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14 mars 2023 03:49
«Je suis révolté. J'ai eu très peur. J'ai vu qu'on avait frôlé une catastrophe humaine...» C'est avec ces mots sur sa page Facebook qu'Allan Wright a exprimé son inquiétude devant les inondations à Port-Louis ce lundi 6 mars, accompagnant sa publication d’images impressionnantes. Il était là, il a vu l'eau monter dans plusieurs endroits et il a frissonné : «J'ai prié le Père divin pour demander que les événements du 30 mars 2013 ne se répètent pas. Les parents des victimes sont toujours en deuil...»
En ce lundi, la vue de Port-Louis sous les eaux – 174,6 mm d'eau en seulement 24 heures – a ramené Allan Wright 10 ans en arrière, quand sa vie ainsi que celle des familles des autres victimes et de tous les Mauriciens ont basculé dans l'horreur. En ce tragique 30 mars 2013, plus de 152 mm de pluie s’étaient abattus sur la capitale en moins de 90 minutes, provoquant des flash floods qui avaient submergé la ville et tué 11 personnes, dont son épouse Sylvia et son fils Jeffrey, qui travaillaient alors dans le tunnel du Caudan Waterfront. Un triste événement qui hante encore les esprits et fait planer la crainte qu'une telle tragédie se reproduise à chaque grosse pluie.
Au début de cette semaine, donc, Port-Louis et des régions avoisinantes – D’Epinay, Pamplemousses, Riche-Terre, Terre-Rouge, entre autres – ont fait face encore une fois à des inondations. Sur les réseaux sociaux, des internautes ont partagé des clichés impressionnants de la situation dans leur localité. À Sainte-Croix, un drame a été évité quand un homme de 49 ans a ainsi été secouru in extremis sur un site de construction. Le conteneur dans lequel il se trouvait avait été emporté par une soudaine montée des eaux. Routes obstruées, accumulations d'eau ou circulation perturbée, ces pluies abondantes font remonter à la surface les problèmes de drains saturés, de pollution environnementale ou encore de constructions qui ne respectent pas les normes et contribuent aux inondations en temps de fortes averses. Un phénomène qui n’est pas inédit et qui, selon des professionnels, risque de devenir récurrent et plus conséquent avec le problème du bouleversement climatique.
Et ce constat interpelle Allan Wright qui vit un mal-être profond à chaque grosse averse, surtout en mars : «Jusqu'à présent, on n'arrive pas à faire notre deuil, surtout qu'il n'y a pas eu de remedial solution pour permettre aux proches des victimes de se sentir apaisés.» Et vivre les inondations de Port-Louis ce lundi 6 mars l’a terriblement bouleversé. «La coïncidence a voulu que je sois à Port-Louis. J'avais un rendez-vous avec un ami qui a un magasin. Je viens généralement lui donner un petit coup de main, puis je quitte Port-Louis. Finalement, quand j'ai quitté chez lui, je me suis retrouvé au coeur des fortes pluies. Ce que j'ai vu, ce qui s'est passé ce lundi, peut être comparé à ce qui est arrivé le 30 mars 2013. Il y a eu des grosses pluies et très vite, Port-Louis s'est retrouvé submergé. Il n'y a pas de différence», nous dit-il, en pesant chacun de ses mots.
C'est toujours avec émotion qu'il parle du drame qui marquera, dit-il, à jamais sa vie : «Ces inondations viennent de la terre, pas de la mer. J’ai observé que l'eau arrive de toutes ces artères de la capitale. Delo-la desann vini ek li diriz li ver enn mem lie. Mon constat, c'est que tout ce qui a été investi pour prévenir les inondations n'a mené à rien. L’eau a commencé à s'accumuler en quelques minutes de pluie. J'ai observé ce qui se passait à l'entrée du tunnel du Caudan et j'ai vu l'eau monter. Mon combat, ce n'est pas pour avoir de l'argent. Je ne veux tout simplement pas que d'autres personnes perdent la vie dans les mêmes conditions que ma femme et mon fils. Je ne veux pas que d'autres familles vivent la même chose.»
Il y a de la tristesse dans sa voix mais aussi de la révolte, de la colère. «Quand j'ai vu qu'il n'y avait pas de changements concernant le problème d'accumulation d'eau à Port-Louis, j'ai été révolté. J'ai aussi prié. J'ai demandé à Dieu de nous épargner. Les autorités disent qu'il y a eu du travail, qu’elles font des efforts, investissent des milliards, mais je ne vois aucun résultat. Pour moi, il faudrait revoir le mode de fonctionnement de la Land Drainage Authority. Il faut que les ingénieurs soient sur le terrain pour des observations, pour étudier ce qui se passe au moment des pluies. Il ne s'agit pas que de mettre des drains. Ce que j'ai pu observer aussi, c'est la quantité importante de détritus qui remontaient à la surface avec les eaux. La force civile a aussi une grande responsabilité concernant la pollution. Et les personnes à la tête des institutions doivent prendre leurs responsabilités», s'insurge celui qui, depuis 2013, mène une croisade au nom des familles des victimes.
Pour lui, comme pour d'autres personnes qui ont perdu un proche dans les inondations du 30 mars, le deuil est difficile à faire. «J'ai l'impression que je suis en remand ; un remand du deuil sans apaisement. Concernant mon combat, nous sommes toujours en attente d'un dédommagement. J'ai compris que la balle est dans le camp des assurances et pendant ce temps, nous, les familles des victimes, attendons toujours. Il ne s'agit pas d'argent mais surtout de justice. Ceux qui sont décédés ne l'ont pas choisi. Ils n'ont pas été imprudents. On attend toujours une réparation», poursuit Allan Wright pour qui le 30 mars prochain sera un autre jour pénible à vivre. «Je suis encore en contact avec les proches des victimes qui, comme moi, sont toujours affectés. Pour ma part, je ne peux pas traverser le tunnel du Caudan. C'est impossible pour moi. Quand je passe en voiture, je me dois de faire un signe de la croix. C'est mon épouse et mon fils qui veillent sur moi et me donnent la force de continuer à me battre. On marquera forcément la journée du 30 mars par quelque chose de spécial», conclut-il, un sanglot dans la voix...
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