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Par Elodie Dalloo
6 janvier 2021 15:31
Pour beaucoup, la nouvelle année est synonyme de nouvelles résolutions et de nouveau départ. C'est dans cette optique qu'Annick Lafleur, 40 ans, avait voulu entamer 2021. Après avoir passé des années dans une relation qui ne la rendait plus heureuse, elle avait, il y a quelques semaines, pris la décision de tout recommencer à zéro.
Elle avait pris son courage à deux mains et s'était séparée du père de ses deux enfants pour pouvoir, enfin, commencer une nouvelle vie. Malheureusement, Louis Michael Carpen, son ex-compagnon de 35 ans, n'a pas voulu lui donner l'opportunité de se reconstruire sans lui. Dans la soirée du 31 décembre au 1er janvier, il l'a suivie en voiture alors qu'elle était allée faire le réveillon chez des amis à Petite-Rivière. Il a profité du fait qu'elle se soit retrouvée seule pour lui infliger un violent coup de couteau avant de prendre la fuite, la laissant se vider de son sang dans un atelier. Elle n'a pas survécu.
D'après nos recoupements d'informations, Louis Micheal Carpen, d'une jalousie maladive, lui a fait vivre un calvaire durant de nombreuses années. Certains proches avancent qu'il s'était toujours montré violent à son égard mais qu'elle n'avait jamais souhaité porter plainte. Après avoir connu une succession d'épreuves dans une relation toxique, cette habitante de Terrasson, Pointe-aux-Sables, avait espéré que l'année 2021 viendrait avec de nouvelles opportunités qui pourraient être meilleures pour elle ; hélas, elle a vite déchanté. Il était environ 3 heures du matin lorsque ses amis ont découvert son corps sans vie, maculé de sang, dans un atelier et ont alerté la police. Son décès constaté, une autopsie a attribué sa mort à une stab wound to the heart.
Pour les proches d'Annick Lafleur, qui travaillait comme technicienne de surface, la nouvelle a eu l'effet d'une bombe. Pour cause, ils sont nombreux à n'avoir jamais été au courant des problèmes qu'elle rencontrait dans sa relation avec son ex-compagnon. À l'instar de Patrice, son beau-frère : «Cet homme m’a toujours semblé être sympathique, gentil et amical. Lorsque j'ai appris ce qu'il avait fait, cela m'a vraiment choqué. Mo pa ti atann. Mo kone zot ti fek separe me mo pa ti kone ki problem zot ti ena.» Mais d'autres proches, auxquels la quadragénaire s'était confiée, avancent que cet homme n'avait jamais accepté leur séparation. La victime leur aurait même confié que son bourreau la harcelait, la suivait à moto, d'autant qu'il connaissait bien son emploi du temps. Malheureusement, elle n'avait jamais imaginé que cette obsession lui coûterait la vie.
Lorsque les limiers de la Criminal Investigation Division (CID) de la Western Division et la police de Petite-Rivière sont arrivés sur les lieux, ils ont récupéré l'arme du crime et n'ont pas tardé à soupçonner le trentenaire. Appréhendé peu de temps après, Louis Michael Carpen a été soumis à un feu roulant de questions et a vite craché le morceau. Il a déclaré avoir agi par jalousie, n'ayant pas supporté qu'Annick Lafleur mette fin à leur relation. Son témoignage a conduit à l'arrestation de deux autres individus : un habitant de Pointe-aux-Sables de 22 ans et un mineur de 16 ans, le neveu du meurtrier.
Interrogé, le premier a indiqué ne pas savoir ce qui s'était passé ce soir-là. Il a déclaré que le trentenaire lui avait demandé de le conduire à Flic-en-Flac et qu'il avait accepté. En chemin, Louis Michael Carpen lui aurait demandé de passer par Petite-Rivière et lui, il ne serait pas descendu. Le jeune homme ainsi que le mineur ont été accusés provisoirement d'aiding and abetting devant la justice.
D'après Patrice, le beau-frère d'Annick Lafleur, cette dernière et son compagnon étaient en couple depuis environ une quinzaine d'années. Ensemble, ils ont eu deux fils, âgés de 10 et 12 ans. «Annick a toujours été une femme sympathique, joviale. Li ti kontan koze, enn dimounn korek. Ses enfants sont vraiment très tourmentés par ce qui lui est arrivé mais toute la famille veillera à ce qu'ils ne manquent de rien. Pour le moment, l'une de mes belle-soeurs les a pris à sa charge.» Les funérailles d'Annick Lafleur ont eu lieu le samedi 2 janvier, à 11 heures. Elle a rejoint sa dernière demeure sans avoir pu réaliser son plus grand rêve, celui de pouvoir enfin se reconstruire et goûter au bonheur.
«Nous débutons l'année 2021 dans le deuil. Entendre qu'une femme, Annick Lafleur, victime de violence domestique, a été assassinée par son ex-conjoint ne peut que nous laisser avec un profond sentiment de colère et de rage. Cette nouvelle, hélas, ne vient que confirmer une chose : que la violence domestique est omniprésente dans notre société et ne prend pas fin même quand la victime a eu le courage de quitter le conjoint violent. Le message que cela renvoie aux victimes et aux agresseurs est bien clair : que les agresseurs jouissent d'un sentiment d'impunité. Nous avons à Maurice, jusqu'ici, des lois sous le Domestic Violence Act (2016) qui sont supposées assurer la protection des victimes, mais c'est avec consternation que nous réalisons année après année que les acteurs de ces lois faillissent dans l'application de celles-ci !
Cet acte barbare, qui n'est pas un cas isolé, reflète la réalité de notre système ; un système où sévissent les agresseurs, sans peur des lois, sans peur des conséquences pénales, inexistantes lors d'agressions non-mortelles. Combien d'agresseurs se voient acquittés d'une caution alors qu'ils ont été dénoncés pour violences conjugales ou menaces ? Tandis que les victimes, elles, continuent de vivre dans la peur de voir apparaître devant elles, dans la rue, à leur domicile ou sur leur lieu de travail, ces bourreaux qui leur ont fait comprendre qu'ils se vengeront et qu'elles ne vivront plus jamais en paix ! La mort d'une femme, un 1er janvier ou à n'importe quel moment de l'année, rappelle à chaque fois le manque de prise au sérieux du sujet de la part des autorités, d'une banalisation des indicateurs de danger imminent. C'est avec résilience que les victimes ne réclament aujourd'hui plus de Protection Order, qu'elles ne portent plus plainte pour les raisons mentionnées plus haut. Les ordres de protection sont et restent à l'heure du jour des boucliers de papier, portés en ridicule par ceux contre qui ils sont émis, car dans la pratique ils n'ont aucune efficacité.
Les raisons pour lesquelles la situation ne s'améliore pas et reste en décadence sont les mêmes depuis des décennies : des sanctions pénales qui ne viennent qu'après la mort des victimes (Apre lamor la tisann !) ; des lois qui sont caduques car pas appliquées ; des breachs of protection order, essuyés par des cautions ; des plaintes aux postes de police qui restent sans suivi, et sont même souvent découragés par les policiers ; le manque de soutien (moral et financier) et d'accompagnement aux victimes de la part de l’État, qui font que ces dernières se retrouvent dans l'obligation de rester avec leur agresseur.»
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