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Par Elodie Dalloo
1 juillet 2021 14:31
Le soleil vient à peine de se coucher lorsque nous rencontrons Stéphanie Nakeed à son domicile, à Khoyratty, Terre-Rouge, en ce vendredi 25 juin. L’atmosphère est lourde et pesante. Cela fait à peine 24 heures que la jeune femme de 36 ans a regagné son domicile après un séjour à l’hôpital. Si d’une voix timide, elle dit se sentir légèrement mieux malgré les douleurs physiques que sa césarienne a engendrées, les séquelles émotionnelles laissées par sa deuxième fausse couche s’entendent dans le ton de sa voix et se voient dans ses yeux rougis, tant elle a pleuré.
Ce lundi 21 juin, Stéphanie Nakeed, déjà maman d’un fils de 12 ans, espérait vivre l’un des plus beaux jours de sa vie en accueillant son deuxième enfant. Mais ce jour-là, elle a vécu le pire des cauchemars pour un parent, celui de perdre un enfant. Une tragédie qu’elle vit pour la seconde fois, en seulement deux ans…
Son enfant, Stéphanie Nakeed l’a porté dans son ventre pendant un peu plus de neuf mois. Elle l’a senti grandir, bouger et un lien s’est construit entre elle et son petit garçon, qu’elle aurait prénommé Isaiah. Elle s’était préparée à sa venue depuis plusieurs semaines déjà ; elle lui avait acheté des layettes, une baignoire, un berceau, des couches et du lait, entre autres. «Nous avions même entamé la construction d’une nouvelle pièce, à l’étage. Celle-ci aurait été la chambre à coucher de notre fils Ezechiel, qui grandit, et le bébé aurait partagé notre chambre, au rez-de-chaussée», confie Didier Nakeed, le père de famille.
Mais son épouse Stéphanie n’a jamais pu serrer son enfant dans ses bras car elle a accouché d’un bébé mort-né à l’hôpital Sir Seewoosagur Ramgoolam. Un nouveau coup dur pour celle qui, en 2019, avait perdu un autre nouveau-né dans les mêmes circonstances et entre les mains du même médecin. Depuis, elle s’interroge : y a-t-il eu négligence médicale ?
Après avoir perdu son nouveau-né il y a deux ans, Stéphanie Nakeed a vu une nouvelle chance s’offrir à elle lorsqu’elle est à nouveau tombée enceinte l’an dernier. Mais alors que sa grossesse s’est passée sans aucune complication, assure-t-elle, elle a finalement accouché d’un second bébé mort-né. «Tous mes rêves sont brisés», se désole-t-elle.
À son insoutenable douleur se mêlent la colère et l’incompréhension. Pourquoi le malheur s’est-il abattu une nouvelle fois sur elle ? La première fois, elle s’en souvient comme si c’était hier. «J’étais allée à mon rendez-vous à ma 28e semaine de grossesse. Le médecin m’avait demandé de revenir un mois plus tard et j’ai été admise le 25 février, à la 32e semaine de grossesse», se rappelle-t-elle.
Stéphanie Nakeed ne souffrait alors d’aucune complication liée à la grossesse, si ce n’est qu’elle avait une légère tension et du diabète. Elle a quand même perdu son enfant. Après cette première tragédie, la trentenaire ne s’était pas vraiment posé de questions. «Je n’ai jamais vraiment su pour quelle raison je l’avais perdu mais je n’avais jamais songé à porter plainte.» Au contraire, après beaucoup d’hésitation, elle essaie une nouvelle fois de tomber enceinte.
En apprenant la bonne nouvelle l’an dernier, Stéphanie Nakeed est sur un petit nuage. «J’ai toujours dit que j’attendrais que mon fils grandisse pour pouvoir lui donner un petit frère ou une petite sœur», confie-t-elle. Elle a ainsi mis toutes les chances de son côté pour que cette grossesse se passe sans encombre. «J’ai fait doublement attention. J’étais suivie à la fois dans le public et dans le privé.» Une façon pour elle de s’assurer qu’elle bénéficierait des meilleurs services médicaux.
Le lundi 14 juin, Stéphanie Nakeed s’est rendue à l’hôpital Sir Seewoosagur Ramgoolam, convaincue qu’elle y serait admise. Elle avait même apporté tous ses effets personnels avec elle. «J’avais rendez-vous ce jour-là. J’ai indiqué au médecin que je ne pouvais plus marcher. Je souffrais atrocement au niveau du bas-ventre, comme jamais auparavant. Li finn dir mwa ki se parski zanfan-la pe pran so plas. Il m’a renvoyée chez moi, sans même procéder à une échographie, et m’a demandé de revenir une semaine plus tard», raconte-t-elle. Pourtant, elle en était déjà à plus de 36 semaines de grossesse.
Le 21 juin, comme le lui avait indiqué le médecin, Stéphanie Nakeed se rend à l’hôpital pour son accouchement. Elle en était à 38 semaines et trois jours de grossesse. Avant même que la césarienne ne soit pratiquée, la mauvaise nouvelle est tombée, suscitant la révolte de la jeune femme et ses proches. «Le bébé avait rendu l’âme dans son ventre depuis 72 heures. Si les médecins l’avaient gardée en observation la semaine précédence, une telle chose ne se serait jamais produite. Nous avons perdu deux enfants en deux ans, dans les mêmes conditions, ce n’est pas facile. Les médecins n’ont-ils pas examiné son dossier médical ? Ne savaient-ils pas qu’elle aurait déjà dû accoucher la semaine précédente ? Il est clair qu’il y a eu négligence médicale», s’insurge Didier Nakeed. C’est la raison pour laquelle il a porté plainte au poste de police de l’hôpital le même jour. Pour l’aider dans sa démarche, il a sollicité les services de Me Anoup Goodary (voir hors-texte).
