Le village de Beau-Vallon est en pleurs. Comme le reste du pays d’ailleurs. Car l’un des fils de cette localité du Sud-est, devenu célèbre à travers toute l’île, s’en est allé en ce samedi 18 août. Louis-Gabriel Joseph, l’homme qu’on appelait affectueusement Fanfan, a rendu son dernier souffle à la maison de retraite St Jean De Dieu, à Pamplemousses, où il résidait depuis trois ans, en raison de ses complications de santé liées à la vieillesse.
Fanfan, 88 ans, conteur, chanteur, joueur de ravann et griot, restera dans les mémoires comme un artiste émérite aux multiples talents. La chanson Ki zoli zoli, c’est lui. 400 canons, 300 revolvers, c’est lui aussi. Moi, petit pêcheur, papa grand pêcheur, encore lui. Bélina, toujours lui ! Mais, au-delà de cette carrière artistique des plus riches (on n’oublie pas ses innombrables contes), il y a aussi le père, l’ami. Les chanceux qui ont eu la chance de côtoyer de près ce monument de la culture locale l’évoquent sous tous ses aspects, dans une voix unie et chargée d’émotion.
Pour ses 86 ans, en compagnie de ses deux filles : Magdala et Annabella.
La veille du décès de Fanfan, deux hommes étaient près de lui : le producteur Joyce Veerasamy et le chanteur Basco Raphael. Ils prennent un grand souffle avant de nous raconter leurs derniers instants avec celui qu’ils pleurent aujourd’hui. Joyce Veerasamy se lance : «Fanfan, c’est mon guru. C’est difficile de le raconter. S’il fallait décrire sa passion pour la musique, pour l’art, je dirais que sa ravann était sa deuxième femme et le séga sa maîtresse. Et il avait toujours une bonne parole, une morale… Malheureusement, lorsque nous sommes allés le voir vendredi dernier, il était plutôt mal en point, pas très lucide, il ne mangeait pas, il disait qu’il avait mal au ventre. Mais il m’a quand même demandé quand j’allais venir le voir à nouveau et je lui ai répondu que j’allais le faire probablement lundi. Sauf que ça ne se passera pas comme ça finalement.»
Joyce Veerasamy ne ratait jamais l’occasion d’aller voir Fanfan au moins une fois par semaine à Pamplemousses. Le producteur souligne d’ailleurs que Fanfan a bien signé pour un futur best of où le grand public pourra enfin profiter de ses chansons, ce qui est pour lui «le plus bel hommage». Car, il faut le préciser, bien que Fanfan ait un répertoire extraordinaire, il n’a jamais sorti d’album personnel de toute sa vie.
Fanfan et Franklin
Basco Raphael qui, lui, vient tout juste de sortir la chanson Anz Gardyen avec Stephanie Mardi, n’a côtoyé l’artiste que pendant quelques mois. «À chaque fois, Joyce me disait de venir avec lui. Et depuis quelque temps, j’avais enfin trouvé du temps pour aller rendre visite à Fanfan avec lui. C’était quelqu’un qui inspirait à chacune de ses paroles. Il m’avait même demandé si on pouvait collaborer pour reprendre plusieurs de ses chansons. Mais la dernière visite que nous lui avons rendue nous a bouleversés. Il semblait aller tellement mal. On ne peut rien faire dans ces cas-là…»
Trois ans de cela, Fanfan avait intégré la maison de retraite grâce au soutien de Rama Poonoosamy, patron d’Immedia, l’un de ses plus fidèles amis. Aujourd’hui, ce dernier rend un vibrant hommage à celui qu’il a côtoyé depuis les années 70. «Le monde a perdu Aretha Franklin et l’île Maurice a perdu Fanfan. Il était un vrai artiste engagé, il avait la parole vive, avec des reparties cinglantes mais aussi teintées d’humour. Et de par sa franchise, il méritait amplement l’amitié de ses nombreux amis», souligne Rama Poonoosamy. Il ajoute : «Il y avait des traditions avec Fanfan. On allait le voir tous les ans pour son anniversaire, le 27 juillet. Et à chaque fois, il m’appelait pour me demander quand j’allais venir, et on y allait un week-end autour du 27. Nous avions aussi l’habitude d’aller lui rendre visite le 2 janvier.»
Avec ses amis artistes en 2010 : Menwar et feu Michel Legris.
