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Par Elodie Dalloo
28 mars 2022 18:35
Il ne s'agissait, au départ, que d'une simple interpellation dans le cadre d'une enquête pour vol. Cependant, Aniket Dookhit, un habitant de Petite-Rivière de 26 ans, est décédé à peine quelques jours plus tard. «Nou pa ti kone ki kan lapolis ti pran li ti ale, ki li ti pe al enn sel ale», pleure Dilipkumar, le père de la victime. Le samedi 19 mars, son aîné a rendu l'âme aux soins intensifs de l'hôpital Jeetoo. Il y avait été admis le lundi 14 mars, grièvement blessé à la tête après avoir sauté du véhicule de police chargé de le transférer du tribunal de Bambous au poste de police de Petite-Rivière. Une vidéo montrant la scène a d'ailleurs fait le buzz sur les réseaux sociaux.
Soupçonnant une négligence criminelle, les proches du jeune homme de 26 ans ont entamé des poursuites et ont retenu les services de Me Rouben Mooroongapillay. «Il était en pleine forme quand il a été interpellé chez nous mais c'est son cadavre que nous avons récupéré», déplorent-ils.
À ce stade de l’enquête, le policier Mackenzie Latour, affecté à la Criminal Investigation Division (CID) de Petite-Rivière, a été appréhendé et traduit en cour de district de Bambous le mardi 22 mars, après avoir été interrogé par les limiers de la Major Crime Investigation Team (MCIT). Il fait l'objet d'une accusation provisoire d'homicide involontaire par négligence. Mackenzie Latour, qui compte 17 années de service, faisait partie de l'Escort Team responsable du suspect suivant son arrestation. Il a été libéré après avoir fourni une caution de Rs 15 000 et signé une reconnaissance de dette de Rs 50 000. Quant à son collègue, qui conduisait le véhicule de police, il a été autorisé à rentrer chez lui après son interrogatoire.
Si les autorités enquêtent toujours afin de situer les responsabilités dans cette affaire, les proches du détenu Aniket Dookhit espèrent aussi que d'autres zones d'ombre seront éclaircies. Ils n'écartent pas la possibilité que le jeune homme ait aussi été victime de brutalités policières. C’est pourquoi, ils ont porté plainte à l'Independant Police Complaints Commission (IPCC).
L'arrestation d’Aniket Dookhit, plus connu sous le nom de Sarvesh, remonte au lundi 14 mars. Cet habitant de Petite-Rivière était recherché depuis le 8 février dans le cadre d'une affaire de vol de violettes dont la valeur marchande s'élève à Rs 15 000. Il a été interpellé à son domicile, avant que la police le conduise au poste de police de la localité pour son interrogatoire. S’il a clamé son innocence, il a été positivement identifié par le plaignant et a donc été arrêté. Le tribunal ne lui ayant pas accordé la liberté, il était prévu qu'il soit placé en détention.
Toutefois, il a subi de graves blessures à la tête après avoir tenté de s'enfuir en sautant du véhicule en marche, à proximité du Health Centre de la localité, lors de son transfert. Il a d'abord été conduit au centre de santé de Petite-Rivière, puis au poste de police, avant d'être transféré à l'hôpital Jeetoo où il rendu l'âme quelques jours plus tard, ayant succombé à une fracture du crâne et une hémorragie intracrânienne. «Comment un tel incident a pu se produire alors qu'il était sous la responsabilité des policiers ?» C'est ce que veulent savoir les proches du jeune homme.
Les policiers faisant partie de l'Escort Team ont, eux, soutenu avoir placé Aniket Dookhit seul sur la banquette arrière du véhicule, les menottes aux poignets, car il leur aurait déclaré qu'il était positif à la Covid-19. Ils ont expliqué avoir activé la fonction child lock mais que le jeune homme aurait ouvert la portière de l'extérieur, la vitre étant baissée. Selon eux, après sa chute, Aniket Dookhit leur aurait déclaré avoir tenté de s'échapper parce qu'il ne voulait pas retourner en prison. «In Mauritius, as per standing orders, it is stated that "on no account detainees should sit behind the driver or next to him"», soutient Me Rouben Mooroongapillay dans une correspondance destinée au Commissaire de police (CP) Anil Kumar Dip, datée du mardi 22 mars. Pour le bon déroulement de cette enquête, il a aussi réclamé, dans sa lettre, que les images des caméras Safe City situées à proximité du tracé parcouru par le véhicule de police soient récupérées, ainsi que les livres renfermant les entrées faites à la CID de Petite-Rivière le jour du drame.
Par ailleurs, la plainte des proches d’Aniket Dookhit pour brutalités policières relève du fait que ce dernier portait d’autres blessures sur le corps. «Ti ena disan kaye. Il avait des blessures aux reins, aux jambes, sur ses parties intimes. Il était recouvert de bleus. Pa kapav enn dimounn inn tombe inn gagn tousala. Ti enn masak. Kan ou get li ou sagrin. Kot so pwanye ti ena mark. Zot mem kone ki zot finn fer ar li», avancent ses proches. «Tou dimounn ki finn gagn trape avek bann lapolis Ti Rivier dir ki bann-la bate», allèguent-ils.
