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26 octobre 2015 14:16
La voix est fatiguée, mais chargée d’excitation. «Vous êtes le premier journal mauricien à qui je parle après ma folle soirée d’hier (NdlR : vendredi soir). J’ai parlé à beaucoup de journalistes français, mais jusqu’à votre appel, je n’avais pas encore été interviewée par la presse de mon pays. Je vais donc tout de suite saisir l’occasion de remercier les Mauriciens pour avoir été si nombreux à me soutenir. Merci Maurice, je vous aime», lâche une Jane Constance pas tout à fait réveillée lorsque nous la sollicitons, hier aux petites heures du matin.
Confortablement installée dans sa chambre d’hôtel à Paris – une ville qu’elle aime beaucoup même si, en ce moment, «il fait très froid» – elle ne touche plus terre. Quelques heures plus tôt, c’est elle, la petite Mauricienne non-voyante qui a eu 15 ans le 16 septembre, que la France a sacré grande gagnante de The Voice Kids à l’issue d’une finale riche en émotions, regardée par des millions de téléspectateurs et, bien évidemment, par des milliers de Mauriciens.
C’est pour cette raison, ayant eu vent de tout le buzz provoqué par ses différentes prestations, que Jane insiste sur ses remerciements avant de poursuivre avec l’exercice de questions-réponses : «C’est mon île et j’ai aussi chanté pour tous les Mauriciens. Pour cela, je me dois de les saluer pour leurs nombreux encouragements.»
À la question de savoir comment elle envisage l’avenir maintenant qu’elle est titulaire du titre de Plus belle jeune voix de France, l’adolescente, fidèle à elle-même et qui a toujours eu la langue joliment pendue, répond tout de suite : «Je ne vais absolument pas changer. Je reste la même personne, avec un petit truc en plus.» Et ce petit truc en plus, elle l’a, depuis vendredi soir, toujours à côté d’elle : «C’est mon trophée de The Voice Kids. C’est cela qui me fait me rappeler, quand je le touche et quand je le sens sous mes doigts, que je n’ai pas rêvé, que j’ai bien vécu cette belle aventure et que c’est moi qui ai gagné.»
Si, à l’heure où nous lui parlions, elle se trouvait toujours en France – elle rentre à Maurice avec ses parents demain, lundi 26 octobre –, Jane n’a qu’une seule hâte : retrouver son île, plus précisément son village natal, Rose-Belle, pour venir montrer à tout son entourage ce trophée qui signifie beaucoup pour elle : «Je vais continuer à garder les pieds sur terre. Je vais rester moi-même, je vais continuer à travailler dur à l’école (NdlR : elle est en Form IV au collège St Nicholas), car je garde comme objectif de devenir avocate. Je vais garder ma personnalité de fonceuse et de battante, je vais certainement continuer à chanter pour faire danser les mots. Mais grâce à The Voice, je sais que mon talent est reconnu, qu’il est salué, que les gens, les Français, me soutiennent, alors que ce n’était pas gagné d’avance, car j’étais une étrangère. J’ai été jugée par des professionnels et, en même temps, ce prix vient couronner tous mes efforts, tous mes sacrifices. Depuis dix ans, je me donne à la musique et, aujourd’hui, elle me le rend bien.»
Sur son petit nuage, selon ses propres mots, Jane se souvient d’avoir demandé à son père Tony, peu après la fin de l’émission, si tout ce qui lui arrivait était bien réel : «Il était près de minuit et, comme généralement je suis au lit et bien endormie à cette heure, j’ai demandé à mon papa si tout ce qui se passait était bien arrivé.» Hier matin encore, au moment de notre interview, elle disait caresser sa peluche d’Ogie le chien en se demandant si elle ne rêvait pas : «À chaque fois que je l’ai entre les mains, je mesure toute la portée de ce qui m’arrive.»
Même si son apparente confiance en elle ne l’a jamais quittée, elle ne cache pas avoir ressenti un moment de stress juste avant de monter sur scène vendredi soir : «Je suis une petite fille comme les autres et j’ai mes moments de doute. Je ne peux pas l’expliquer, mais j’ai voulu, cinq minutes avant mon tour, repasser sur toute ma chanson avec mon coach vocal. Je me souviens que le sophrologue me disait de respirer, car j’avais tendance à oublier de le faire.»
