Publicité
Par Elodie Dalloo
15 mars 2022 16:40
La date du 8 mars marque la Journée internationale des droits des femmes à travers le monde. L’occasion pour les féministes de faire entendre leur voix en termes d’égalité des genres mais surtout pour lutter contre les violences faites aux femmes. Cette année, à Maurice, cette journée a été tristement marquée par le décès de Dixchita Veerapen, une jeune femme de 24 ans, qui a succombé sous les coups de son concubin la veille de cette célébration. Il s’agit du premier féminicide dans l’île depuis le début de l’année, alors que, chaque jour, les cas de violence conjugale se multiplient.
Dixchita Veerapen fait partie de la longue liste des femmes à s’être murées dans le silence pendant bien trop longtemps. Convaincue, comme beaucoup d’autres victimes, que celui qui partageait sa vie finirait par changer. «Un dévouement absolu, la foi sans bornes, un amour insensé, toutes ces richesses d’un cœur aimant et vrai ne sont rien ; elles servent à aimer et ne font pas qu’on soit aimé.» Cette citation de l’écrivain français Honoré de Balzac pourrait résumer la vie de Dixchita Veerapen auprès de Vidianand Beekharry, plus connu sous le nom de Vijay, âgé de 28 ans, qu’elle aimait de tout son cœur, selon ses proches. Mais cet amour n’était pas réciproque, estiment tous ceux qui connaissaient le couple : «Quand on aime, on ne tue pas.»
Pour lui, elle avait tout abandonné, tout encaissé, sans jamais se plaindre. «Elle avait un toit, des parents qui lui offraient tout ce qu’elle voulait, des frères qui la protégeaient. Li pa ti mank nanye dan lakaz so fami», confie une proche de son bourreau. «Mais elle a tout quitté pour aller vivre avec Vijay. Je lui avais demandé à plusieurs reprises de retourner chez ses parents mais elle n’en a toujours fait qu’à sa tête. À chaque fois que je la questionnais en voyant ses bleus, elle avait toujours une excuse : des ecchymoses à cause d’une chute dans les escaliers ou encore le visage gonflé parce qu’elle avait mal dormi. Je savais qu’elle mentait mais elle n’a jamais dit qu’il la battait. Elle ne voulait pas le dénoncer parce qu’elle l’aimait.»
L’alerte a été donnée aux alentours de 19 heures, le lundi 7 mars. Interpellés par des hurlements, des voisins avaient contacté les officiers du poste de police de Bambous pour les informer d’une grave dispute entre Vinay Beekharry et Dixchita Veerapen, à leur domicile, à l’avenue Belle Isle, Bambous. Personne n’avait été en mesure d’intervenir car la porte était fermée de l’intérieur. En arrivant sur place, les policiers, aidés de volontaires, ont enfoncé la porte pour s’introduire dans la maison. C’est là qu’ils sont tombés sur la jeune femme, inconsciente, portant de multiples blessures sur le corps et saignant abondamment. Son compagnon était, lui, allongé sur le sol, à côté d’elle, et était blessé au poignet gauche ; blessure qu’il se serait auto-infligée avec une paire de ciseaux.
Après avoir constaté le décès de Dixchita Veerapen, les enquêteurs ont tenté de questionner Vinay Beekharry mais il est resté silencieux. Il a été conduit à l’hôpital Victoria, à Candos, où il a été admis. Tandis que le corps sans vie de sa compagne a été transporté à la morgue. Affligés, les proches de Dixchita Veerapen ont du mal à contenir leurs larmes. «Lamour pa sipoze fer ou bat dimounn koumsa, li pa sipoze fer ou bat li ziska ou touy li», pleure Nanda, le père la jeune femme.
Dixchita Veerapen était encore mineure lorsqu’elle a fait la connaissance de cet habitant de Bambous. C’était il y a environ huit ans, quand son défunt frère Kleven avait été admis à l’hôpital Victoria, à Candos, suite à un accident de la route. «Mon fils et Vijay se sont connus là-bas car ils avaient été hospitalisés durant la même période. Lorsque Dixchita s’est rendue à l’hôpital pour rendre visite à son frère, elle s’est liée d’amitié avec lui», confie Nanda, le père de la jeune femme. D’après lui, c’est durant cette période qu’ils ont échangé leurs numéros de téléphone et ont commencé à discuter, même si Vijay Beekharry était déjà marié et avait deux enfants. «Au départ, nous ne savions pas qu’il avait quelqu’un dans sa vie. Lorsque ma fille a quitté notre toit pour aller vivre avec lui, nous pensions qu’il s’agissait d’une bonne chose pour elle, que nous pourrions bientôt organiser son mariage. Ce n’est que par la suite que nous avons appris qu’il venait de mettre fin à sa relation et avait demandé à son épouse et ses enfants de s’en aller pour pouvoir accueillir notre fille chez lui.» C’est à cet instant qu’a commencé la lente descente aux enfers de Dixchita Veerapen.
