Publicité

Décès de Serge Lebrasse : adieu à un «monument»

9 avril 2023

Bruno Raya, Gérard Louis, Mario Armel et Linzy Bacbotte ont tous des anecdotes à raconter sur ce grand homme dont les funérailles étaient remplies d'émotion. Des personnalités et membres du public y étaient présents en grand nombre.

Il va beaucoup nous manquer. Tout comme sa chemise fleurie, sa gaieté, son sens de la musique, son déhanché, son sens du patriotisme aussi… Serge Lebrasse nous a quittés le jeudi 6 avril, des suites d’une infection pulmonaire. Il laisse derrière lui tout un héritage, des tubes qui résonnent encore des décennies après plus d’un demi-siècle de carrière (Moris mo ti pei, Madame Eugène, Moi mo ene ti kreol) où il a aussi affronté les préjugés. Autant de traits de caractère qui définissent cet homme qui a beaucoup aidé à façonner l’île Maurice d’aujourd’hui en chansons, comme nous le rappellent tellement de personnes…

 

Parmi, le Premier ministre, qui était présent à la chapelle ardente d’Elie and Sons le jour des funérailles, le vendredi 7 avril (au son des ravann, le convoi mortuaire est passé par Plaisance, où l’artiste habitait, avant de se rendre à l’église Ste Anne, puis au cimetière de St Jean), comme plusieurs autres politiciens, que ce soit du gouvernement ou de l’opposition. «C’était un vrai artiste mauricien qui a chanté la beauté de notre île Maurice arc-en-ciel», a déclaré Pravind Jugnauth.

 

Au-delà de la beauté de son art, Serge Lebrasse brisait aussi les tabous, comme le dit Rama Poonoosamy, directeur de l’agence Immedia : «C’est quelqu’un qui sera reconnu dans l’Histoire comme celui qui a fait sortir le séga de la cour pour venir dans le salon. Un homme au parcours extraordinaire…» Un homme au destin hors du commun…

 

Serge Lebrasse est né en 1930 à Rose-Hill. Il découvre le séga en bossant comme garde forestier à Quartier-Militaire. C’est là qu’il rencontre Tifrer. À l’époque, le séga est mal vu. Après une carrière militaire qui l’envoie en Égypte, il revient au pays et bosse comme instituteur. Toujours passionné de musique, prenant des cours avec Philippe Oh-San, il se lance en chantant Mona Lisa de Jim Reeves lors d’un fancy-fair au collège St Joseph.

 

Remarqué par M. Damoo, il compose et enregistre Mama mo le marie et Eugénie sa ver la. Mais c’est lors de la compétition Mr Mauritius au Plaza qu’il goûte au succès, puisqu’il y interprète une nouvelle composition, Madame Eugène. Le reste n’est que tubes, tournées dans le monde, chemise fleurie et déhanchés. Serge Lebrasse – marié à Gisèle durant plus d’un demi-siècle et avec qui il a eu six enfants (ils ont aussi 11 petits-enfants et 12 arrière-petits-enfants) – est même élu Member of the British Empire. Très vite, son séga entre dans les maisons, les familles, brise les préjugés (à l’époque, il balaie le cliché que le séga n’est qu’une musique dite «cholo») et le fait voyager à travers le monde.

 

Encyclopédie vivante

 

Et puis, il y a bien sûr les artistes, ceux qui ont grandi avec lui, qui l’ont eu comme exemple, mentor, soutien, voisin, voire même élève ! Comment évoquer Serge Lebrasse sans parler, par exemple, à Linzy Bacbotte qui avait une relation si particulière avec le ségatier : «C’est un grand-père qui est parti. Notre relation a toujours été comme ça, comme un grand-père qui parle à sa petite-fille, qui lui donne des conseils, depuis nos débuts ensemble avec la chanson Moris mo ti pei, réalisée par Sylvio Hécube pour les célébrations de l’Indépendance de 1998. Après, on s’est revus tellement de fois, pour l’album Allez baba quelques années plus tard, pour de nombreuses scènes et même tout récemment pour le clip Mouthia, avec Elijah, où il fait une apparition. Serge Lebrasse était aussi une encyclopédie vivante. Chez lui, c’est comme un antre (rires). Il avait tellement de coupures de journaux, des articles sur moi que je n’avais même pas !»