Même si la pression était présente, Jane a fait en sorte, souligne-t-elle, de savourer chaque moment sur le plateau : «J’ai tout pris : les moments d’échanges avec les autres candidats et leur famille, ma rencontre avec Kendji qui est quelqu’un de très sympa, Louanne qui m’a donné des conseils ou encore Patrick Bruel qui est venu me parler après ma prestation pour m’encourager, sans parler de ma relation avec Patrick Fiori, le meilleur des coachs… Bref, je me suis créé des souvenirs pour la vie.»
Elle le sait, le «petit truc en plus» qui fait désormais partie intégrante de sa vie, c’est surtout ce titre de gagnante de The Voice Kids saison 2, qui sera toujours associé à elle, avec tout ce que cela comporte : une exposition médiatique – interviews et autres plateaux télé –, une année de coaching en chant, sans oublier le rêve de toute sa vie, un album. «Pour l’instant, je n’y pense pas trop», lâche-t-elle : «Je veux surtout me reposer.»
Jane le sait, il lui faudra apprendre beaucoup de choses dans les jours à venir : «Je vais m’appliquer comme toujours et donner le meilleur de moi-même.» Elle le sait aussi, l’album n’étant pas pour sitôt – des paramètres juridiques entrant en jeu en raison de son âge notamment –, elle prendra le temps qu’il faut pour enregistrer des titres qui lui ressemblent, avec des chansons à voix qui traduiront son univers et qui lui permettront «de chanter tout simplement». Car, à l’instar de The Rose, qu’elle a interprété lors de cette finale – «c’est l’histoire de ma vie», confie-t-elle –, elle a toujours l’impression de chanter sa vie à chaque fois qu’elle est sur scène !
Un prime haut en couleur, riche en émotions, en talents et en magie. Si c’est notre compatriote qui s’est démarquée lors du show de vendredi, qui a accueilli plusieurs invités – Patrick Bruel, Louanne, Lilian Renaud (le dernier gagnant de The Voice), Kendji et Clara (la gagnante de The Voice Kids saison 1) –, les autres finalistes ont aussi assuré, notamment Lissandro (de l’équipe de Jenifer) qui a démontré toute l’étendue de sa voix sur Lettre à France, et Téo (de l’équipe de Louis Bertignac) qui s’est avéré un véritable showman sur Sauver l’amour de Daniel Balavoine. Notre Jane nationale a, quant à elle, ému plusieurs personnes suite à ses deux prestations sur The Rose et The Prayer, qui lui ont valu une pluie de compliments. Son coach, Patrick Fiori, devait mettre en avant son humilité et ses interprétations empreintes d’émotions qui «traversent le cœur et l’esprit».
Les tweets et autres status parlant de la performance de notre compatriote n’ont cessé d’alimenter les réseaux sociaux depuis ses premiers pas dans l’émission The Voice Kids, notamment pour sa prestation émouvante lors des auditions à l’aveugle. Pour la finale de vendredi soir, TF1 a rassemblé 5,9 millions de téléspectateurs. La presse française n’a pas manqué non plus de faire ses éloges. Gala.fr a ainsi parlé d’elle en ces termes : «Un destin heureux pour cette non-voyante qui est venue de l’île Maurice à Paris, juste ‘‘pour s’amuser’’.»
Ils n’ont pas de mots pour décrire tout ce que leur apporte leur fille. «Lorsqu’on a appris la réalité de Jane, sa cécité, on pouvait difficilement se projeter dans l’avenir. Mais Jane, malgré son handicap, n’a cessé d’être un exemple de courage. Pour nous, elle est une bénédiction qui ne cesse de nous surprendre et de faire notre bonheur. Sa passion et son amour pour la musique payent et l’aident à se réaliser», déclare Françoise, la mère de Jane, rejointe par son époux Tony : «Elle mérite tout ce qui lui arrive, car c’est une bosseuse.»
«J’ai carrément arrêté de respirer le temps de sa prestation», déclare Frédéric, un habitant de Rivière-du-Rempart, en évoquant les prestations de Jane durant le show de vendredi. «J’attendais ce moment avec impatience. Elle nous a fait rêver. Elle a porté très haut les couleurs de notre île. Je ne connaissais pas la chanson The Rose et je ne pensais pas aimer ce style, mais depuis vendredi, j’écoute en boucle la chanson de Jane. Elle n’a pas gagné parce qu’elle est différente, mais parce qu’elle le mérite», ajoute le jeune homme.
Rubina, une habitante de Moka, est aussi convaincue que Jane a su fédérer les Mauriciens en partageant son rêve avec tout un peuple. Vendredi soir, elle a veillé tard avec sa famille pour ne pas rater la finale : «C’était magique ! Nous avons sauté de joie au moment où Nikos a annoncé que Jane était la grande gagnante, après, je dois l’avouer, un grand moment de stress. On a vécu la finale à 200 %. C’était l’euphorie à la maison. À travers son talent, son humilité et sa simplicité, elle a su nous rassembler.»
