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5 octobre 2021 14:08
Il était une voix. De celles qui touchent en plein cœur, qui captivent et envoûtent en quelques secondes et qui, par la suite, vous bercent de par ses nuances et sa puissance.
Il était aussi une plume. Un grand talent qui se nourrissait d'amour, de sa foi et de sa réalité, pour se raconter en chanson. Il était un fils, un frère, un oncle, un cousin, un ami... Un artiste dont la gentillesse et la sensibilité touchaient. Tous ceux qui ont côtoyé Linley Abdool Ramane, plus connu comme Lin, le faiseur de tubes, emporté le lundi 27 septembre des suites d'une maladie à l'âge de 43 ans, sont unanimes à dire qu'il était un être qui, à travers sa musique, avait transformé la vie de plusieurs personnes. «Je me nourris, je me construis et je carbure à la musique, c'est ma vie», nous confiait Lin dans une interview, il y a quelques années, lorsqu'il nous présentait l'album Mo recompans, fruit de sa collaboration avec Otentik Groove, qui avait été très vite adopté par les Mauriciens après sa sortie.
Celui qui avait fait ses preuves avec le combo Negro Pou Lavi dans les années 2000 – et qui avait été auréolé du sacre de Disque de l'année en 2016 pour sa chanson C twa mo recompans – qualifiait alors cet opus de nouvelle étape dans sa carrière. «C'est mon troisième album et, pour moi, ce n’est que la suite de mon cheminement musical.» Pour lui, la musique était dictée par une constante évolution. «C’est très différent de ce que je faisais avant, surtout en termes de son. Pour cela, j’ai pu bénéficier de l’aide, du soutien et de l’expertise de Chris Jo», nous expliquait-t-il à l'époque. Dans ses textes, il mettait ses tripes et son âme. Son quotidien, son état d’esprit, ses émotions, des sentiments ou des ressentis sont derrière chacun de ses morceaux. De Emporté, dédiée à son père décédé, à Sans ou, en passant par La haut et ses autres titres, Lin se dévoilait constamment. Et sa voix faisait le reste... Tour à tour puissante et douce, sans effets, avec une maîtrise du silence.
Ceux qui l'ont accompagné à sa dernière demeure le mardi 28 septembre, lors de ses funérailles empreintes d'émotions et d'hommages de ses amis artistes, saluent tous le départ d'un grand maestro pour qui le partage de sa musique était une mission. C'est d'ailleurs ce que Lin – le troisième d'une fratrie de trois fils et une fille – nous avait dit : «Le partage, c'est ce qui me motive...»
Un fait que confirme son entourage. «Il avait un don et il aimait le partager et faire du bien aux autres à travers la musique et ses paroles», nous confie Mike Abdool Ramane, un des frères du chanteur. Dans sa voix, au lendemain de ses adieux déchirant à celui qui était pour lui un exemple de persévérance, de la tristesse mais surtout de la fierté. «Si toutes ces personnes sont venues lui dire au revoir, c'est que Lin avait relevé son défi : toucher les gens», ajoute Mike qui décrit aussi son frère comme quelqu'un de fort, qui aimait la vie, qui vivait pour son art et qui était surtout une personne forte qui a tenu tête à la maladie : «On peut dire qu'il a été malade pendant deux mois. Il s'est battu, il s'est montré courageux mais il était aussi très fatigué. Il n'est plus là mais sa musique, sa voix et ses chansons ne s'effaceront jamais...»
Il y avait l'artiste, celui qui n'avait aucun mal à briller lorsqu'il était sur scène, mais il y avait aussi l'homme remplie de qualités, qui a marqué plus d'un. Elrine Abdool Ramane, nièce du défunt chanteur, le voyait comme un pilier, une source d'inspiration. «Je n'arrive toujours pas à me faire à l'idée que Lin n'est plus là et qu'il ne reviendra pas. C'est un moment très difficile pour la famille. Il va me manquer d'une façon que je ne peux pas décrire», confie la jeune femme, du chagrin dans la voix.
Pour elle, son oncle, malgré son succès, avait su garder les pieds bien sur terre : «Il était très famille et il aimait donner sans compter, même si après, il ne lui restait rien pour lui-même. Il était dans le partage. Lin n'était pas que l'image qu'on voyait de lui lorsqu'il était sur scène. Il avait sa personnalité artistique, une autre familiale et une autre avec ses amis. Je suis rassurée, quelque part, quand je me dis qu'il va rester vivant dans le cœur de ses fans à travers l'héritage musical qu'il laisse derrière lui. Il mettait toujours en avant Kaya et Bob Marley parce qu'ils sont partis en laissant justement leur musique derrière eux. C'est un héritage qui continue à nous faire vibrer. C'est vraiment apaisant de savoir que la musique de Lin en fera autant...»
C'est ce que confirme le chanteur Jason Heerah qui a partagé bien des moments musicaux avec Lin. «Sa musique est, bien évidemment, son plus grand héritage. Il était un très bon interprète et un très bon auteur. C'est cela qui va faire que Lin est un artiste qui va rester dans les mémoires et les cœurs. C'était aussi une personne avec une belle personnalité. Li ti ena touzour enn dialog pou fer riye. Li tris pou dir li me mo krwar ki se a partir so lamor ki morisien pou dekouver so bann text. La valeur de sa musique va prendre une autre direction. Je vais garder de bons souvenirs de lui.»
