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Double meurtre de Camp-de-Masque-Pavé : Kiran et Ravi, les parents de Yeshna : «On nage en plein cauchemar»

7 mars 2016

Ravi, Veer et Asha pleurent la disparition de leur mère Reshma.

«Il se passe quelque chose à ton domicile à Maurice. Appelle pour voir ce qu’il en est…»  Il est presque 18 heures en Australie lorsqu’une voix, au téléphone, transmet une nouvelle pas très claire à Ravi. Inquiet, ce dernier, qui vient à peine de rentrer de son boulot de mécanicien, compose tout de suite le numéro de portable de sa fille Yeshna. Aucune réponse. Il fait alors celui de sa mère Reshma qui, depuis qu’il s’est installé en Australie il y a deux ans avec sa femme Kiran, se charge de la garde de ses deux enfants : Yeshna, 13 ans, et Tushal, 11 ans. Là encore, personne ne décroche.

 

«À Camp-de-Masque-Pavé, on a souvent des problèmes de réseau. J’ai dit à ma femme de les rappeler et, entre-temps, je suis allé au supermarché», confie Ravi d’une voix sourde. Quelques minutes plus tard, alors qu’il est sur le chemin du retour, il reçoit un deuxième appel téléphonique d’un de ses amis installé à Melbourne. «Il avait eu des nouvelles d’un autre proche qui se trouvait en Angleterre et qui avait lu des informations sur Internet concernant ce qui se passait chez moi. Mon ami m’a juste dit qu’il y avait plein de policiers chez moi et que quelque chose de grave s’était produit.» Des bribes d’informations qui le plongent dans une angoisse indescriptible, insoutenable.

 

«Pour savoir ce qui se passait, nous avons téléphoné à la mère de ma femme. C’est elle qui nous a appris le décès de notre fille, morte égorgée.»La nouvelle tombe comme une bombe sur un champ de bataille. Tout s’embrouille dans leur tête et leur cœur. Leur ciel disparaît tout à coup sous un épais nuage. Mais ils ne sont pas encore au bout de leur peine. Près de deux heures plus tard, leur immense douleur s’accentue davantage en apprenant que Reshma, la mère de Ravi, a également été tuée et que leur fils Tushal, agressé lui aussi, est entre la vie et la mort en salle d’opération. Le meurtrier n’est autre qu’un jeune de la localité, âgé de 17 ans, qui serait amoureux de Yeshna. Le monde du couple Rughoobin, à des milliers de kilomètres de son pays natal, s’écroule. Sans qu’il n’arrive à comprendre comment et pourquoi…

 

«J’ai tout perdu»

 

«C’était terrible. Je ne peux expliquer ce que j’ai ressenti à ce moment-là. J’avais comme l’impression qu’on m’arrachait le cœur», lance Kiran, les yeux remplis de larmes, assise sur une chaise, dans la maison même où l’horreur s’est produite le vendredi 26 février. La douleur de cette mère transparaît à travers tout son être. Assis lui aussi dans le petit salon, Sooresh Rughoobin, l’époux de Reshma et grand-père paternelle de Yeshna, ne peut contenir ses émotions. Son corps blotti dans une chaise, son souffle entrecoupé de sanglots, il lâche : «J’ai tout perdu. Mo enn zero aster…»Ses trois enfants, Asha, Veer et Ravi, se précipitent alors vers lui et le consolent comme ils peuvent. La famille est le seul vrai refuge de ce petit monde dans cette tempête qui ne peut pas se calmer.

 

Ravi et Kiran continuent le récit de ce jour noir où ils ont appris la plus horrible nouvelle de toute leur vie. Encore sous le choc, ils doivent néanmoins se lancer dans des démarches en vue de rentrer le plus vite possible à Maurice. Entre-temps, la solidarité mauricienne s’organise au pays des kangourous après que la nouvelle s’est propagée comme une traînée de poudre. «Nous avons pris quelques affaires et rassemblé l’argent nécessaire pour payer un aller simple. À l’aéroport, des Mauriciens installés en Australie sont venus à notre rencontre et nous ont soutenus. Mais c’était très difficile aussi car il n’y avait pas de place disponible pour tout le monde sur le dernier vol à destination de Maurice ce soir-là. Ma sœur et mon frère, qui vivent aussi en Australie avec leurs partenaires respectifs, devaient aussi rentrer au pays», relate Ravi.

 

Dans la panique et le bouleversement total, il en oublie même leur valise dans la voiture qui les dépose à l’aéroport. «On nageait en plein cauchemar. Et c’est toujours le cas. Mais Dieu merci, notre fils est hors de danger. Il parle. Il va mieux de jour en jour. Il cherche sa sœur et sa grand-mère, demande de leurs nouvelles. Il ne sait toujours pas qu’elles ne sont plus de ce monde», explique Kiran, complètement bouleversée. D’ailleurs, dès que son époux et elle ont débarqué à Maurice, ils sont se rendus directement à l’hôpital de Flacq pour s’enquérir de la santé de leur petit Tushal, le seul rescapé de ce drame sanglant qui a bouleversé tout le pays.