Notre Fanfan national n’a pas eu une vie facile. Né en 1930, il perd sa mère très jeune. Peu de temps après, il contracte la polio, ce qui affecte ses deux jambes. Élevé par sa grand-mère maternelle (qui lui donnera le sobriquet de Fanfan), il perd aussi celle-ci quelques années plus tard. Livré à lui-même, le jeune Fanfan tras. Il devient pêcheur, vend des poissons, se nourrit de poissons. Avant d’être nourri par la musique, particulièrement la ravann.
Ce grand fan de plats à base de poulet, de farata et d’ourit fait ses premières armes musicales avec un ami pêcheur à Mahébourg. Une révélation. Très vite, il compose, chante la vie et se découvre aussi un talent et une passion pour raconter des histoires. En un rien de temps, le talent de cet enfant du Sud est reconnu par sa région et par le pays tout entier.
En parallèle, Fanfan fonde une famille. La lignée de celui qui a perdu sa femme Antoinette il y a plus de 20 ans, est nombreuse : il a neuf garçons et deux filles. Ce sont ces deux dernières, Magdala, 43 ans, et Annabella, 38 ans, que l’on retrouve le plus souvent à ses côtés. Et aujourd’hui, après avoir perdu leur père, elles saluent la mémoire d’un papa poule.
Ti Cochon, Gro Cochon
Magdala, qui est enseignante, confie d’emblée : «Papa était sévère. Ce n’est qu’après mon mariage que je suis allée à un bal ou en boîte (rires). Mais je le remercie pour cette éducation car il nous a appris très tôt à comprendre des choses comme l’hypocrisie des gens ou la compassion. Il m’a aidée, par ses enseignements, à devenir la personne droite que je suis aujourd’hui (…) On adorait aussi le fait qu’il donnait des sobriquets à ses petits-enfants : Ti Cochon, Gro Cochon, Gro Lagel. C’était, je pense, sa façon à lui, de nous montrer sa tendresse. Je me rappelle qu’il appelait même Rama Poonoosamy “Leonard” (rires). Il était aussi très croyant, sa foi l’inspirait beaucoup.»
Annabella, femme au foyer, va dans le même sens : «Sévère, oui, papa l’était. Mais il nous enseignait des valeurs morales très fortes. Il nous mettait beaucoup en garde concernant les gens en général, il nous montrait à quel point les hypocrites étaient tout autour de nous.»
En 2015, l’artiste vivait de façon très modeste à Beau-Vallon.
La dernière fois que les deux sœurs ont vu leur père, c’était il y a une dizaine de jours : Fanfan avait été admis à l’hôpital SSRN car il avait eu une infection pulmonaire, ses bronches s’affaiblissant. Il est ensuite revenu vers la maison de retraite quelques jours après. «Il était plutôt mal en point. Il nous a dit qu’on n’allait plus le voir. On avait tellement l’habitude de l’entendre dire ça ; on lui a juste répondu : “Si tu dois partir, nous allons prier très fort pour toi”», raconte Magdala.
En 2015, 5-Plus dimanche était allé à la rencontre de Fanfan. Il était alors à Beau-Vallon et vivait dans une précarité surprenante et triste, surtout pour une personne de son calibre. On avait rencontré un homme rempli de nostalgie, cloué au lit, scotché à sa radio, juste témoin du temps qui passe… «La musique que font les jeunes d’aujourd’hui, ce n’est pas du séga. C’est trop souvent vulgaire et sans aucun sens. Je n’ai pas peur de le dire. Le séga doit raconter une histoire, une aventure», nous confiait-il alors.
Le producteur Joyce Veerasamy, lors de sa dernière rencontre avec lui, vendredi dernier.
Peu de temps après, pris en charge par son ami Rama Poonoosamy, il continuera sa vie à Pamplemousses, hélas dans une trop grande indifférence, loin de son œuvre de qualité… Mais ils seront sans doute nombreux aujourd’hui à rendre un dernier hommage à ce grand homme, ce grand Mauricien qui a tellement œuvré à mettre la culture mauricienne en avant.
Et là-haut, les Roger Clency, Michel Legris, Tifrer, Marclaine Antoine l’ont sûrement accueilli à bras ouverts et tous ensemble doivent faire un magnifique spectacle. Un spectacle tout zoli zoli, avec 400 coups de canon.