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Encore des motocyclistes emportés à la fleur de l’âge : l’atroce douleur des proches d’Adriano, 18 ans, et de Deepsing, 19 ans

6 octobre 2021

La famille Lebou : «Nano pou res touzour grave dan nou leker»

 

Ils l’imaginent dans un monde meilleur mais son départ n’en est pas moins terriblement douloureux. Ils auraient voulu qu’il vive longtemps, bien plus longtemps qu’eux. Malheureusement, Jean Adriano Miguel Verte Lebou, appelé Nano par ses proches, a été arraché à la vie alors qu’il n’avait que 18 ans. Depuis son départ soudain et tragique, les pleurs sont devenus le quotidien des membres de sa famille, qui peinent à reprendre le cours de leur vie sans lui à leurs côtés. «Pourquoi ?», «Comment ?»… Ces questions les obsèdent. À leurs multiples interrogations s’ajoutent la douleur et la souffrance de ne pas avoir pu lui dire au revoir. «Nous l’avons perdu en une fraction de seconde, sans que nous puissions comprendre comment cela a pu arriver», lâchent ses proches. Ne s’étant jamais remis du décès d’un autre proche, mort noyé à l’âge de 22 ans il y a plusieurs années, ils ont l’impression que l’histoire se répète et que le mauvais sort s’acharne sur eux.

 

Leur univers a basculé très tôt le dimanche 26 septembre. Ce matin-là, Joanita, la tante d’Adriano, se retournait sans cesse dans son lit. «J’avais comme un mauvais pressentiment, je n’arrivais pas à trouver le sommeil», nous confie-t-elle. Lorsque le cellulaire de son compagnon a sonné, son coeur a commencé à battre plus fort. «Il était 5h30. Il ne voulait pas décrocher mais je lui ai demandé de répondre, convaincue qu’il ne pouvait s’agir que d’une urgence à cette heure.» Elle avait vu juste. Au bout du fil, une femme leur annonce qu’Adriano a été victime d’un grave accident dans leur localité, à Baie-du-Tombeau. Lorsqu’ils la questionnent sur son état de santé, c’est sans pincettes qu’elle leur annonce son décès. «Monn koumans kriye dan lakaz, mo pa ti kone ki pou fer. Monn kontinie gard lespwar ki pa li ziska ki mo frer idantifie so lekor lamorg.»

 

La veille au soir, raconte-t-elle, Adriano s’était rendu à l’anniversaire d’un ami à Sainte-Croix. «Sa mère lui avait demandé de ne pas y aller. Elle voulait impérativement qu’il reste à la maison à cause de la situation sanitaire mais il ne l’a pas écoutée.» D’ailleurs, ce soir-là, les membres de la famille possédant une moto avaient rangé celle-ci pour éviter que les plus jeunes ne les empruntent pour sortir. «C’est comme si nous avions le pressentiment que quelque chose allait se produire.» Mais c’est finalement avec un groupe d’amis habitant la localité que le jeune homme s’est rendu à la fête. La famille a appris par la suite qu’au moment de rentrer, Adriano n’a pas voulu suivre ses amis. «C’est malheureux car si ses amis n’avaient pas quitté la fête sans lui, cela ne se serait sûrement pas produit.» C’est en revenant chez lui un peu plus tard à moto, accompagné d’un camarade, que le drame s’est produit.

 

Relation fusionnelle

 

L’accident d’Adriano est survenu aux alentours de 4h30. Il pilotait la moto empruntée à un autre ami aux abords de la rue Cormoran, dans sa localité, lorsqu’il a dérapé et terminé sa course dans le caniveau. Son décès a été constaté par un médecin du Samu. L’autopsie, pratiquée par le Dr Sunnassee, médecin légiste de la police, a attribué son décès à des cranio cerebral injuries. Quant à David Hoolass, son passager en croupe de 24 ans, il a subi de graves blessures et a été hospitalisé. Les enquêteurs espèrent recueillir sa version des faits une fois que son état de santé le permettra.

