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24 août 2020 14:21
Incertitude, exaspération, ras-le-bol… Ce sont autant de sentiments qui animent, depuis quelques mois déjà, les squatters de Cité Jean-Blaise, à Pointe-aux-Sables, après que leurs maisons, qui se trouvaient sur les terres de l’État, ont été démolies. Mais depuis le vendredi 21 août, c’est la tristesse, la désolation et la colère qui ont pris le dessus, avec la mort du petit Mattéo, le benjamin d’Anaïs et Hugues, une des familles de squatters ayant été expulsées il y a environ trois mois.
Pour tous, le cas de ce petit bonhomme, qu’ils considéraient comme un bébé miracle qui luttait pour sa survie, était prioritaire. Il n’était âgé que de sept mois et souffrait d’une maladie rénale. Après avoir vécu pendant un long moment sous une tente, la petite famille a, certes, bénéficié de l’aide d’un bon samaritain l’ayant hébergée à Pamplemousses. Mais tout le temps passé sous la pluie et dans le froid, à attendre un logement décent, n’a fait qu’aggraver l’état de santé du nourrisson qui, depuis, enchaînait les allers-retours à l’hôpital. Il a rendu l’âme à la Neonatal Intensive Care Unit de l’hôpital SSR où il avait été admis une dizaine de jours avant son décès.
À Cité Jean-Blaise, en ce samedi 22 août, le chagrin et la révolte se lisent sur le visage de tous ceux venus soutenir les proches du petit Mattéo. Anaïs, sa mère, a les yeux gonflés et rougis ; elle vient de passer une nuit blanche. Accablée de chagrin et de fatigue, c’est avec beaucoup de peine que la jeune maman de 20 ans revient sur les événements dramatiques de ces derniers mois, le décès de son petit dernier ayant fait déborder un vase déjà bien rempli.
Mattéo a vu le jour avec beaucoup de problèmes de santé ; il lui manquait des muscles au ventre, il avait un rein plus petit que l’autre, des problèmes à l’oreille et un handicap aux pieds. Mais ses parents ont tout fait pour lui offrir un environnement le plus sain possible, malgré des conditions de vie difficiles, affirme leur entourage. Toutefois, suite à l’ordre d’éviction émis par les autorités en mai, leur situation s’est compliquée davantage. «Nou ti aranz enn ti lakaz, me gouvernman finn pran lakaz-la. Nou finn bizin dormi dan kann», se désole Anaïs, maman de deux autres fils âgés de 5 et 3 ans.
Depuis que sa famille, parmi tant d’autres, a été évincée des terres de l’État, les choses n’ont pas été faciles au quotidien. «Ti bien difisil. Nou finn pas boukou zour anba enn latant, dan lapli. Tipti pa ti pe aret plore. Bann otorite ti pe mem anvi fer CDU pran mo zanfan. Zot finn pran mo lakaz pou ki lerla zot dir mwa zot pou met mo zanfan dan kouvan !» se remémore-t-elle. Puis, il y a eu des promesses des autorités, qui n’ont jamais été tenues, souligne-t-elle. «Mo pa finn gagn okenn led.»
C’est finalement une famille domiciliée à Pamplemousses qui héberge Anaïs et les siens, il y a deux mois et demi. L’état de santé de son petit garçon se dégradait déjà. Le jeudi 13 août, lors de son rendez-vous à l’hôpital, Mattéo est hospitalisé. «Il était complètement déshydraté. Il saignait lorsqu’il allait à la selle. Son problème au rein avait provoqué une infection urinaire et lui a fait perdre beaucoup de sang. Les antibiotiques ne faisaient plus aucun effet. Je suis restée à ses côtés jusqu’au dernier moment», confie la jeune femme, submergée par le chagrin. Elle lâche en sanglots : «Kouma mo pou viv san mo zanfan ?»
Les choses se seraient sans doute passées différemment si les autorités n’avaient pas détruit leur maison, se dit-elle. «Se kan zot finn kraz lakaz ek fer mo zanfan dormi deor ki tousala finn arive. Nou lakaz inn kraze, aster nounn perdi nou ti anz. Se koumsa ki linn ramas freser, so brons inn sere, li ti nepli kapav respire», lance-t-elle.