 

Et pas loin de la maison de Serge Lebrasse, il y a aussi les OSB. Bruno Raya, actuellement en tournée en Irlande, se souvient de ce voisin pas comme les autres : «C’est un monument qui nous a quittés. Le mot ‘‘monument’’, pour moi, dépasse le mot ‘‘légendaire’’. Pour les enfants de Plaisance, c’était une fierté d’avoir un tel monument dans notre localité, avec un tel rayonnement ici et ailleurs. C’est tellement triste de ne pas être là en ce moment. Serge Lebrasse, c’est un ton qui n’avait pas peur de dire qu’il habitait à Plaisance, malgré la réputation que l’on pouvait donner à cet endroit. C’était l’une des raisons pour lesquelles il était un exemple pour les OSB. Il était aussi très patriote et toujours présent dans tous nos combats pour une meilleure société. Notre dernier souvenir, c’est probablement en Australie, pour un mariage. Merci en tout cas pour votre contribution à la musique, au pays, Serge !»

 

Autre voisin tout aussi vétéran que Serge Lebrasse, doublé d’un ancien élève de l’enseignant-chanteur : Mario Armel. Il évoque aussi le passé : «Je ne suis pas très jeune (Ndlr : 76 ans) mais j’ai quand même été l’élève de Serge Lebrasse (rires). On était de la même localité. Je me rappelle d’un professeur qui était plutôt cool, qui nous faisait apprendre mais avec qui on ne sentait pas la pression. Après, nous sommes devenus amis au fur et à mesure que notre carrière musicale progressait. Je me rappelle aussi qu’on côtoyait Ti Frer à un moment donné. C’était une sacrée époque.»

 

Le producteur Gérard Louis, qui a permis à Serge Lebrasse de faire ses adieux à la scène en 2016 avec le concert Nostalgie d’Or, évoque la perte des ségatiers vétérans. «C’est triste que la musique mauricienne perde encore l’un de ses aînés, après tellement d’autres comme Michel Legris et Georgie Joe», confie-t-il. «Je me rappelle très bien : je faisais mes premiers pas en tant que musicien professionnel dans les hôtels lorsque je l’ai rencontré pour la première fois. Un homme très pro, en tant que musicien, en tant qu’artiste. Et il se rappelait de tout. Je me souviens lui avoir dit, alors tout jeune, qu’un jour, j’allais reprendre sa chanson Marsan Pistas. Et bien des années après, il est revenu vers moi, m’offrant les paroles de la chanson sur papier ! Reprise que j’ai alors faite sur mon album Galé Galé. Je me pose maintenant la question : y aura-t-il, auprès des jeunes, un héritage de ces ségas d’antan ?»

 

Et comment ne pas évoquer ses proches qui évoluent dans la musique, comme son fils Toto Lebrasse, également très connu ? Ce dernier nous parle de son père… «Il était comme tellement de pères : il y avait un peu de conflits générationnels quand j’étais plus jeune mais après, la relation était plus douce. Il a été un père open, à l’écoute, tout en étant très strict quand il le fallait. On me demande aussi souvent s’il a poussé ses enfants vers la musique. Non, je ne pense pas. Il était toujours ouvert et nous laissait suivre notre voie. Mais en même temps, quand on grandit dans une famille de musiciens, c’est tout à fait normal qu’on se laisse happer dans cet univers. Je me rappelle encore des répétitions où l’on côtoyait tous ces musiciens qui jouaient avec lui. Avec le temps, nous, les enfants, apprenions même à donner notre avis sur la musique qu’ils faisaient, vu qu’on apprenait aussi la musique graduellement», raconte-t-il, tout en confiant qu’avant le décès de son père, sa fille Fiora et lui bossaient déjà sur une compilation où ils reprennent les tubes de Serge Lebrasse… 

 

Adieu donc au grand-père, au père, à l’artiste, au patriote. Nos sympathies encore une fois à sa famille et ses proches…

Publicité