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Par Yvonne Stephen
27 avril 2015 03:33
Nouvel acte. Lever de rideau ! La scène est la même, le décor sensiblement différent. Et les acteurs toujours en place, mais avec un nouveau groupe de figurants. Le personnage principal de cette pièce a changé. Paul Bérenger n’est plus le leader de la bande de démissionnaires du MMM. Néanmoins, sa présence est encore palpable. Dans les discours, dans les échanges. D’une autre salle, il vocifère et se fait entendre dans les coursives de ce haut lieu du show mauve, où se sont jouées, il n’y a pas très longtemps, deux autres pièces sur la thématique du départ. Les premières minutes du spectacle sont prenantes. Tous les regards sont braqués sur Alan Ganoo, Atma Bumma et Kavi Ramano, qui ont quitté le MMM et ont rejoint Jean-Claude Barbier, Raffick Sorefan et Joe Lesjongard. Ces derniers avaient déjà changé de scène.
Ensemble et avec d’autres «militants déçus», ils ont décidé de lancer un nouveau parti politique, avec une direction collégiale. Dans ce nouveau souffle du militantisme, pas de soliloque orgueilleux d’un leader ni d’aparté avec les idéologies du parti, assurent-ils ! Et ils vont faire de l’opposition sérieuse et affirmée, expliquent-ils. Les noms de ces routiers, plus ou moins vieux, et leur expérience sur le terrain du monde politique local aideront-ils à les tenir à flot ?
Car en dehors de la solidité d’un grand parti, peu survivent politiquement ici. Les nombreuses petites formations politiques qui ont vu le jour à la veille des législatives de 2014 en savent quelque chose. Tomber dans l’anonymat. Se rapprocher d’autres petits partis. Ou alors s’allier à de grands partis. Toutes les options sont possibles. Même si les principaux protagonistes assurent qu’il n’est pas question de se rallier au PTr (afin de rafler le poste de leader de l’opposition à Paul Bérenger) ni de rejoindre le ML. Ils lancent avec force leurs répliques pour que tout le monde les entende et les croie.
«Dès qu’il part, nous revenons»
Néanmoins, dans les coulisses de cette nouvelle formation, il se murmure d’autres choses. Pour alimenter l’histoire, intéresser les spectateurs et faire durer le suspense. Que se passera-t-il au prochain acte ? En attendant que l’intrigue se dévoile, les supputations vont bon train. «Vous pensez que ça nous amuse d’avoir quitté le MMM ? Pas du tout ! C’est juste qu’on n’en peut plus de la manière de faire de Paul. Dès qu’il part, nous revenons», confie un démissionnaire qui avoue néanmoins ne pas être dans le «secret des dieux». Notre interlocuteur le sait : le départ de Paul Bérenger est une utopie pour l’instant. Il faudrait un deus ex machina pour que cela se produise. En attendant, il espère que Steeven Obeegadoo amorcera le changement au sein de la formation mauve et arrivera à convaincre Paul Bérenger de tirer sa révérence avec ou sans applaudissements.
Ce qu’il souhaite, c’est que ce nouveau parti fasse du MMM en dehors du MMM : «C’est la même école, les même valeurs. J’aime la discipline de ce parti.» Autre option : que la bande de démissionnaires rejoigne le ML d’Ivan Collendavelloo, qui a joué la première pièce : «Je ne vais pas mentir, tout le monde veut gagn so bout. Et une entrée au sein du gouvernement à travers la porte d’un autre parti qui véhicule les mêmes valeurs que le MMM, ce ne serait pas mal du tout.» Toutefois, ce rebondissement n’est pas envisageable par tous. «Je ne suis pas sûr qu’Alan Ganoo veuille se retrouver sous Ivan Collendavelloo. C’est une façon de parler, mais vous avez compris le concept», confie un membre du MMM qui, lui, n’a pas – encore – démissionné.
Selon lui, les premières discussions des démissionnaires avec les dirigeants du ML portaient sur un point : «Qu’ils soient appelés à reprendre le parti alors qu’Ivan se retirerait petit à petit. Mais ça n’a jamais été une proposition concrète.» Digne d’une boutade de commedia dell’arte ! Et le MSM dans tout ça ? Un Alan Ganoo égaré, c’est de la proie de choix pour un scénario choc. D’ailleurs, Pravind Jugnauth, leader du MSM, s’est exprimé sur les récentes démissions au sein du MMM lors d’un comité régional à Saint-Pierre, cette semaine : «Alan Ganoo était un monument au MMM (…) Il y a de nombreux camarades militants et travaillistes qui ont souhaité se joindre à notre équipe. Nous dirons, en temps et lieu, qui se joindra à notre équipe.»
Un appel du pied sans sous-entendu. Mais qui fait tiquer les acteurs de cette nouvelle comédie. «Entrer au gouvernement, d’accord, pour travailler pour les Mauriciens. Mais pas se fondre dans le MSM. Ça, ça ne marchera pas», explique un autre démissionnaire. Reste le choix du PTr. Est-il vraiment envisageable ? Pas forcément. Si Alan Ganoo a été «victimisé» pour son rôle dans le cadre de l’alliance PTr-MMM, cette dernière a aussi, et surtout, été rejetée par une majorité de Mauriciens. En politique, tout est parfois une question de perception. Cependant, notre interlocuteur n’est pas forcément de cet avis : «C’est le PTr de Navin Ramgoolam qui est le problème. Et il n’en tient plus les rennes aujourd’hui.»