Les proches d'Aniket Dookhit concèdent toutefois que ce dernier n'était pas un enfant de choeur. «Il avait un casier judiciaire. Il est tombé dans l'enfer de la drogue et cela le conduisait parfois à commettre des vols. Il était bosseur mais lorsqu'il n'avait pas suffisamment d'argent, il volait. Mais il n'a jamais fait de mal et ne méritait pas une mort pareille», confie son père.
Sollicité, Me Rouben Mooroongapillay avance qu'il faut une enquête approfondie : «Le policier arrêté n'a pas été ”interdicted“ et est toujours en service. Le même véhicule ayant servi au transfert du détenu est toujours utilisé pour les fonctions. Nous ne savons pas encore si celui-ci a été examiné correctement ou si la fonction child lock fonctionne. De plus, du sang avait été retrouvé dans ce véhicule. S'agit-il de celui d'Aniket Dookhit ? Sachant que ses proches le soupçonnent d'avoir été victime de brutalités policières…»
Il s'interroge également sur le temps qu'ont passé les policiers au poste de police suite à cet accident : «Suite à ma correspondance, la police m'a affirmé que l'enquête progresse. Nous devons savoir si le détenu a été informé de ses droits constitutionnels après avoir tenté de s'échapper. De plus, les policiers n'ont-ils pas failli à leur tâche en manipulant la victime de la sorte après sa chute ? N'auraient-ils pas dû appeler les secours ? Nous devons savoir si l'enquête avance vraiment. Il y a beaucoup de zones d'ombre qui doivent être éclaircies…»
Les funérailles d'Aniket Dookhit ont eu lieu le lundi 21 mars. Il laisse derrière lui sa compagne Isha et leurs deux enfants : un fils de 7 mois et une fillette de 4 ans.
Chaque année, de nombreux cas sont rapportés à l'Independent Police Complaints Commission (IPCC) pour enquêter sur des individus tabassés, brutalisés, voire tués, alors qu'ils étaient en détention policière. Si la plupart des victimes sont des hommes, le cas d'Anielle Humbert a suscité de vives réactions.
Le 28 janvier, cette habitante de Résidence Barkly a été arrêtée à son domicile pour trafic de drogue. Moins d'un mois plus tard, la jeune femme de 23 ans est décédée à l'hôpital de Rose-Belle, alors qu'elle était toujours sous la responsabilité des forces de l'ordre. Une autopsie a attribué sa mort à une septicémie. Ayant décelé des blessures sur son corps, sa soeur Flavia Louis soupçonne qu'elle a été victime de brutalités policières. «Mo ankor reviv sa moman-la. Sa finn pas dan mo lakaz kan zot finn pran li, mo pa kapav bliye», lâche-t-elle, inconsolable.
C'est avec beaucoup de difficulté qu'elle se remémore cette journée fatidique où les limiers de l'Anti-Drug and Smuggling Unit (ADSU) et les commandos du Groupe d'Intervention de la Police mauricienne (GIPM) ont débarqué chez elle pour une fouille. L’un d’eux leur aurait lancé : «Marcelin Humbert nepli la (NdlR : il s'agit de leur oncle, décédé dans un accident de la route en 2021), mwa ki la.» Flavia Louis allègue que les officiers ont brutalisé sa soeur et que leur mère mourante a dû intervenir.
Après la fouille, Anielle Humbert a été arrêtée pour trafic de drogue. Conduite dans un premier temps dans les locaux de l'ADSU de Rose-Hill, elle a ensuite comparu devant le tribunal de la localité, avant d'être placée en détention, la police ayant objecté à sa remise en liberté. Elle a ensuite été transférée à la prison de Beau-Bassin.
Toutefois, quelque temps plus tard, la prison a contacté Flavia Louis : «C’était pour me dire qu'elle y été détenue. Mais le lendemain, j'ai à nouveau reçu un appel m'indiquant qu'elle avait été découverte inconsciente dans sa cellule et qu'elle avait été conduite à l'hôpital ENT parce qu'elle avait été testée positive à la Covid-19.» La détenue a été transférée aux soins intensifs de l'hôpital Jawaharlal Nehru le 12 février mais ses proches n'ont pas été en mesure de lui parler car elle était inconsciente. «Nous n'avons pu la voir qu'à travers une vitre.»
Contre toute attente, les proches d'Anielle Humbert ont appris son décès le 22 février, alors qu'elle était déjà guérie de la Covid-19. Après l'autopsie, son corps sans vie leur a été remis. «Nous avons remarqué des blessures sur le front, l'oreille, la jambe, le pied et le dos. Nous pensons qu'elle a été brutalisée par la police. La Covid-19 ne provoque pas cela. D'autant qu'elle n'avait aucun autre problème de santé», estime Flavia Louis. C'est la raison pour laquelle elle a porté plainte à l'IPCC le lundi 21 mars, en présence de son homme de loi, Me Taij Dabycharun.
Sollicité, ce dernier indique avoir envoyé une correspondance au Commissaire de police et au Commissaire des prisons pour demander à ce que toutes les entrées faites dans les diary books relatifs à cette affaire lui soient remises. Dès qu'il sera en possession de ces documents, il décidera de la marche à suivre.
Flavia Louis, pour sa part, lance un appel au Commissaire de police «pou li pran aksyon pli vit posib. Dan le mond ki nou viv, pena enn lazistis.» Anielle Humbert laisse derrière elle un fils de 4 ans qu'elle ne verra malheureusement pas grandir…
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