Un drame qui aurait pu être évité, pensent également d’autres squatters de Cité Jean-Blaise, qui n’ont pas été insensibles au cas de Mattéo. Ils sont d’ailleurs nombreux à avoir apporté leur soutien au petit et à sa famille. Cindy Ross, mère de trois enfants, en fait partie. Affligée par le décès du nourrisson, elle confie : «Mattéo était comme mon quatrième enfant. Nous avons tous vécu avec lui sur ces terres avant notre expulsion. Nous nous sommes entraidés pour lui donner un endroit où loger. Il était peut-être malade mais aurait pu vivre encore longtemps si une chance lui avait été accordée. Bien que malade, il donnait l’impression d’être plein de vie. Il était un vrai battant. Les autorités sont entièrement responsables de ce qui lui est arrivé.» Florise Nadal, une autre squatteuse de la localité, abonde dans son sens : «Le gouvernement ne nous a jamais pris en considération. Les autorités étaient conscientes de l’état de santé de Mattéo mais elles n’ont pas réagi. Premie inn ale, nou espere ki pena lot viktim. Ena boukou dimounn ki malad parmi nou. Nous demandons simplement qu’on nous donne un toit ; nous ne voulons pas perdre d’autres enfants.»
Les funérailles de Mattéo ont eu lieu à 14 heures, ce samedi 22 août. Et c’est les larmes aux yeux que ses proches l’ont accompagné jusqu’à sa dernière demeure, parmi les anges.
Impossible de rester insensible devant une telle situation. C’est le sentiment qui anime le père Gérard Mongelard qui est aux côtés des squatters depuis le début de leur combat. Face au décès du petit Mattéo, la tristesse l’emporte. «On ne peut pas s’empêcher d’être tristes. Quand on pense qu’il a passé plusieurs jours sous une tente dans le froid dans son état. Il méritait un meilleur encadrement. Je souhaite toutes mes sympathies à ses parents et je dis merci à la famille qui l’a accueilli ces derniers jours.» Pour lui, il est plus que temps que ces familles sortent de cette situation au plus vite.
Leur combat est pour le droit humain. Et avant même que l’ordre d’éviction ait été émis, l’équipe de Bruneau Laurette, composée d’environ 70 personnes, a sillonné l’île afin de venir en aide aux squatters de diverses régions. À Cité Jean-Blaise, Pointe-aux-Sables, ils sont nombreux à avoir effectué de nombreux déplacements afin d’apporter leur soutien aux familles dans le besoin au cours de ces derniers mois. Particulièrement touchée par la mort de Mattéo, l’une des bénévoles, révoltée, confie : «L’enfant était malade mais aurait pu s’en sortir. C’est parce qu’il a dû dormir dans une tente que son état de santé s’est dégradé. Linn gagn freser. Gouvernman pann fer nanye ek pann trouv okenn solision pou zot. Nous sommes venus, en tant que bénévoles, et nous leur avons apporté à manger et des tentes lorsqu’ils ont perdu leur toit. J’ai beaucoup prié pour cet enfant, il aurait survécu s’il avait eu un logement décent. C’est inadmissible ! Ce n’est pas juste.»
Pascaline Mounien, bénévole dans la même équipe, est également bouleversée par le départ du nourrisson. «Nous les avons aidés avant le confinement, leur avons apporté des vivres. Le confinement ne nous a pas empêchés de continuer notre combat. Lorsque leurs maisons ont été détruites, nous les avons soutenus. Ce qu’ils ont vécu les a beaucoup affectés psychologiquement et physiquement. Ce n’est pas une situation facile à vivre. Nous faisons de notre mieux mais ne pouvons pas tout faire ; nous avons besoin de l’aide du gouvernement pour améliorer la situation de ces familles. Pour notre part, nous comptons nous battre jusqu’à la fin afin que personne ne reste à la rue.» Nos interlocutrices ont tenu a remercier particulièrement l'entreprise Elie & sons, qui a généreusement accepté de financer la cérémonie funèbre du petit Mattéo.