 

Si le départ tragique d’Adriano a bouleversé tous les membres de sa famille, c’est pour sa mère Mirella que cette épreuve est le plus dur à vivre. Accablée de chagrin, elle n’a pas été en mesure de s’exprimer. «Kan mo trouv mo ser, li pas fasil ditou. Li abat net, linn perdi so sel garson. Parfwa, mo pena mo pou mo dir li. J’essaie de la consoler et j’évite de fondre en larmes en sa présence pour qu’elle ne voit pas que je souffre aussi. Je demande à Dieu de la protéger pour qu’elle ait la force et le courage nécessaires pour s’occuper de ses deux filles qui sont plus jeunes. Plus les jours passent, moins elle me donne l’impression de tenir le coup», confie Joanita. Elle explique que, même si Adriano vivait chez sa grand-mère, sa mère et lui avaient une relation fusionnelle. «Il n’était pas en mesure de lui parler de ce qu’il avait sur le coeur mais exprimait ses émotions à travers la musique. Il lui chantait souvent la chanson Maman de Pierpoljak ; c’était sa façon de lui faire part de ses sentiments.»

 

Depuis son décès, Mirella ne cesse de répéter : «Mo anvi kone kouma mo garson inn mor, mo anvi kone kifer mo garson inn kit mwa.» Elle n’est, d’ailleurs, pas la seule à se poser des questions. Tout l’entourage d’Adriano est encore dans le flou quant aux circonstances de l’accident. «Nous n’avons pas encore pu parler à celui qui était avec lui à moto, vu qu’il est toujours hospitalisé. Nous attendons que passent les huit jours suivant le décès, ensuite nous nous adresserons aux personnes concernées pour avoir des éclaircissements dans l’espoir que cela nous soulagera», confie Joanita.

 

Déterminé

 

Les proches d’Adriano ne tarissent en tout cas pas d’éloges à son sujet, plus particulièrement sa tante Joanita qui le considérait comme son propre fils. «Les mots me manquent pour expliquer à quel point il était exceptionnel. Cela pouvait lui arriver de désobéir, de se rebeller, mais les problèmes finissaient toujours par se régler très rapidement.» Doux, attentionné et serviable, il ne refusait jamais de venir en aide à ses proches lorsqu’ils le sollicitaient. Même s’il avait dû abandonner les études, il était déterminé à réussir sa vie. «Il pouvait apprendre très facilement un métier ; que ce soit dans le domaine de l’informatique, de la mécanique ou de la maçonnerie. Il était débrouillard.» Récemment, ses proches lui avaient offert un travail : il devait revendre de la charcuterie et l’argent gagné devait servir pour ses  futures sorties avec sa petite-amie. «Il était prévu que celle-ci, qui vit en Angleterre, vienne à Maurice après la réouverture des frontières. Si leurs projets s’étaient concrétisés, elle n’aurait manqué de rien auprès de lui. Elle est inconsolable.»

 

Ce qui rend les choses d’autant plus dures pour les proches d’Adriano, c’est qu’ils avaient tous leurs petites habitudes bien ancrées. «Nous passions beaucoup de temps avec les autres jeunes de la cité. Nous organisions souvent des sorties de groupe et contribuions tous ensemble. C’est la première fois que nous perdons l’un des nôtres», regrette Joanita. Le départ soudain d’Adriano a, certes, été un véritable cataclysme pour son entourage mais tous essaient d’en tirer des leçons de vie. «Aster mo dir bann lezot zenn pa bes lebra, ki Nano pou touzour avek nou, ki li pou rest parmi nou, mem si nou pa pou trouv li ou tann so lavwa. Li pou touzour grave dan nou leker ek dan nou lespri. C’est lui qui nous rendra plus forts, qui nous donnera la possibilité d’affronter les épreuves de la vie et nous empêchera de faire des bêtises. Désormais, il est notre ange gardien. Li pou donn nou kouraz pou nou kontigne persevere.»

 

Les funérailles d’Adriano ont eu lieu le lundi 27 septembre. Il a rejoint sa dernière demeure escorté d’un cortège de motos car, de son vivant, le rallye était l’une de ses plus grandes passions.

