces conditions et qu’on ne pourrait lui accorder des funérailles décentes avec un minimum de dignité. Cette façon de dire au revoir à quelqu’un qu’on aime est déplorable.»
Aujourd’hui, tourmentée par de nombreuses questions, Valérie n’arrive pas à retrouver la sérénité : «La grande question que je me pose, c’est : comment le virus s’est-il retrouvé dans un hôpital qui accueille des patients vulnérables et abrite un centre de dialyse ? Je me dis qu’il doit y avoir une faille dans le protocole et des lacunes là-bas. On veut des réponses. Pourquoi il y a tous ces décès ? On se pose des questions sur le traitement qu’on leur donne !» Lors d’une conférence de presse au cours de la semaine écoulée, face aux multiples interrogations et à la révolte des proches des patients décédés et de la population en général, les autorités ont affirmé que le taux de morbidité parmi les dialysés est élevé et que c’est un constat universel.
Mais pour Valérie, une série de mésaventures pourraient être à l’origine de cette terrible situation, à l’exemple de ce qu’a vécu sa maman : «Depuis que ce cauchemar a commencé, ma mère est passée par plusieurs épreuves. Je sais notamment qu’elle n’a pu faire sa dialyse à temps le jour où elle a été admise au centre de quarantaine. Imaginez sa détresse, à son âge et avec ses problèmes de santé, quand elle s’est retrouvée dans ce van en route vers la quarantaine. Le lendemain, soit le samedi 27 mars, j’ai pu lui parler au téléphone et alors qu’il était 9h30/10 heures, elle n’avait toujours pas pris son petit déjeuner et n’avait pas encore fait sa dialyse.»
C’est avec de nombreux doutes que Valérie a retrouvé sa maison : «Je me souviendrai à jamais de nos derniers échanges quand je l’ai mise dans le van qui allait la transporter vers un centre de quarantaine. Elle ne voulait pas y aller. Elle était bien. Certes, elle était une personne dialysée mais c’était une femme active. Elle aimait la vie, ses enfants, ses animaux. Elle aimait se promener dans la cour et adorait regarder la télévision. Le week-end, quand j’étais à la maison, on sortait. J’avais envie de lui faire découvrir Rodrigues. Hélas, je ne pourrai jamais réaliser ce projet.»
Deux jours plus tard, soit le dimanche 28 mars, Valérie ainsi que son père et son frère aîné se sont retrouvés en quarantaine après que le test PCR de Dookmanee s’est révélé positif la veille. Une quarantaine qui les a empêchés de dire au revoir correctement à cet être cher disparu dans des conditions difficiles, accentuant terriblement leur douleur : «Je me demande pourquoi les autorités ne permettent pas aux proches de voir au moins, même de loin, le visage de la personne décédée. Je ne comprends pas non plus pourquoi les autorités ne permettent pas aux proches, du moins ceux qui le peuvent, de donner un cercueil décent à leur défunt. On voulait vraiment que ce soit possible. Ç’aurait été mieux que cette boîte qui rend la séparation et l’étape des funérailles encore plus pénibles. Je n’arrive pas à m’enlever l’image de cette boîte de ma mémoire.»
La jeune femme est déterminée à mener une bataille pour que certaines choses changent : «Les autorités disent qu’aucune famille n’a fait de plainte mais on n’a pas dit notre dernier mot. Je viens de perdre ma maman, je dois faire mon deuil. En temps et lieu, on va réagir. Je ne vais pas laisser tomber car j’ai besoin de réponses. Il faut que certaines pratiques s’arrêtent. Je ne peux pas accepter qu’on enterre quelqu’un qui a été aimé de cette façon. Je partage la douleur de toutes les personnes qui vivent le même drame que ma famille.»
Pour attirer l’attention sur ce qu’elle décrit comme «inacceptable», la famille Sab tient à partager les images des funérailles de Dookmanee. «Je suis convaincue qu’il faudrait revoir les protocoles concernant les conditions dans lesquelles ces défunts sont enterrés. Ma famille tient à partager les images des funérailles de notre mère car on estime que personne ne devrait partir dans ces conditions. Les choses ne devraient pas se passer comme ça ! Aujourd’hui, c’est ma famille, demain ce sera une autre. On ne peut pas enterrer quelqu’un qui a été aimé de cette façon. Je n’ai que ces images en tête. Je suis tourmentée par des questions. Quand je ferme les yeux, je ne fais que voir cette horrible boîte. Je n’arrive pas à digérer que ma mère soit partie dans une boîte. Pourquoi les autorités n’acceptent-elles pas que les proches des victimes puissent au moins fournir un cercueil à leur défunt ?» se lamente Valérie. Comme plusieurs familles qui vivent la même chose en ce moment, elle est troublée, tourmentée et hantée...
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