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17 mai 2015 23:45
En un mois, deux élèves du Queen Elizabeth College se sont donné la mort. Quelle analyse faites-vous de ce qui est arrivé ?
Le suicide est la deuxième cause de décès chez les individus âgés de 15 à 29 ans dans le monde, selon l’Organisation mondiale de la santé. Un enfant sur dix développera un problème de santé mentale, toujours d’après l’OMS. Les recherches indiquent que certains facteurs auraient un impact dans le non-recours au suicide tels que les relations personnelles solides, les croyances religieuses/spirituelles et l’état d’esprit axé sur les stratégies d’adaptation positives et le bien-être.
Quand un élève se donne la mort, il importe de craindre la survenue d’un phénomène de «contagion» : d’autres tentatives de suicide ou suicides aboutis au sein de la communauté scolaire. Une question s’impose : qu’attendons-nous pour mettre en place des protocoles de postvention ? Ceux-ci visent la mise en place d’interventions suite à un suicide en milieu scolaire afin d’aider les élèves, les amis, le personnel de l’école, les parents de la personne décédée, les parents des autres élèves et les amis hors de l’école, à exprimer et à gérer les divers sentiments qui accompagnent le traumatisme.
Il faudrait aussi mettre en place une écoute et un accompagnement pour les élèves à risque, aider au développement de stratégies appropriées pour s’adapter à la perte, prévenir le recours à des stratégies d’adaptation autodestructrices et les complications du deuil.
Encore un cas, un cas de trop. Que faire pour que cela ne se répète pas ?
Ce qui arrive incite à se poser certaines questions. Qu’attendons-nous pour mettre en place des programmes scolaires pour promouvoir la santé mentale des adolescents afin de les aider à développer des stratégies d’adaptation qui les aideraient à faire face à leurs souffrances de façon appropriée ? Cela leur permettrait aussi de demander de l’aide pour eux-mêmes et/ou pour leurs amis qui montrent des signes inquiétants de détresse, d’identifier l’urgence de demander de l’aide dans certaines situations qui se manifestent souvent sur les réseaux sociaux.
Cela aiderait également à renforcer leur estime d’eux-mêmes, à gérer leurs conflits avec les autres, à mettre en mots ce qu’ils ressentent, ce qu’ils vivent comme souffrance, au lieu de l’exprimer à travers des comportements agressifs envers les autres et/ou soi-même (automutilation, suicide, etc.), la consommation excessive d’alcool ou de drogues, des problèmes de discipline, les fugues, l’absentéisme, le désinvestissement ou le surinvestissement scolaire.
Il est beaucoup question, en ce moment, de la mise en place de cellules d’écoute professionnelles et accessibles dans toutes les écoles. Qu’en pensez-vous ?
Ce serait un espace où les enfants et adolescents pourraient se dire en toute confiance, sans peur d’être jugés, évalués, réprimandés, où ils pourraient parler de leurs idées suicidaires librement. Les recherches ont clairement démontré que parler du suicide et/ou poser des questions sur le suicide n’augmente pas le risque suicidaire. Au contraire, cela permet d’aborder un sujet souvent tabou, qui fait peur. Cela procure un sentiment de soulagement qui permet de se sentir moins seul et de d’aborder des solutions plus appropriées pour soulager sa souffrance.
Y a-t-il des signes qui aideraient à prévenir une tentative de suicide ?
En parlant de l’étudiante qui s’est donné la mort, la rectrice parle d’une «fille joviale, qui travaillait très bien. On ne sait pas ce qui s’est passé dans sa tête». Sous une apparence souvent joviale ou des bonnes notes, il peut y avoir une élève en grande souffrance, désespérée, ne sachant plus quoi faire pour apaiser sa souffrance, ayant tenté de trouver diverses autres solutions avant d’arriver à considérer le fait de se donner la mort comme l’unique façon d’arrêter de souffrir.
Quels sont les signes qui sont associés au risque suicidaire ?
Sur dix personnes qui se donnent la mort, huit montrent des signes de leur intention. Ces signes peuvent être verbaux, directs ou indirects, comportementaux et/ou d’ordre émotionnel. Toutes les recherches démontrent qu’aucun facteur ne peut expliquer à lui seul pourquoi des personnes se donnent la mort. Souvent, il y a une tendance à associer les comportements suicidaires à un seul facteur, par exemple, une affaire de cœur, un manque de communication au sein de la famille, l’endettement.
Selon l’OMS (2014), il existe des facteurs interdépendants comme des difficultés d’accès aux soins de santé et des facteurs liés à la communauté et aux relations, et des facteurs individuels. Il faut également sensibiliser sur les signes associés à certains troubles mentaux associés au risque suicidaire : dépression, bipolarité, troubles de dépendance ou d’abus de drogue ou d’alcool, troubles anxieux et troubles de la conduite (vandalisme, vols).
Il est aussi important d’encourager ces personnes à demander de l’aide professionnelle pour elles-mêmes et/ou pour les autres. Il faudrait aussi réduire l’accès aux moyens qui sont couramment employés pour se suicider.
Quel est l’impact d’un suicide sur l’entourage de la victime ?
Les familles, les proches et les communautés sont profondément dévastés et le restent longtemps après la perte de l’être cher. Suite au suicide d’un proche, ils passent par plusieurs phases dont le déni de la réalité et le besoin de trouver un sens à l’acte suicidaire. Ils se retrouvent confrontés aux émotions comme la culpabilité, la honte, la tristesse, la colère, la peur, le sentiment d’insécurité, l’impuissance, les doutes, et à de nombreuses questions sur qui on est en tant que personne. Un non-dit provoquera aussi des dissonances bien plus dévastatrices que la reconnaissance du suicide.
Quelle est la responsabilité des médias quand ils rapportent des suicides ?
Une question se pose : à quand la formation des médias pour les sensibiliser sur comment rapporter le suicide de façon appropriée ? Les recherches ont démontré que les suicides qui sont très médiatisés peuvent avoir un impact sur le taux national du suicide. L’envergure de l’effet de la publicité sur les suicides dépend de l’importance que les médias leur accordent. Par exemple, les suicides présentés à la une des journaux vs ceux présentés en entrefilet.
Les suicides des personnes célèbres provoquent en moyenne 14 fois plus de suicides que ceux d’inconnus. Le récit de véritables suicides a 34 fois plus de chance d’augmenter le taux de suicide qu’une histoire fictive. Les histoires de suicide dans les journaux ont plus d’effet que les suicides rapportés aux nouvelles télédiffusées (les détails rapportés dans les journaux occupent l’attention du lecteur pendant longtemps).
L’OMS a produit des recommandations transmises aux médias afin de diminuer le risque d’augmentation des décès par suicide. Ces recommandations incluent : ne pas mentionner la méthode de suicide, ne pas présenter des photos de la personne décédée par suicide, ne pas donner l’impression que le suicide découle immédiatement d’un motif unique. Il est aussi stipulé de ne pas publiciser certains types de suicide, de parler des conséquences d’un suicide sur l’entourage et des services disponibles pour aider les personnes en souffrance.
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