 


 

Les accidents plongent quatre autres familles dans le deuil

 

Leurs noms s’ajoutent à la déjà très longue liste des victimes de la route. La dernière en date, José Sandanum, a trouvé la mort dans les parages de Canot le jeudi 30 septembre. Cet habitant de Bambous, âgé de 40 ans, circulait à moto lorsqu’une fourgonnette a quitté sa voie pour le percuter. Le quadragénaire, un Police Attendant des Casernes centrales, est mort sur le coup. Quant au conducteur du véhicule impliqué, il a été soumis à un alcotest, qui s’est avéré négatif.

 

Suraj Jugjeewon a, lui, été tué dans un accident survenu dans les parages de Pellegrin, le dimanche 26 septembre. Cet habitant de Mesnil, âgé de 30 ans, circulait à moto lorsque son deux-roues a été percuté par une fourgonnette. Il n’a pas survécu. Sa passagère en croupe, âgée de 21 ans, a été grièvement blessée et a été admise au département des soins intensifs de l’hôpital Victoria. Le conducteur de la fourgonnette, âgé de 30 ans, a été placé en détention. Son alcotest s’est avéré négatif.

 

Le même jour, Poospanan Ramessur a été victime d’un accident mortel dans les parages de Morcellement St André vers 5h20. La victime de 78 ans, qui était à pied, a été percutée par une voiture, dont le conducteur ne s’est pas arrêté. Appréhendé, ce dernier a expliqué l’avoir traîné jusqu’à un terrain vague après s’être rendu compte qu’il était accroché au pare-choc arrière de son véhicule, avant de prendre la fuite. Trois accusations provisoires ont été logées contre lui : homicide par imprudence, culpable omission et concealing corpse.

 


Ce dimanche 26 septembre, Kamleswur Aukle a, lui, succombé à ses blessures après deux jours d’hospitalisation. Le vendredi 24 septembre, ce motocycliste de 37 ans, domicilié à Terre-Rouge, est entré en collision avec un camion en stationnement dans sa localité. Une autopsie a attribué son décès à des cranio cerebral injuries. Une accusation provisoire d’homicide involontaire a été logée contre le conducteur du camion.

 

Les motocyclistes et les jeunes parmi les plus vulnérables

 

D’après Statistics Mauritius, des 53 personnes décédées dans des accidents entre janvier et juin 2021, 28 étaient des motocyclistes et 11 des piétons. Les 14 autres étaient à bord d’un véhicule. Le plus grand nombre de victimes avaient entre 15 et 29 ans (18 cas), suivis des 30-44 ans (11 cas), des 45 à 59 ans (10 cas), des plus de 69 ans (7 cas), des 60-69 ans (6 cas) et des 5 à 14 ans (1 cas).

 


 

Shaktisingh Buctowar : «Lamor mo garson se koumadir inn koup mo lame drwat»

 

Il est un époux et un père brisé. Pour lui, la vie n’a plus de sens. Il y a deux ans, Shaktisingh Buctowar a dû faire face à une très douloureuse épreuve : il a perdu son épouse, emportée par une longue maladie, et s’est retrouvé du jour au lendemain seul avec ses quatre enfants. Même si les années ont passé, les plaies laissées par la mort de sa femme sont toujours béantes. Hélas, le destin s’est à nouveau acharné sur lui, le jetant plus bas encore. Ce lundi 27 septembre, cet habitant de Belle-Vue-Maurel a perdu son fils Deepsing, plus connu sous le nom de Tonum, âgé de 19 ans, dans un accident de la route. «Mo finn perdi mo madam. Mo ena enn tifi 10 an pou okipe. Lamor mo garson se koumadir inn koup mo lame drwat», lâche-t-il, en larmes.