D'un artiste à un autre, le même profond respect pour celui qui était considéré comme un chanteur complet. Mr Love le considérait comme un grand ami : «Il nous laisse sa voix comme ultime cadeau. Cette voix unique avec un grain spécial qui faisait de lui un chanteur pas comme les autres. Il avait un feeling particulier. J'ai eu aussi l'occasion de le côtoyer sur un plan plus personnel et, au fil des années, j'ai découvert et appris à apprécier son humour, son esprit de camaraderie et sa foi. Il était très pieux. C'est un exemple. Dans toutes ses paroles, dans toutes ses chansons, on sent qu'il s'adresse et fait beaucoup appel à Dieu. Je crois fermement qu'il a passé les messages qu'il voulait et ce sont autant d'héritages qu'il laisse derrière lui.»
Comme Jocelyne, la mère de Lin, pour qui son fils est comme une étoile qui a rejoint le ciel, beaucoup regrettent la disparition «d'une belle personne» dans la lignée des plus grands qui ont quitté ce monde. Pour Jimmy Gassel, DJ et animateur de radio qui porte plusieurs autres casquettes, Lin est une référence. «Je l'ai côtoyé il y a trois semaines, dans une soirée privée. On voyait qu'il n'était pas bien mais c'était quelqu'un de très fort. Pour moi, c'est un chanteur qui est dans la même lignée et de la même trempe que Kaya. Il laissera une belle empreinte sur la musique locale. C'était le genre d'artiste qui avait une présence rien qu'avec sa voix. Sans musique, sans orchestre, sans effets, il pouvait vous transpercer rien qu'avec sa voix. Lin était aussi une personne très intelligente et réfléchie, avec une très belle écriture. Pour moi, un vrai artiste se voit de par la richesse de ses textes. Et Lin avait une très belle plume. Ses titres ne vont jamais vieillir. Il va beaucoup manquer à la scène locale. C'était une personne qui avait une voix. J'ai eu aussi l'occasion de le côtoyer loin de la scène. On était dans un groupe et on jouait au foot ensemble les mercredis à Bagatelle. Il était un bon footballeur et, avec la musique, il avait aussi comme passion Manchester United et les courses.»
La simplicité et le côté humble de Lin sont souvent mis en avant dans les hommages. Valentina Première, organisatrice de soirées, s'estime heureuse d'avoir croisé son chemin. «J'ai eu la chance de faire la connaissance de ce grand homme par le biais de mon ami Jean-Pierre Barry, il y a quelques années. J'éprouve une immense fierté d'avoir pu côtoyer une telle personnalité, si simple et humble. Il avait une grande joie de vivre. C'était un soldat de l'amour. Lin est un exemple à suivre car il n'a jamais abandonné, il a toujours persévéré. Il a su donner de la valeur à tout ce qu'il a fait, surtout dans la musique, li ti al li dan enn bataz. D'ailleurs, l'année dernière, j'ai eu le privilège d'organiser une soirée en son honneur, qu'il avait lui-même baptisés Soirée dan enn batazzz. Il faisait de la musique non pour la gloire mais pour faire plaisir à ses fans ; comme il le disait, il avait des responsabilités envers eux.»
Et ils sont nombreux, ici comme ailleurs, à avoir eu des étoiles dans les yeux après un concert du défunt chanteur. Laura Samoisy, installée en France, se souvient encore de la magie que Lin avait dégagée lors d'un de ses passages dans l'hexagone. «Je l'ai connu à l'époque où il faisait partie du groupe Negro pou lavi. Mais pour moi, il a révélé son véritable talent lorsqu'il a entamé sa carrière solo. Il était devenu presque une idole. J'ai eu la chance de le voir en live lors d'une soirée mauricienne à Paris, il y a deux ans. Lorsque Lin et les Otentik Groove ont fait leur entrée, tout le monde les acclamait. Sur scène, Lin avait assuré. J'ai eu aussi la chance de le côtoyer de près lors des répétitions. Ce que j'ai aimé chez lui, c’était sa simplicité. Il n'avait pas la grosse tête, alors qu'il surfait sur la vague du succès.»
Avec cette disparition, c'est tout l'univers musical de l'île qui est en deuil. Avinash Teeluck, le ministre des Arts et du patrimoine culturel, n'a d'ailleurs pas manqué de le souligner au cours de la semaine écoulée. «Suite au décès du chanteur, j'ai écrit sur ma page Facebook, "San ou nu la musique locale pas pou parey", et je pèse chacun de mes mots. On a perdu une personne qui avait une voix unique et qui était remplie d'inspirations, avec des paroles dans ses chansons qui sont remplies d'émotion. Lin était un artiste hors pair. Pour moi, c'est une grande perte pour la communauté artistique, le secteur créatif et pour l'île Maurice également. Après quelques jours, on va devoir s'asseoir et réfléchir à une activité qui pourra nous permettre de rendre dignement hommage à ce grand artiste...»
Si Lin s'est éteint, pour son entourage et ses fans, sa flamme et sa musique resteront bien vivaces !
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