Publicité

Elle a été assassinée lors du cambriolage de sa maison : hommages émouvants à Razeeyah Nuther Saib, 70 ans

31 mars 2024

Le corps sans vie de la septuagénaire a été retrouvé dans sa maison quelques jours après le vol.

L’insécurité chez les personnes âgées est un problème social qui, jusqu’ici, ne retenait pas suffisamment l’attention. Depuis le début de l’année, soit en l’espace de seulement trois mois, plus d’une dizaine d’agressions mortelles ont été recensées à travers l’île ; des chiffres qui donnent froid dans le dos. Si les raisons ayant conduit à ces tragédies n’avaient, dans bien des cas, rien en commun, il s’avère que les trois dernières victimes ont toutes été tuées dans des circonstances et pour des raisons quasi similaires. Elles sont Said Fakeermahamode, 63 ans, le Suisse Mark Henry Collaud, 75 ans, et plus récemment, Razeeyah Nuther Saib, 70 ans ; toutes attaquées à leur domicile par des individus qui en voulaient à leurs biens.

 

Ces tragiques et terribles disparitions ayant fait la Une de l’actualité ont aujourd’hui, plus que jamais, augmenté le sentiment d’insécurité et de terreur qui régnait déjà chez nos seniors. Les mesures existantes pour les protéger sont-elles efficaces ? L’aggravation inquiétante du nombre de délits commis contre les personnes âgées tend à laisser supposer le contraire.

 

C'est la consternation à Boundary Road, Trèfles, Rose-Hill, après le décès tragique de Razeeyah Nuther Saib. Quelques jours plus tôt, relate une habitante, la septuagénaire avait pourtant été aperçue quittant son domicile comme tous les matins. «Elle était très active malgré son âge. Nous la voyions toujours passer lorsqu’elle allait faire sa marche habituelle. Elle était en pleine forme.» Lorsque les forces de l’ordre se sont massées devant sa demeure dans l’après-midi du mercredi 27 mars, les voisins de cette dame de 70 ans ont eu beaucoup de mal à croire ce qui lui était arrivé. Elle occupait le rez-de-chaussée de sa maison, mais cela faisait plusieurs jours que ses voisins s’inquiétaient de ne plus avoir de ses nouvelles. Ils l’ont appelée à travers les fenêtres coulissantes laissées ouvertes, sans résultat. Ils ont ainsi préféré alerter la police pour que celle-ci s’enquiert de la situation, d’autant qu’une odeur nauséabonde émanait de la maison.

 

Il était environ 17 heures lorsque les officiers sont arrivés sur place. Avant même de mettre les pieds à l’intérieur, ils ont constaté que quelque chose ne tournait pas rond. Non seulement ont-ils constaté, à travers les vitres, que la maison semblait sens dessus-dessous et qu’une odeur épouvantable rendait l’air irrespirable, mais la voiture de la septuagénaire était également introuvable. Ils n’ont eu aucun mal à accéder à l’intérieur vu que les portes et les fenêtres n’étaient pas verrouillées. Leurs soupçons d’un acte malveillant se sont confirmés lorsqu’ils ont découvert le corps inerte de la victime, dans l’une des pièces dont le sol était maculé de sang. Razeeyah Nuther Saib ne respirait déjà plus. Aussitôt, les lieux ont été bouclés pour que les limiers du Scene of Crime Office (SOCO) puissent y recueillir des indices. La dépouille de la victime a, quant à elle, été transférée à la morgue pour qu’une autopsie soit pratiquée.

 

La triste et douloureuse nouvelle de son décès s’est répandue comme une traînée de poudre, pas seulement dans son quartier, mais aussi à travers l’île, suscitant le choc et la peur chez nos aînés. Pour cause, Razeeyah Nuther Saib est la troisième personne âgée ayant perdu la vie dans d’atroces circonstances suite à un vol en l’espace de moins d’une semaine. Depuis, les membres du public sont nombreux à émettre des suppositions quant aux motifs derrière cette soudaine recrudescence de délits commis contre nos seniors. Dans la plupart des cas, beaucoup estiment que la récente hausse des pensions de vieillesse ne fait que les rendre plus vulnérables dans une société où la toxicomanie et l’addiction aux substances illicites continuent de prendre de l’ampleur. Une voisine de Razeeyah Nuther Said souligne, par ailleurs, que «c’est d’autant plus choquant qu’elle a été attaquée alors que sa maison est entourée de commerces et se situe sur une route très fréquentée. Cela démontre que rien n’arrête les voleurs».