 

Et dire que Ravi et Kiran rêvaient d’un avenir radieux pour eux et leurs enfants au pays des Kangourous. C’était une question de jours avant que le rêve australien du couple se concrétise. Installés là-bas depuis deux ans, ils attendaient avec impatience l’arrivée de leurs deux enfants pour compléter leur bonheur.«Presque toutes les démarches administratives avaient été complétées en vue de l’arrivée de nos enfants en Australie. De novembre 2014 à janvier 2015, ils étaient en vacances en Australie et avaient beaucoup aimé. Comme nous, ils attendaient impatiemment de nous rejoindre et d’y poursuivre leurs études», poursuit Ravi. Il avance que sa mère Reshma et son père Sooresh comptaient eux aussi s’installer en Australie, aux côtés de leurs enfants. 

 

«La vie doit continuer»

 

En attendant, c’est à travers Skypeet des appels téléphoniques que Kiran et son époux maintenaient les liens avec leurs enfants et leurs parents. «J’ai parlé à ma fille pour la dernière fois la veille de sa mort, soit jeudi soir. Elle me disait qu’elle avait une inflammation de la gorge et qu’elle avait du mal à manger. Mais la communication était mauvaise et on s’est parlées brièvement. On s’était promis de se contacter sur Skypele samedi suivant», confie Kiran. Hélas, ce jour-là n’est jamais arrivé.

 

«Aujourd’hui, on s’accroche de toutes nos forces à notre fils Tushal. Il a esquissé un petit sourire sur son lit d’hôpital le mardi 1er mars et cela m’a donné du courage. La vie doit continuer, malgré tout. Mais on ne pourra jamais pardonner à ce meurtrier qui a pris la vie de deux de nos proches. Il mérite la peine de mort», disent Kiran et Ravi.

 

Pour eux, il est impossible de se projeter dans l’avenir sans leur petite Yeshna. Une fille tellement pleine de joie de vivre et qui savait ce qu’elle voulait faire dans la vie. À seulement 13 ans, l’adolescente ambitionnait de devenir enseignante. «Elle a toujours été une fille exemplaire et respectueuse. Je la revois, enfant, installant ses peluches sur un banc dans sa chambre. Avec mes chaussures à talons, jouant à la maîtresse. Elle disait toujours qu’elle voulait devenir enseignante.»

 

Ravi se souvient aussi de l’assassin de sa fille et de sa mère comme d’un petit garçon à l’air renfermé, presque inoffensif. «Je l’ai vu grandir. Je le croisais parfois dans la rue. Difficile de croire qu’il a fait une chose pareille. Je ne connais pas sa vie, mais ce qu’il a fait est impardonnable. Ma fille aurait fêté ses 14 ans le 16 mai.»

 

Un douloureux anniversaire qui sera hélas marqué par la douleur que vivent les Rughoobin. Pour l’heure, Kiran et Ravi se concentrent sur le rétablissement de leur petit Tushal qui rentrera en Australie avec ses parents une fois qu’il sera complètement rétabli. Pour ses parents, il n’est pas question, ne serait-ce une seule minute, de le laisser tout seul ici. «On ne reconnaît plus notre pays», concluent-ils tristement.

 


 

Tushal, l’unique rescapé du drame, raconte l’horreur

 

Selon ses médecins, Tushal Rughoobin, 11 ans, l’unique rescapé du drame de Camp-de-Masque-Pavé, est hors de danger. De ce fait, le mercredi 2 mars, il a raconté à la police, en présence de ses parents, ce qui s’est passé le vendredi 26 février à son domicile. «Il a expliqué aux policiers qu’il a vu le meurtrier dans notre maison à Camp-de-Masque-Pavé à sa sortie de l’école. Ce dernier s’est jeté sur lui et l’a agressé avec une arme tranchante. Pour avoir la vie sauve, il a dû faire semblant d’être mort pendant de longues minutes», raconte Kiran, la mère de Tushal.

 

Elle avance que ce jour-là, son fils était rentré plus tôt que prévu car il n’avait pas pris le school bus. «Il avait grimpé dans un autobus privé qui dessert le trajet de Camp-de-Masque Pavé.» Yeshna est rentrée une vingtaine de minutes plus tard. «Lorsque sa sœur est arrivée, le meurtrier s’est jeté sur elle et l’a agressée avec une arme tranchante. C’est à ce moment-là que, pour défendre sa sœur, Tushal s’est levé et a pu s’enfuir pour aller chercher de l’aide.» À la police, le petit a affirmé qu’il avait pour habitude de croiser le présumé meurtrier dans le quartier. Ce dernier, un ado de 17 ans, a tenté de se donner la mort après avoir commis son forfait. Il est toujours admis à l’hôpital mais serait hors de danger. La police continue son enquête.

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