 

Il était 23 heures en ce lundi fatidique, lorsqu’un appel téléphonique est venu chambouler sa vie et celle de ses proches une fois de plus. «C’est un voisin qui nous a contactés pour nous annoncer la mauvaise nouvelle», raconte Reshma, une tante. D’après leurs renseignements, Deepsing se serait rendu à la boutique du coin et aurait croisé un ami en rentrant. «Nous pensons que son ami lui a demandé de l’accompagner à moto et qu’il s’est laissé tenter.» Le drame s’est produit dans les parages de Middle Road, Piton, aux alentours de 22 heures. Le motocycliste – un habitant de sa localité, âgé de 23 ans – circulait en direction de Gokhoola lorsqu’il a fait une sortie de route. Projeté violemment sur l’asphalte, Deepsing, qui était le passager en croupe, n’a pas survécu. Son décès a été constaté par un médecin du Samu. Quant au motocycliste, il a été hospitalisé. Il a été soumis à un alcotest qui s’est avéré négatif et devra comparaître en cour sous une accusation provisoire d’homicide involontaire lorsqu’il sera remis.

 

«Aux petits soins»

 

Pour Shaktisingh Buctowar, cette tragédie de plus paraît insurmontable. Pour cause, son fils Deepsing lui a toujours été d’un grand soutien. «Il l’aidait financièrement mais faisait aussi de son mieux pour qu’il ne sombre pas, plus particulièrement depuis la mort de leur mère dont il ne s’est jamais remis. S’il avait été malade, nous aurions été mieux préparés à le perdre. C’est difficile de lui dire au revoir dans ces circonstances», souligne Reshma.

 

Serviable, respectueux et attentionné, Deepsing s’occupait également beaucoup de sa petite soeur, ajoute-t-elle. «Il répétait sans cesse que c’était pour elle qu’il avait abandonné ses études à l’âge de 14 ans. Durant cette période, ses parents travaillaient beaucoup et il tenait à être présent pour s’occuper d’elle. Après le décès de sa mère, il a été aux petits soins pour elle et veillait à ce qu’elle ait la meilleure éducation possible. Il voulait à tout prix la voir réussir.»

 

Bosseur dans l’âme, Deepsing passait le plus clair de son temps à travailler. Il gagnait sa vie en abattant des arbres ; des contrats qu’il obtenait auprès d’entrepreneurs. «Selman, mem kan li ti pe gagn lezot travay, li pa ti pe refize.» Il caressait toutefois le rêve de monter sa propre entreprise. Son temps libre, il le passait à pêcher. «C’est une passion qui lui est venue dès son plus jeune âge, lors de nos sorties familiales.»

 

Les funérailles du jeune homme tant regretté ont eu lieu le mardi 28 septembre.

 


 

Le sergent Chaton, de la Traffic Branch Unit : «Les gens estiment à tort que piloter une moto, c’est comme faire du vélo»

 

Depuis le début de l’année, Maurice a enregistré 87 morts dans 84 accidents de la route. Les plus vulnérables ont été les motocyclistes, avec 45 victimes, soit plus de la moitié de cette liste noire. Sollicité, le sergent Chaton, de la Traffic Branch Unit (TBU), évoque plusieurs raisons pour de tels chiffres. Si la vitesse et la consommation d’alcool ou de drogue peuvent souvent être les causes principales d’accidents de la route – réduisant la vision et les réflexes du pilote –, un troisième facteur entre en jeu lorsqu’il s’agit de motocyclistes. «La tendance à Maurice, c’est qu’une fois qu’un individu apprend à faire du vélo, à garder l’équilibre, il estime qu’il est prêt à piloter une moto. C’est loin d’être le cas.»

 

Il explique qu’il y a trois types de motos – les motos sportives, les routières et les trails – et qu’elles sont conduites de manières différentes. «Bien souvent, lorsqu’un individu fait l’acquisition d’un deux-roues, il ne sait pas comment le piloter. Il faut comprendre qu’à vélo, nous utilisons notre propre force pour faire avancer le véhicule, mais lorsqu’il s’agit d'une moto, il faut savoir comment la contrôler et manier les vitesses. C’est pour cela que, bien souvent, les motocyclistes perdent le contrôle de leur engin dans les tournants.»

 

Il insiste ainsi sur l’importance d’avoir recours à une moto-école pour apprendre à piloter un deux-roues.

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