Au cours de ces huit dernières années, la jeune femme a collectionné les allées et venues entre le domicile de ses parents, à Belle-Rose, et celui de son concubin, raconte son père. «À chaque fois qu’elle venait passer plusieurs jours chez nous, elle disait que c’était parce que Vinay avait obtenu un travail de nuit. Nous soupçonnions qu’il la battait mais elle ne l’a jamais admis. Elle voulait sûrement éviter que ses frères s’en mêlent», suppose-t-il. Après chaque dispute, Dixchita se remettait avec lui au bout de quelques jours. «Nous avions l’impression que depuis qu’elle l’avait rencontré, elle avait fait de lui son monde. Vinay ne travaillait pas depuis plusieurs années à cause d’une blessure au poignet. Je lui avais pourtant proposé du boulot mais il voulait mener la belle vie, obtenir de l’argent sans faire le moindre effort. L’utilisait-il pour se droguer ? Kan zot pa ti ena kas, mo tifi ti pe vinn-la, li ti pe kasiet pou pran manze dan katora pou amenn pou li. Boug-la ti pe ras tou kas ki mo ti pe kit avek mo tifi. Mo ti pe sagrin mo tifi, mo ti pe donn li larzan pou ki boug-la pa rod fer li di tor. Pou li, zis sa boug-la ki ti konte. Elle ne prenait plus soin d’elle. Dimounn ti pe dir mwa ki pe arive li pe megri koumsa. Le plus triste, c’est qu’elle ne se souciait pas non plus de ses enfants», se désole Nanda.
L’aînée du couple est aujourd’hui âgée de 5 ans. La fillette n’a jamais vraiment vécu avec ses parents. «Kan li ti gagn so premie zanfan, nou ti al koz avek Vinay. Nou ti dir li, li bizin pran kont so zanfan me li ti pe dir : ‘‘Mo konn zis fam-la, gete ki ou pou fer me pa mo zanfan sa.’’ Mon épouse et moi avons donc pris la petite à notre charge dès son plus jeune âge. Nous savions que c’était mieux pour elle de ne pas vivre avec ses parents car ils ne pourraient pas lui donner ce dont elle avait besoin.» Le deuxième enfant de Dixchita, un garçon, est, lui, âgé de 2 ans. «Sa zanfan-la, nou pa ti mem kone kan li ti gagn li. Li ti kit li dan lopital li ti sove. Fode lopital telefonn nou lerla nou finn ale. Le personnel nous a demandé si nous pourrions le prendre à notre charge mais nous n’avions pas été en mesure de le faire car nous nous occupions déjà de sa fille. Pa ti pou ena personn kot nou pou okip li akoz nou tou ti pe travay. Personn pa ti pe rann zanfan-la vizit.» À ce jour, l’enfant se trouve toujours à l’hôpital et a été pris en charge par la Child Development Unit (CDU).
Le troisième enfant du couple, un garçon de 9 mois, il vivait, lui, avec ses parents. Des proches ont entamé des démarches pour que le frère et la belle-soeur de la victime en obtiennent la garde. Ils estiment que l’enfant, qui leur a été remis après le décès de Dixchita, était victime de maltraitance. «Nou finn trouv bann tras brile lor so ledo ek so lipie», se désolent l’entourage de la jeune femme. Tous espèrent qu’une enquête sera également initiée en ce sens.
Mais les membres de la famille Veerapen ne sont pas les seuls à avoir voulu empêcher qu’un tel drame se produise. Une des voisines du couple, ayant souhaité garder l’anonymat, confie : «Les disputes étaient fréquentes. Nou ti anvi tir tifi-la me garson-la ti pe menas nou, ti pe dir nou pa rant dan so zafer.» Elle a encore du mal à se faire à l’idée qu’un tel drame a pu survenir à quelques mètres de son domicile. «Nou ti pe trouve ki ti pe pase. Nou ti pe dir li ale, al res avek so fami, me li pa ti le. Li ti tro kontan garson-la, li ti pe fer tou pou li.» Selon notre interlocutrice, la dispute est survenue le jour fatidique, «parski Vijay ti pe fim simik». S'est-il énervé parce qu'il n'avait pas eu sa dose? De son côté, le suspect a avancé une autre version auprès des enquêteurs. «Nou pa ti atann li pou bat sa fam-la li pou touy li. Li bizin peye pou seki li finn fer li.»
Questionné sur son lit d’hôpital, Vinay Beekharry est passé aux aveux pour son crime. Il a déclaré avoir agressé sa compagne avec une barre de fer à plusieurs reprises, avant de l’étrangler. Il l’aurait également poignardée avant de tenter de mettre fin à ses jours après avoir constaté qu’elle ne respirait plus. Une autopsie a attribué le décès de cette dernière à un choc hémorragique provoqué par de multiples blessures.
Durant son interrogatoire, le mardi 8 mars, le jeune homme a expliqué qu’il soupçonnait Dixchita de lui être infidèle car elle avait mis plus de temps que prévu pour rentrer à la maison après avoir été récupérer de l’argent chez ses parents pour acheter du lait pour leur enfant. Il a eu l'autorisation de sortir de l'hôpital trois jours après le drame et a comparu devant le tribunal de Bambous sous une accusation provisoire de meurtre, avant d’être reconduit en cellule. Il sera à nouveau interrogé par les enquêteurs de la brigade criminelle de Bambous durant les jours à venir. La version des faits des voisins du couple devra également être recueillie.
Elle a pris la parole au Sir Harilall Vaghjee Hall, à Port-Louis, le mardi 8 mars, dans le cadre de la Journée internationale des droits de la femme. La ministre Kalpana Koonjoo-Shah a expliqué que cette journée «historique et hautement symbolique où nous célébrons la femme génère aussi certaines réflexions» et a annoncé que son ministère travaille actuellement sur «des modifications à apporter au Domestic Violence Act. Nous voulons en finir avec ce fléau qu'est la violence domestique».
Plusieurs idées sont actuellement à l'étude, notamment une thérapie pour les agresseurs afin de miser sur la prévention, mais aussi un logement provisoire pour les victimes se retrouvant dans l'obligation d'abandonner le toit conjugal.
Publicité