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Elle décède d’un cancer : Sandra O’Reilly, l’ultime combat d’une «femme courageuse»

30 août 2018

Lors du baptème de son dernier fils, avec sa famille.

Elle lui a tenu tête jusqu’au bout. Sans jamais fléchir. Sans jamais baisser les bras. Face à la douleur, face à son cancer au stade avancé aux poumons qui la rongeait depuis un peu plus de cinq mois et qui, malheureusement, a pris le dessus sur elle, le mercredi 22 août, quand elle s’est éteinte, Sandra O’Reilly, 48 ans, mère de quatre enfants (dont un est décédé), est restée digne dans la douleur. Comme ce matin du 25 juillet 2004, en cour, lorsqu’elle a regardé droit dans les yeux ses agresseurs, coupables du double viol collectif dont elle avait été victime le 16 juillet 2002. Une triste, horrible et révoltante histoire qui l’a projetée sur le devant de la scène. Tant elle s’est battue, tant elle a remué ciel et terre, au nom de toutes les femmes violentées, pour que justice soit faite.

 

«Sandra la forte», «Sandra la déterminée»… Des mots qui reviennent sans cesse quand ses proches parlent d’elle. «Elle était pleine de vie. Elle croquait la vie à pleines dents», confie Jean-Jacques Cervello, conjoint de Sandra O’Reilly et père de son dernier-né, Nathan, 2 ans, que nous rencontrons dans la maison familiale à Tamarin.

 

À ses côtés : Marine, la fille de Sandra, qui, comme les autres membres de la famille, se remet de ces derniers jours pénibles, riches en émotions. Le jeudi 23 août, c’est en l’église de St-Augustin, à Rivière-Noire, qu’ils ont rendu hommage à celle que beaucoup décrivent comme «une femme courageuse» qui a dû faire face à plusieurs épreuves tout au long de sa vie. Entre des instants ponctués de silences – au moment de raconter les moments difficiles de ces derniers mois – et d’autres plus joyeux pour les souvenirs heureux, c’est avec beaucoup d’amour que Jean-Jacques Cervello et Marine racontent celle qui illuminait un lieu dès qu’elle s’y trouvait.

 

«Quand je pense à ma mère, je pense surtout à son ouverture d’esprit, sa positivité et son mental de fonceuse. Elle n’était pas le genre de mère à imposer des règles ou encore des punitions. Par contre, la confiance était très importante pour elle. Elle nous faisait confiance et s’attendait qu’on ne la déçoive pas. Puis, comment ne pas parler de sa force. Car des obstacles, elle en a connu beaucoup mais elle n’a jamais capitulé», nous déclare Marine, esquissant un sourire en parlant de sa mère. Celle qui, dit-elle, avait aussi un grand sens de l’humour. «Elle pouvait raconter une blague en restant sérieuse, faisait souvent des jeux de mots et aimait la dérision. Elle avait aussi un rire et un sourire tellement contagieux…»

 

À l’image de ce cliché d’elle, posté sur Facebook pour annoncer ses funérailles. Le visage illuminé, les yeux tournés vers le ciel et jouant avec des bulles de savon, Sandra O’Reilly aimait, selon ses proches, les plaisirs simples. «Cette photo la symbolise tellement. En plus, elle est très belle dessus. Cet instant immortalise parfaitement la personne qu’elle était. Elle pouvait être une vraie gamine quand elle le voulait», ajoute Marine, sous le regard de Jean-Jacques Cervello. Ce dernier  reconnaît aussi la simplicité de la mère de son fils : «Elle avait définitivement un lien très fort avec la nature. Elle adorait se réveiller tôt pour contempler le lever du soleil. Elle aimait aussi beaucoup marcher et respirer l’air pur.» Et Marine d’ajouter : «Elle menait une vie très saine, ne buvait pas, ne fumait pas et malgré cela, le cancer s’est invité dans sa vie.»

 

«Elle gardait le sourire»

 

Face à la terrible nouvelle qui est tombée en avril, Sandra O’Reilly ne s’est jamais apitoyée sur son sort, raconte son entourage. Pas de découragement. Point de lamentation. Après un double viol collectif, les épreuves des comparutions en cour, le décès de son fils Florent à 22 ans dans un accident de la route à Tamarin, la perte d’un enfant, un fils, Lucas, à quatre mois de grossesse, juste avant de tomber enceinte de son dernier, le décès de son frère Alain O’Reilly et la perte de son emploi – elle travaillait dans le marketing et la publicité –, elle tenait toujours bon. «Elle intériorisait beaucoup ses émotions. Elle n’a jamais pleuré devant nous après le décès de Florent», se rappelle Jean-Jacques. Pour illustrer la force de caractère de sa mère, Marine met en avant la façon dont elle a géré le fait de se retrouver sans emploi : «Elle gardait le sourire et disait à chaque fois que s’il y a une porte qui se ferme, une autre s’ouvrira.»

 

Étant encore gamine quand l’affaire du double viol de sa mère a éclaté, Marine ne se souvient pas trop de ce sombre épisode : «On a voulu me préserver de tout ce traumatisme.» Mais elle est au courant de toute l’histoire : de la lutte acharnée de sa  mère pour que les coupables payent pour ce qu’ils lui ont fait, de ses prises de position et de son engagement contre la violence envers les femmes, ou encore de la marche pacifique que sa mère a organisée pour dire «oui» à la tolérance, à la solidarité et à la paix et pour dénoncer toutes les formes de violence. «Elle savait ce qu’elle voulait», souligne Marine.

