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Farad Dilmohamed, 53 ans, meurt après une bagarre avec son compagnon de cellule - Shirin : «Je me battrai même si cela ne va pas me ramener mon époux»

17 janvier 2024

Leur relation n’a pas toujours été au beau fixe. Mariés religieusement depuis 26 ans et parents d’un fils de 24 ans, Mamad Farad Dilmohamed (photo) et son épouse Shirin ont rencontré plusieurs obstacles durant leurs années de vie commune mais cela ne les a jamais empêchés de se soutenir l’un l’autre. Malgré le penchant de son compagnon pour les substances illicites et ses démêlés avec la justice, dit-elle, il était toujours là pour elle : «Il m’aidait beaucoup financièrement, entre autres. Je me chargeais de rembourser nos emprunts bancaires tandis que lui s’occupait du reste.» Hélas, un malheur est arrivé qui la prive à jamais de son époux. Mamad Farad Dilmohamed, un habitant de Vallée-Pitot de 53 ans, a trouvé la mort dans des circonstances tragiques, douloureuses et inattendues dans la soirée du mercredi 10 janvier. Appréhendé dans la matinée du même jour pour une affaire de vol, il a été tabassé par le détenu Jean-Paul Ravina, 24 ans, qui partageait sa cellule et n’a pas survécu à ses blessures. «Qui doit-on tenir pour responsable dans cette affaire ? Ce détenu, la police ou les médecins ?» s’interrogent les proches de la victime, complètement choqués, attristés et perdus. Ils prévoient d’entamer des poursuites contre ceux concernés aussitôt qu’ils auront les idées claires.

 

Le jour fatidique, Shirin se trouvait chez l’une de ses trois filles – nées d’une première union – lorsqu’elle a appris que son époux avait été conduit à l’hôpital Jeetoo par la police. «La veille, j’avais passé la nuit chez ma fille avant de me rendre au travail directement. Après mon service, je suis repartie directement chez ma fille. Je ne savais pas que Farad avait été arrêté car la police ne m’en avait pas informée», relate-t-elle. C’est lorsque son gendre s’est rendu à l’hôpital qu’il a aperçu, par hasard, le quinquagénaire, menotté et escorté par la police au département Casualty, et lui en a fait part. «Au départ, je n’avais pas vraiment compris ce qui s’était passé. Je pensais qu’il était tombé dans la rue et que les policiers l’y avaient conduit mais mon gendre m’a expliqué qu’il avait été appréhendé dans la matinée. J’ai ensuite eu mon fils au téléphone ; il avait été voir son père à l’hôpital et il m’a rassurée en me disant que Farad allait bien et qu’il allait être examiné par les médecins. Je ne me suis pas inquiétée davantage.» Mais quelques heures plus tard, sa vie a basculé.

 

Shirin, qui est employée comme Attendant à l’hôpital Jeetoo, a reçu un appel inquiétant un peu plus tard dans la soirée. «Il s’agissait d’une de mes collègues de l’établissement qui était de garde. Linn dir mwa ki linn trouv pe pran mo misie pe amenn dan lamorg.» Au départ, elle a voulu croire qu’il s’agissait d’une très mauvaise blague ou alors que sa collègue s’était trompée de personne. D’autant que son fils lui avait assuré que le quinquagénaire se portait bien. Néanmoins, un deuxième appel, quelques minutes plus tard, est venu confirmer ce qu’elle craignait. «Un infirmier m’a contactée pour m’annoncer la mauvaise nouvelle et c’est là que j’ai compris qu’il ne s’agissait pas d’une plaisanterie. Deswit nounn deboule, nounn koumans bouze pou kompran kinn pase parski dernye fwa mo ti kit mo misie li ti korek. Li pena ni diabet, ni tansion, ni malad leker.»

 

Violents coups

 

Accompagnée de ses proches, Shirin s’est d’abord rendue à l’hôpital pour s’enquérir de la situation mais les policiers présents n’ont pas voulu lui donner plus d’informations et ils n’ont pas voulu, non plus, lui confirmer le décès de son époux. Idem au poste de police de Vallée-Pitôt. «Monn dir banla les mwa trouv mo misie pou mo kone si li bien me zot inn refiz mwa.» C’est à ce moment-là que son fils, qui avait pu discuter avec le quinquagénaire à l’hôpital plus tôt, lui a fait part de la conversation qu’ils avaient eue. «Letan linn zwen li, so papa ti dir li ki linn gagn bate ek enn lot prizonie dan cell. Linn dir li ki koumansman zot ti pe koze bien me ki lerla pa kone kinn pran sa misie-la, linn bat li, trangle li ek pil lor so lerin. Il m’a dit que Farad lui avait donnait l’impression de souffrir mais qu’il pensait que les médecins lui prodigueraient les soins nécessaires et qu’il irait mieux.» Pour en avoir le coeur net, les proches de Farad Dilmohamed ont demandé à rencontrer l’agresseur de celui-ci mais ont été informés qu’il avait déjà été transféré à un autre poste de police. «Et lorsqu’on a demandé à visionner les images des caméras de surveillance, les policiers nous ont déclaré qu’elles ne fonctionnaient pas», lâche Shirin.