 

Une vie trépidante

 

Razeeyah Nuther Said était très populaire, notamment parce qu’elle a eu une riche carrière dans le domaine de l’éducation. Elle a été enseignante, maîtresse d’école et inspectrice avant de prendre sa retraite. Cela ne l’a, néanmoins, pas empêché de maintenir une vie trépidante. Très sportive, elle participait régulièrement à des trails. D’ailleurs, c’est avec «le coeur lourd» que Charles Cartier, CEO d’Air Mauritius, lui a rendu hommage sur sa page Facebook. Il relate avoir eu l’honneur de coacher la septuagénaire en course à pieds et en trail, et qu’«elle avait un caractère de fer et se sentait bien avec les sportifs plus jeunes qu’elle parce qu’elle avait un niveau d’énergie exceptionnel pour son âge». Il n’est pas le seul à chanter les louanges de Razeeyah Nuther Said. Une autre internaute avance : «Elle était notre partenaire de gym au stade municipal de Quatre-Bornes ; une dame très énergique et sportive malgré son âge. Elle ne ratait jamais une séance de jogging ou de piscine. Elle avait toujours des petits conseils nutritionnels ou sportifs à partager.»

 

Il semblerait que Razeeyah Nuther Saib n’avait pas seulement une santé de fer mais aussi un grand coeur. «Elle aimait nourrir les chiens errants. Elle se munissait souvent de croquettes, d’eau ou de nourriture pour les distribuer aux chiens qu’elle croisait. Elle était d’une grande générosité», lâche une amie de la dame. Lorsque le temps le lui permettait, elle faisait également de la couture dans un centre à Floréal. Séparée depuis plusieurs années, la septuagénaire avait deux fils, dont l’un vit à l’étranger. Bouleversé après avoir appris la disparition tragique de sa mère, ce dernier n’a pas souhaité faire de commentaires pour l’heure, étant bien trop affligé par cette douloureuse perte. À cause de l’état de décomposition avancé du corps, les rites funéraires ont eu lieu très rapidement, ne lui offrant pas la possibilité de rentrer au pays pour la cérémonie. Celles-ci ont eu lieu peu après midi, le jeudi 28 mars, en présence des proches et amis de la victime.

 

L’enquête policière a, par ailleurs, conduit à l’arrestation d’un premier suspect quelques heures seulement après le drame. Il s’agit de Jansen Kervin Somadoo, un sans-domicile-fixe âgé de 24 ans. Il a été aperçu sur les images des caméras Safe City au volant de la voiture de la victime à Camp-Levieux, Bambous et Flic-en-Flac notamment. Appréhendé par les enquêteurs de la Criminal Investigation Division (CID) de Rose-Hill et de la Major Crime Investigation Team (MCIT), il a avoué le crime dans un premier temps. Il a d’abord raconté qu’il s’était introduit chez la septuagénaire le 23 mars pour y commettre un vol. Lorsque celle-ci l’a surpris et a tenté de se défendre ; il l’aurait alors sauvagement agressée, lui ôtant la vie. L’autopsie pratiquée par le Dr Sudesh Kumar Gungadin, chef du département médicolégal de la police, a attribué le décès de la victime à une strangulation.

 

Lorsque son interrogatoire s’est poursuivi, Kervin Somadoo a raconté s’être introduit chez Razeeyah Nuther Saib à trois reprises dans le passé sans se faire prendre. Il aurait même déjà emporté son téléviseur. Le jour où il a finalement été pris en flagrant délit, a-t-il déclaré, il l’a tuée et a, cette fois, volé sa voiture. Il a restitué les clés dudit véhicule – une Toyota Yaris blanche immatriculée 1461 FB 17 – à la police. Il l'avait abandonnée à Blue Lane, à seulement quelques mètres du domicile de la victime. Le jeudi 28 mars, il a comparu devant le tribunal de Rose-Hill sous une accusation provisoire de meurtre avant d’être reconduit en cellule, la police ayant objecté à sa remise en liberté. C’était sans compter qu’il finirait par se rétracter pour accuser sa demi-soeur Jemila Sylvio, âgée de 19 ans. Cette dernière ne serait nulle autre que la locataire de la victime. Arrêtée, elle nie les faits qui lui sont reprochés, avançant que le jeune homme chercherait à se venger d’elle. Une accusation provisoire de meurtre a aussi été logée contre elle.