Alors, no souci ? Pas forcément. Un ancien militant qui a pris sa retraite politique et qui suit de près toute cette affaire souhaite que les démissionnaires, qu’il soutient, ne tombent pas dans le piège travailliste : «Avec tous ces scandales, ils vont perdre leur crédibilité. Ils ont une aura de courage en ce moment. Ils ont osé quitter le MMM.» Être actifs au Parlement, mais aussi sur le terrain, c’est tout ce qu’il espère, assis confortablement dans le carré des spectateurs : «Il faut qu’ils oeuvrent pour reconquérir la base militante. C’est un gros travail. Mais ce n’est pas quelque chose d’impossible.» Pas d’alliance, pas d’entrée au gouvernement, mais des actions fortes et un discours honnête.
Comme on n’en voit que dans des pièces de théâtre…
Depuis des semaines, rien ne va plus au sein du MMM : rumeurs de démissions, malaises et frondes secrètes contre le leader, Paul Bérenger. Ce dernier sort du silence, la semaine dernière, et déclare que des sanctions seront prises contre des membres de son bureau politique, qui auraient comploté pour lui ravir le poste de leader de l’opposition. Ce mardi 21 avril, Kavi Ramano et Atma Bumma sont suspendus. Lors de la réunion du comité central, aucune décision n’a été prise concernant le cas d’Alan Ganoo que Paul Bérenger a ouvertement critiqué lors d’une émission sur Radio Plus, décriant son rôle dans les tractations d’alliance avec le PTr avant les dernières législatives.
Le lendemain, soit le mercredi 22 avril, les trois hommes décident de claquer la porte du MMM. Ils mettent en cause l’arrogance de Paul Bérenger et les idéologies trahies au sein de ce parti lors d’une conférence de presse le jeudi 23 avril. Le 24 avril, Alan Ganoo démissionne du Public Accounts Committee. Dans une déclaration à la presse le 23 avril, Paul Bérenger avait souhaité que l’ancien président de son parti entame cette démarche. Le poste a été repris par Veda Balamoody.
Si, dans un premier temps, le leader des Mauves a fait part de sa tristesse concernant ces démissions, ça n’a pas duré : «Quand je constate qu’ils (Alan Ganoo, Kavi Ramano et Atma Bumma) ont animé une conférence de presse aux côtés de Joe Lesjongard, Raffick Sorefan et Jean-Claude Barbier, et qu’ils annoncent qu’ils se rapprochent du ML d’Anil Gayan et les autres, ma tristesse a beaucoup diminué.»
À la fin de la réunion du Comité central et du Bureau politique, le samedi 25 avril, Paul Bérenger s’est encore une fois exprimé sur ces départs du MMM. Il a ajouté que de nombreuses personnes sont prêtes à rejoindre le parti. Et qu’après tout, des individus comme Kavi Ramano n’aidaient pas la cause des Mauves. Il a également affirmé que le parti se tourne désormais vers l’avenir avec, en ligne de mire, les municipales.
Quelle a été votre réaction en apprenant le départ d’Alan Ganoo, d’Atma Bumma et de Kavi Ramano ?
J’ai été profondément bouleversé. Je ne le savais pas. J’ai appris les démissions à la radio. J’ai partagé de grands moments de lutte, des victoires et des défaites avec Alan Ganoo. C’est un militant historique. Le seul qui reste de 82. Atma Bumma et Kavi Ramano sont des militants de souche. Ils étaient dans l’aile jeune. Ils ont fait leur carrière politique au MMM. Ils n’ont pas appartenu à d’autres partis. Je regrette beaucoup leur départ.
Comprenez-vous leur décision ?
Je la comprends. Nos stratégies divergent. J’espère qu’ils resteront fidèles aux valeurs du MMM. Si c’est le cas, je leur souhaite bonne chance en attendant que nos chemins se croisent à nouveau. Eux ont pris la décision de créer un nouveau parti. Moi, je suis resté cohérent envers moi-même. J’ai toujours dit que je ne ferai jamais de croix sur le MMM. J’ai consacré toute ma vie à ce parti. Et il m’appartient à moi aussi comme à tous les autres militants. J’y suis, j’y reste !
De nombreux démissionnaires s’interrogent sur votre décision de rester…
C’est une question de stratégie. Après avoir tout donné, je ne peux pas tourner le dos au parti. Je reste et je vais continuer à combattre pour mes idées. Il faut faire revivre le parti d’antan. Il faut se réinventer. Ne pas seulement être un parti avec un passé glorieux. Je vais me battre pour réconcilier, pour réunifier le MMM. Pas aujourd’hui, pas demain, ceux qui sont partis reviendront. Je le souhaite. Je vais œuvrer pour que cela soit possible.
Certains estiment que c’est votre ambition de devenir leader, qui explique votre choix…
Vraiment ? Moi, je souhaite que le MMM soit un parti sans leader. Je ne conteste pas la légitimité de Paul Bérenger. Il a été élu à ce poste. Je me dis qu’à l’avenir, quand le leader actuel se retirera, il faudra trouver une formule plus collégiale.
Son non-départ
Ils partent. Mais lui reste. Beaucoup de militants s’interrogent sur les motivations de Steeven Obeegadoo. Malgré ses critiques acerbes contre le leader du MMM dans la presse et ses clashes avec Paul Bérenger, il ne bouge pas. «Il était question qu’il se joigne au groupe, mais il a préféré œuvrer pour le changement à l’intérieur du parti. Il ne combattra jamais contre son cœur et contre les Mauves», confie un démissionnaire. Et pourquoi ne pas être un sérieux prétendant à la reprise du leadership du parti ? C’est tout à fait envisageable, estime un actuel membre du MMM, qui ne compte pas démissionner : «Il a beaucoup changé. Il est beaucoup plus charismatique. Steeven est un timide. Mais il a décidé d’être plus extraverti. Et ça fonctionne et ça lui va bien. On a vu le changement lors des dernières législatives. Mais il y a encore du travail à faire.»
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