 

Elle a aussi vu sa mère s’épanouir au fil des années et toucher à tout, ou presque : entre la politique – elle était candidate du PMSD, au Ward 3, à Curepipe, en 2005 pour les élections municipales  –, le théâtre – elle a joué le rôle de la mère de Bernadette dans la pièce Il était une fois Bernadette Soubirous de Lourdes –, ou encore son expérience en tant que chanteuse dans le spectacle Les Enfants d’un Rêve. «Elle était tout cela à la fois. Elle ne reculait devant rien et se donnait à fond dans tout ce qu’elle entreprenait», confie Marine qui ne peut pas ne pas penser aux derniers moments de sa mère. «La maladie a progressé très vite et son état de santé s’est détérioré rapidement», précise Jean-Jacques Cervello.

 

Il s’en souvient parfaitement. Tout a commencé avec des toux et des douleurs musculaires. «On croyait que c’était des allergies ou encore de simples courbatures», raconte-t-il. Puis, tout s’est enchaîné : «On a été voir des médecins et elle a effectué une série de tests.» Le terrible diagnostic est vite tombé. Le 9 avril, Jean-Jacques et sa compagne mettent alors le cap sur l’île de La Réunion où la terrible nouvelle est confirmée, tout comme la gravité de son cas. «On est rentrés au pays et l’état physique de Sandra s’est dégradé davantage. Une fois rentrée à Maurice, elle a commencé le traitement par chimiothérapie mais elle a dû tout arrêter au bout de la deuxième session, les effets secondaires étant trop conséquents.»

 

Sandra, se souvient Jean-Jacques, quoi que très affaiblie, s’accrochait. «Elle n’a jamais abandonné», souligne notre interlocuteur. Il raconte aussi les dernières semaines de Sandra en Afrique du Sud où ils sont allés chercher des soins pour la soulager à travers un traitement expérimental. «On est retournés au pays  lundi dernier et elle était très affaiblie», poursuit Jean-Jacques. Quand elle a fermé à jamais les yeux, mercredi, toute la famille et lui ont promis de respecter ses dernières volontés, soit de «conserver l’esprit familial» et de veiller sur Nathan, qu’elle n’aura pas la chance de voir grandir.

 

Aujourd’hui, dimanche 26 août, c’est dans un lieu très spécial, un endroit qu’elle affectionnait particulièrement en pleine nature, que ses cendres seront dispersées comme elle l’avait décidé. Elle qui a été courageuse, jusqu’au bout.

 


 

En 2003, elle est élue «Mauricienne de l’année» par 5-Plus dimanche

 

 

C’est pour récompenser les Mauriciens qui ont fait preuve de courage en 2002 que 5-Plus dimanche a décerné le titre de Mauricien et Mauricienne de l’année à Nicolas Ritter et Sandra O’Reilly. De noubreuses lettres à la rédaction ont souligné le courage et la détermination de Sandra O’Reilly, décrite comme «un modèle d’espoir».

 

Une pluie d’hommages

 

Depuis l’annonce du décès de Sandra O’Reilly, ils sont été nombreux, sur Facebook, à lui rendre hommage. Anonymes ou personnes connues, tout comme ceux qui l’ont côtoyée, soulignent tous la grande battante qu’elle était. «Elle s’est aussi battue contre le cancer jusqu’au dernier moment. Elle a lutté pour les gens qu’elle aimait. L’image que je garderai d’elle, c’était un 31 décembre sur un catamaran dans la baie de Grand-Baie. On était entre amis. C’était, je pense, sa première sortie après le terrible moment de 2002. On s’est amusés et on a rigolé toute la soirée. Je veux justement garder cette image d’elle : heureuse et joyeuse», confie Bruno Napaul qui l’a côtoyée.

 


 

Elle a dit…

 

Depuis qu’elle s’est retrouvée sous les feux des projecteurs après le double viol collectif dont elle a été victime, Sandra O’Reilly n’a cessé de prendre la parole pour dénoncer toutes les formes de violence. Ci-dessous, quelques extraits d’interviews qu’elle avait accordées à 5-Plus dimanche.

 

 

1er août 2004 : «Je peux crier victoire car le crime a été mis au grand jour, je peux crier victoire parce que la loi a été changée et là, je pense surtout aux autres victimes de viol.»

 

8 août 2004 : «Il y a un manque de conscientisation. Il faut former des psychologues. L’approche envers les victimes doit être revue. Il y a un gros travail à faire, entre autres, l’accueil à l’hôpital, l’approche des policiers et l’avenir de la victime. Il n’y a aucun respect pour les victimes dans certains cas car on se permet de les juger.»

 

8 juin 2006 : «Le problème de viol est très complexe. Il faut tout faire et non pas uniquement dire des choses pour faire reculer ces violences. Il faut des actions concrètes et c’est seulement alors qu’on arrivera à des résultats. Je reste quand même optimiste et j’espère qu’un jour, il y aura un gouvernement clairvoyant qui s’attaquera aux problèmes concernant la violence et qui fera bouger les choses. Il ne faut pas traiter ces problèmes uniquement en surface.»

 

16 juillet 2006 (quatre ans après son agression) : «C’est une date très symbolique pour moi. Mais mon esprit est serein. Quand un crime violent a lieu dans le pays, trop d’associations montent au créneau avec agressivité. Or, moi, je fais un appel pour que chacun fasse un travail individuel car nous vivons tous en société et il faut apprendre à vivre avec les autres. Selon moi, cela peut très bien faire diminuer toutes les formes de violence.»

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