 

À ce stade, les enquêteurs n’écartent pas la possibilité que Kervin Somadoo aurait tenté de couvrir sa soeur pour ce crime et qu’il aurait pris ledit véhicule pour brouiller les pistes. Son interrogatoire se poursuivait à l’heure où nous mettions sous presse.

 

Dr Pascale Dinan, présidente de la FIAPA  : «Il est nécessaire d’assurer leur sécurité, mais le problème est beaucoup plus profond...»

 

La situation est inquiétante, alarmante… Pour le Dr Pascale Dinan, présidente de la Fédération Internationale des Associations de Personnes Agées (FIAPA), «il nous faut aller beaucoup plus loin qu’apporter des conseils à nos aînés. Nous sommes en train de panser, de réagir au quart de tour lorsque survient un drame, mais nous ne faisons que tout accumuler». Le travail doit être fait à différents niveaux, selon notre interlocutrice : «Au niveau de nos gouvernants, des pouvoirs publics, de la société – le regard que l’on porte sur nos seniors –, des familles – comment entretenir le lien à intergénérationnel avec nos personnes âgées et le regard que nous portons sur eux. Il est certainement nécessaire d’assurer leur sécurité, mais le problème est beaucoup plus profond et va au-delà de leur apporter des conseils. » Elle s’interroge : «Que peut-on leur conseiller ? De rester enfermés chez eux, d’installer des caméras, de signaler tout mouvement suspect ou d’installer des téléalarmes ? C’est vraiment un problème de fond de la société ; il faut se poser les bonnes questions. C’est à chacun de prendre ses responsabilités par rapport à ce qui se passe.» Pour le Dr Pascale Dinan, «c’est une dérive de la vie en commun, de la société, par rapport à des valeurs communes que nous devrions avoir dans ce pays, que nous avions pourtant autrefois».

 

(NdlR : L’ONG a organisé des colloques internationaux en 2014 – avec la Société française de gériatrie et le ministère de la Sécurité sociale – et en 2022 – avec le CommonAge et le ministère de la Sécurité sociale. Le public est invité à consulter le site internet de FIAPA (fiapa.mu) où des documents relatifs aux droits et à la bientraitance des personnes âgées sont disponibles.)

 

Inspecteur Shiva Coothen du Police Press Office  : «Favoriser les nouvelles technologies pour prévenir et lutter contre les crimes...»

 

Il ne souhaite pas que les médias et le public véhiculent des rumeurs selon lesquelles l’augmentation des pensions serait la cause des récents délits commis à l’encontre des personnes âgées. L’inspecteur Shiva Coothen, du Police Press Office, fait ressortir que dans les trois cas, le facteur commun est le fait que les suspects appréhendés connaissaient les habitudes de leur victime et pouvaient facilement avoir accès à leur domicile. Ses recommandations sont les suivantes : «Il ne faut pas ouvrir la porte à des inconnus. C’est courant, les personnes âgées sollicitent souvent les services d’étrangers pour des travaux. Il faut absolument cesser ces habitudes ou exiger la présence d’un membre de la famille lors de telles activités.» Il conseille aussi aux membres du public, qu’ils soient jeunes ou moins jeunes, de ne pas garder beaucoup d’argent liquide dans la maison ou sur eux. «Avec les nouvelles technologies, ce n’est pas nécessaire.» Ceux qui ne se sont pas encore familiarisés avec les nouvelles technologies ou ne possèdent pas de cartes bancaires «peuvent se rendre à la banque pour des retraits à des heures spécifiques, mais il ne faut pas qu’ils fassent étalage de leurs possessions en public». À ceux qui vivent seuls, l’inspecteur recommande de télécharger l’application Sekirite, lancée en octobre 2022 et destinée aux personnes âgées en situation de danger. «Il faut qu’ils apprennent, avec l’aide d’un proche, comment l’utiliser. En cas de besoin, il leur suffira de presser sur un bouton pour que le Police Main Command and Control Centre soit alerté. Cela permettra aux forces de l’ordre de les localiser et de leur envoyer les ressources nécessaires.»

 

Enfin, l’inspecteur Shiva Coothen recommande aux seniors de «favoriser l’utilisation des nouvelles technologies pour prévenir et lutter contre les crimes». Il fait ressortir que «beaucoup de personnes se sont déjà plaintes à la police, contestant l’installation de caméras de surveillance chez leurs voisins et se plaignant d’être surveillés. Pourtant, de telles installations ne peuvent qu’avoir un effet dissuasif sur les malfrats. Il faut en finir avec cette mentalité et accepter que la technologie peut s’avérer très utile».  

Publicité