Les Mauriciens en France ont aussi vécu intensément ce moment. Certains allant jusqu’à «exploser leur forfait» pour voter pour la petite chanteuse. Parmi eux, il y a eu Hugo Bienvenue, étudiant à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. «Tous les amis, français et mauriciens, étaient réunis devant la télé. Bien qu’on ait toujours voulu y croire, avec la compétition et le niveau des candidats, notamment Lissandro et son incroyable performance, la victoire de Jane n’était pas gagnée d’avance. Mais c’est bien sa performance qui nous a émus aux larmes. Je me rendais bien compte qu’ils étaient nombreux à regarder en direct de Maurice et qu’ils auraient voulu être à notre place pour pouvoir voter. Donc, on s’est dit qu’on devait se la jouer solidaires dans un élan de patriotisme ! Sans me soucier de la dépense, ça a été une pluie de SMS toute la soirée ! C’était une véritable euphorie à l’annonce des résultats. On avait l’impression que c’était Maurice qu’elle avait emporté avec elle jusqu’à la victoire. Elle est très populaire ici et fait déjà la une des journaux. Elle a conquis le cœur des Français !» affirme le jeune homme.
Elle n’a pas volé sa victoire. C’est avec affirmation que Dominique Tobie, le prof de chant de Jane, souligne ses qualités. «Elle a l’oreille parfaite. C’est aussi une fille très appliquée. Depuis dix ans, elle n’a jamais raté un cours. Elle est là tous les mardis, sans faute. Elle fait la route avec ses parents de Rose-Belle à Rose-Hill toutes les semaines», explique-t-il. Son épouse Geneviève abonde dans ce sens : «Pour nous, l’atout de Jane, c’est qu’elle est une bonne musicienne. D’ailleurs, elle n’a cessé, ces dernières années, d’exceller à la Royal School of Music où elle est en grade 4 de piano. Elle a aussi une mémoire phénoménale et peut mémoriser un texte très vite.»
C’est lui qui a proposé sa candidature à The Voice Kids. Pour Bapiste Jung, chargé de casting de la zone océan Indien, «Jane est un exemple». «Réussir à mettre en émotion des millions de téléspectateurs au moyen de son organe n’est pas donné à tout le monde. Elle nous a offert une aventure exemplaire», dit-il. Il ne se fait absolument pas de souci pour son avenir. «Sa famille, ses parents sont sa force. On sent beaucoup d’amour et d’encouragement. Ce sont des gens bien et simples. Qu’elle se sente épanouie encore plus et qu’elle mette en avant et partage avec nous tous qui croyons en elle sa signature artistique.»
Une pluie de louanges. Les réactions suite à la performance de Jane à The Voice Kids n’ont cessé depuis que la nouvelle est tombée. Invitée à commenter l’exploit de notre compatriote, Ameenah Gurib-Fakim, la présidente de la République, nous a fait la déclaration suivante : «J’ai déjà rencontré Jane dans le passé et j’ai été émerveillée par sa personnalité. Je la félicite et l’encourage à continuer, car elle a fait briller Maurice à l’échelle planétaire.» D’autres personnalités, à l’instar de Paul Bérenger, le leader de l’opposition, ont aussi salué la performance de l’adolescente. Sir Anerood Jugnauth, qui a aussi commenté la victoire de Jane sur Radio Plus, a promis de la recevoir à son bureau à son retour au pays.
Depuis plusieurs années, nous n’avons cessé, à 5-Plus, d’être touchés par Jane. D’ailleurs, les nombreux articles qui lui ont été consacrés témoignent de l’admiration qu’on a face à toutes ses réalisations. En 2010, on titrait Petite aveugle, grande ambition suite à sa performance avec Somewhere over the Rainbow au concert de Dave Dario (de la Nouvelle Star) au centre de conférence international de Pailles. Un peu plus tard, au cours de la même année, on titrait La mélodie du bonheur de Jane. Elle était «la première Mauricienne non-voyante à être reçue aux examens de la Royal School of Music pour sa maîtrise du piano». L’année dernière, sous le titre Ma chance, c’est d’être née aveugle, elle nous racontait sa fierté d’aller chanter en Inde et à l’Unesco. Entre autres textes et deux Unes saluant sa détermination et sa persévérance...
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