Même si cela ne leur ramènera pas leur enfant, les Nakeed espèrent que la vérité finira par éclater : «Tro boukou zanfan pe mor, pe perdi lavi akoz bann dimounn ki pa anvi travay. Ces pauvres innocents ne méritent pas un tel sort.»
Depuis cette seconde fausse couche, Stéphanie Nakeed a perdu tout espoir. «Je suis accablée. Honnêtement, je n’ai même plus envie de tomber enceinte à nouveau, de peur de vivre le même traumatisme. Si les médecins avaient pris en considération mon état de santé lors de mon rendez-vous, s’ils avaient, du moins, eu recours à une échographie, peut-être que mon enfant serait parmi nous aujourd’hui», lâche-t-elle, en retenant difficilement ses larmes. «Sel parol mo finn dir mo belmer kouma monn fini mo loperasion, se ki mo pa pou gagn zanfan ankor. Cette seconde fausse couche a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.»
Suite à cette épreuve difficile, Stéphanie Nakeed sera suivie par un psychologue durant les jours à venir. Elle peut aussi compter sur le soutien de sa famille, notamment de sa belle-mère Josiane. Cette dernière, également indignée par ce qui lui est arrivé, déclare : «Le rôle d’un médecin est de sauver des vies et non pas de les détruire. Ma belle-fille peut prétendre qu’elle va bien mais pensez-vous que ce soit réellement le cas à chaque fois qu’elle se retrouve seule ? Imaginez sa douleur ! À chaque fois qu’elle sortait faire des courses pour le bébé, elle m’appelait. Elle s’était préparée à sa venue, elle avait fait des sacrifices pour lui. Li ti ena enn vizion pou sa ti baba-la. Mazine ki kalite lakontantman li ti pou amene dan sa lakaz-la. Ou pa kapav detrir lavi enn imin. Se sa erer sa dokter-la finn fer ; Li finn detrir seki zot ti pe konstrir.»
La famille Nakeed invite les femmes qui ont vécu une expérience similaire à sortir de leur mutisme. «Il est temps que cela cesse. Il est temps que les responsables paient pour leur incompétence…»
De son côté, le ministère de la Santé indique que, pour l’heure, il y a eu un rapport interne : «Nous avons pris connaissance de cette affaire et une enquête policière est en cours. Nous comptons collaborer pleinement avec les enquêteurs pour faire la lumière sur cette affaire.»
La perte d’un enfant est une étape difficile. En perdre deux en l’espace de deux ans est d’autant plus douloureux. D’après la psychologue Gheshna Jumnah, «chacun a sa manière de faire son deuil et, dans le cas de Stéphanie Nakeed, lorsqu’il semble avoir eu négligence médicale, il y a beaucoup de colère derrière». En ce qui concerne la famille, il est important que celle-ci apporte son soutien sans imposer sa vision de la situation. «Les proches doivent écouter les parents lorsqu’ils s’expriment, leur apporter un soutien moral, sans influencer leurs décisions.» Selon elle, il faut également laisser à la jeune maman le temps de passer par toutes les étapes du deuil : le refus, la colère, le chagrin, la phase dépressive et l’acceptation. Pour surmonter cette épreuve, «elle doit trouver la méthode qui lui convient le mieux. Cela peut être s’asseoir dans un coin pour pleurer, partager sa souffrance avec son époux. C’est un événement traumatisant pour la mère, l’époux, mais aussi pour l’enfant du couple. La communication avec la famille est la clé. La colère qui accompagne le deuil est une émotion normale et il faut pouvoir accepter que cela fait partie du deuil. Il faut aussi permettre à l’enfant de s’exprimer sur ce qu’il vit, l’inclure dans le processus de guérison et garder un cercle positif».
Leur cri du cœur a été entendu. Me Anoup Goodary apporte son aide à la famille Nakeed gratuitement, dans le cadre de cette affaire. Pour l’heure, l’homme de loi a rencontré Didier Nakeed et a obtenu sa version des faits. Il attend, à présent, que son épouse Stéphanie se remette pour pouvoir aller de l’avant. «Durant la semaine à venir, je compte l’accompagner à l’hôpital Sir Seewoosagur Ramgoolam pour que l’on puisse rencontrer le véritable surintendant. La famille a bel et bien rencontré quelqu’un mais il ne s’agissait pas du surintendant. Je suivrai l’affaire de près au niveau de l’hôpital», nous a-t-il déclaré. «En 2009, Stéphanie Nakeed avait eu des complications. Il est probable que le médecin n’ait pas suffisamment pris cela en considération et que ce soit à ce niveau qu’il y a eu négligence médicale. Mais nous n’allons pas sauter aux conclusions rapidement. Après avoir entendu les arguments de madame Nakeed, nous pourrons déterminer s’il nous faut aller de l’avant pour une enquête criminelle.»
Un nouveau cas de négligence médicale alléguée a été recensé cette semaine. Joana Bernard, une habitante de Mare-La-Chaux, Flacq, a porté plainte contre l’hôpital Dr Bruno Cheong. Son père, dit-elle, n’aurait pas bénéficié de soins appropriés durant son séjour en quarantaine. Ce dernier, qui souffre d’un sévère handicap, y avait été admis pour des soins en mai. Cependant, il avait dû y passer deux semaines supplémentaires car, le jour de sa sortie, un cas positif à la Covid-19 avait été détecté dans la même salle. Pendant ces deux semaines, il y aurait eu négligence médicale et les blessures de son père se sont infectées. Elle allègue l’avoir retrouvé dans un état lamentable lorsqu’il a obtenu sa décharge. Le ministère de la Santé suit cette affaire de près.
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