 

D’après l’enquête policière, la bagarre aurait éclaté aux alentours de 18 heures, soit quelques heures après l’arrestation de Farad Dilmohamed. C’est lorsque ce dernier se rendait aux toilettes que son compagnon de cellule se serait jeté sur lui et lui aurait infligé de violents coups jusqu’à ce qu’un policier intervienne pour les séparer et les place dans des cellules différentes. Vu que le quinquagénaire se plaignait de douleurs, les officiers l’ont conduit à l’hôpital Jeetoo, où il a reçu des soins. Une radiographie n’aurait, cependant, rien décelé de grave. On lui a ensuite prescrit des médicaments avant qu’il ne soit ramené au poste peu avant 21 heures. Néanmoins, au bout d’une heure, il aurait perdu connaissance. Conduit à nouveau à l’hôpital, il y a rendu l’âme peu de temps après et une enquête a été ouverte. «Les médecins ne l’ont pas gardé alors qu’il était déjà mal en point. Monn aprann ki mo misie inn dir ki li pa pe bien, ki li pa pe kapav respire, me ki dokter-la inn dir li ki li pe fer zes. N’avait-il rien décelé lorsqu’il a effectué un x-ray ?», s’insurge Shirin. Elle remet également en cause le travail des forces de l’ordre qui n’ont pas pu assurer la sécurité de son époux alors qu’il était sous leur responsabilité.

 

Autres délits

 

Le lendemain du drame, Shirin a été convoquée par la police pour répondre à des questions. «J’ai collaboré de sorte à pouvoir organiser les funérailles de mon époux le plus vite possible mais je n’ai pas pu m’opposer à une autopsie.» D’après l’examen pratiqué par les médecins légistes Prem Chamane et Maxwell Monvoisin, sous la supervision du chef du département médicolégal de la police Sudesh Kumar Gungadin, la victime a succombé à un shock due to rupture of spleen. «Zot inn dir mwa ki trwa kot inn kase ek ki so lezo inn transpers so poumon, lerla sa inn fer emorazi. Mo res bet ki dokter-la pa ti remark sa kan li ti fer x-ray. S’il avait fait son travail correctement, mon époux serait toujours en vie», lâche Shirin. Elle déplore aussi que la police ne l’ait jamais informée de l’arrestation de son époux, ni du fait qu’il avait été conduit à l’hôpital, et non plus de son décès. Ses collègues de l’hôpital lui ont promis de lui venir en aide pour que justice soit faite. «Zot pe dir mwa mo bizin pa les sa al dan vid, ki sa bann dimoun ki koupab-la bizin peye. Je me battrai même si cela ne va pas me ramener mon époux.» Elle décidera de la marche à suivre une fois qu’elle en saura plus sur cette affaire.

 

Depuis le drame, Jean-Paul Ravina, le meurtrier présumé de Farad Dilmohamed, a été placé en détention à Piton. Il a comparu devant le tribunal le jeudi 11 janvier pour son inculpation provisoire pour meurtre. Rappelons que cet habitant de Baie-du-Tombeau, déjà fiché pour d’autres délits, avait été appréhendé par la police le mercredi 10 janvier après qu’il aurait saccagé sa maison et menacé ses proches avec un sabre. Sollicitée, sa tante Mary-Joyce raconte que leur famille a été choquée d’apprendre son implication dans cet acte barbare : «Li enn bon garson. Se limem ki vey bann zanfan kan nou al travay. Zour ki lapolis ti ramas li-la, mo pa kone sipa li ti konsom kitsoz ki pa al ek li, me linn kraz partou dan lakaz. Nou pa ti ena swa ; noun bizin sonn lapolis parski pa ti ena personn pou tire.» Selon elle, le jeune homme, affectueusement appelé Potok, «pa ti abitie komport li koumsa. Kan ti ena lager, se limem ki ti abitie tire. Lorsque nous avons appris qu’il avait tabassé un homme jusqu’à la mort en cellule, cela nous a choqués et attristés. Zame li ti gagn bann problem lager avan parski li pa kontan sa». Issus d’un milieu modeste, ses proches ne savent pas comment l’aider. «Nous n’avons même pas les moyens de lui trouver un avocat. C’est vraiment dommage que les choses aient pris une tournure pareille. Pou mwa li enn inosan, li enn zanfan ki bizin enn tretman. Si li pa ti konsom nanye, zame li ti pou fer enn zafer parey.»

 

Selon l’épouse de Farad Dilmohamed, celui-ci gagnait sa vie en cumulant des petits boulots mais son penchant pour les substances illicites l’auraient poussé à commettre plusieurs délits. Toutefois, avance-t-elle, lui non plus n’aimait pas se bagarrer : «Li pa ti enn dimoun ki kontan lager ek li ti pe touzour respekte so prosin. Li ti kontan badine ek pran plezir ek mwa. Li ti ena so defo me li pa ti enn dimoun violan. Zot pa ti bizin met li ansam ek sa lot misie-la si zot ti kone li brit. Savedir pena okenn sekirite dan stasion ; sak fwa zot ramas enn dimoun, li kapav pa retourn so lakaz vivan !» Bouleversée, Shirin ne peut s’ôter de la tête cette dernière image de son époux. «So lizie ek so labous ti ouver letan noun anter li. Koumadir li ti pe atann ki so madam ek so zanfan get li enn dernye fwa avan li ale. Remarke linn bien soufer. Ladan, se nou fami kinn perdi tou.» Farad Dilmohamed a rejoint sa dernière demeure le jeudi 11 janvier, laissant derrière lui des proches abasourdis de douleur.

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