C’est un combat qui lui tient à cœur. Stéphano Ross fait partie des nombreuses personnes s’étant retrouvées à la belle étoile du jour au lendemain. Si cela fait plusieurs mois qu’un sentiment d’abandon l’a gagné, le décès du petit Mattéo n’a fait qu’accentuer sa colère, qu’il cache difficilement. «C’est une situation qui dure depuis de nombreuses années, qui perdure. Nous sommes en 2020 et de nombreuses familles vivent encore dans de telles conditions ; comment est-ce possible ? Nous avons tous droit à un toit. Nous avons voté pour ce gouvernement qui ne fait que nous mettre des bâtons dans les roues. Se koumadir nou finn donn zot enn kouto pou pik nou», s’insurge-t-il.
Depuis que Stéphano Ross a été expulsé des terres de l’État, il fait partie des nombreuses personnes à dormir sous une tente. Au total, dit-il, ils sont 13 enfants et 23 adultes dans cette situation à Cité Jean-Blaise, Pointe-aux-Sables. Il se souvient encore de cette journée fatidique où d’autres squatters et lui ont assisté, impuissants, à la destruction de leur modeste logement : «Ce que j’ai éprouvé à ce moment-là est inexplicable. Cela m’a fendu le coeur.» L'homme s’interroge : «S’il ne restait plus que quelques mois avant les prochaines élections, le gouvernement aurait-il agi de la même manière ?»
La nouvelle du décès du petit Mattéo a bouleversé les membres de la plateforme Drwa a enn lakaz qui accompagne les squatters depuis le 29 mai. Selon Delphine Ahnee, porte-parole de ce mouvement, le fait que le cas de cette famille n’ait pas été éligible comme «hardship case» à la NHDC est une preuve de la faillite de la politique de logement. «Si un bébé qui a autant de problèmes de santé n’est pas un hardship case, je me demande ce que c’est. Après avoir passé plusieurs jours sous une tente, ils sont allés à l’école Henri Souchon en urgence. Ils ont ensuite été accueillis par Safe Haven, avant d’être accueillis par une famille au grand cœur. Nous ne sommes pas des experts mais ce n’était pas des conditions idéales pour un enfant aussi malade.»
Pour notre interlocutrice, le fait que des familles comme celle du petit Mattéo ne reçoivent pas le soutien de l’État est une injustice. «Les ONG se débattent comme elles peuvent. Il est l’heure que les autorités ouvrent les yeux en arrêtant de mettre en place des critères qui ne sont pas réalistes. Il faut écouter ces familles et arrêter de les traiter de manière inhumaine.»
Le samedi 22 août, de nombreuses personnalités politiques se sont déplacées pour apporter leur soutien à l’entourage de Mattéo. Parmi, Fabrice David, député de la circonscription no 1 (Grande-Rivière-Nord-Ouest/Port-Louis-Ouest), qui raconte avoir fait la connaissance des parents du nourrisson dans des circonstances difficiles, il y a trois mois, lorsque l’ordre d’éviction avait été émis. «Quand j’ai appris la nouvelle du décès de Mattéo, cela m’a brisé le cœur. Lorsque j’ai aperçu son petit cercueil dans la maison, cela m’a rappelé le moment où j'ai moi-même perdu mon enfant. Cette émotion est indescriptible. J’apporte mon soutien à Anaïs et Hugues, ainsi qu’à tous ceux qui pleurent la mort du petit Mattéo», confie-t-il.
Arianne Navare-Marie, députée mauve, est également bouleversée par la disparition tragique du petit : «En tant que mère de famille, je suis profondément touchée. C’est vraiment dur pour une maman de perdre un enfant de cet âge. Nous savons que le petit a été trimbalé d’un endroit à l’autre ; ce n’est pas évident pour un enfant ayant des problèmes de santé. Nous avions soulevé la question au Parlement en ce qui concerne les logements pour les personnes vulnérables ; nous nous souvenons encore avec quelle arrogance le ministre avait répondu. Il y a beaucoup de maisons vides dans la localité ; nous avions suggéré au gouvernement de donner la priorité à la famille de Mattéo à cause de son état de santé mais rien n’a été fait. C’est triste et dommage.»
Pour elle, si un logement décent avait été alloué au petit et à sa famille, il serait probablement encore en vie. Veda Balamoody et Joanna Bérenger ont également fait le déplacement.
Textes : Elodie Dalloo et Amy Kamanah-Murday
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