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Fièvre aphteuse à Maurice et Rodrigues : Les éleveurs dans l’enfer d’une épidémie

17 août 2016

Shameem Bheekory aide son père Mohamad Anif dans l’élevage. Ils ont cependant perdu tout leur bétail.

C’est plus qu’un simple métier. Corinne Appadoo entretient une relation particulière avec ses bêtes. Et depuis six ans, c’est tous les jours le même rituel pour cette habitante de Cité-La-Cure. Sur un terrain en friche en face de sa maison, elle élève des vaches et des bœufs. Et chaque matin, elle se lève pratiquement à la même heure, soit à 5 heures, pour donner à boire et à manger à ses animaux. Ce n’est pas de tout repos, dit-elle. Mais animée par une grande passion pour ses bêtes, elle se plie aux exigences. «Il faut se réveiller très tôt, les nourrir, les nettoyer, entre autres. Et aussi veiller à leur donner des médicaments quand il le faut.»

 

Mais depuis plus d’une semaine, elle est désorientée, anéantie face à la fièvre aphteuse, une maladie qui se caractérise par l’apparition d’aphtes et d’ulcères superficiels, entraînant une salivation intense chez l’animal, et qui touche les bovins à Maurice et à Rodrigues. Les animaux qui en sont atteints boitent, présentent des troubles de mastication et la production laitière chute de manière drastique.

 

Bêtes affaiblies

 

La fièvre aphteuse n’a pas épargné les bêtes de Corinne qui a pour habitude de leur donner des prénoms. À l’exemple d’Abby, une vache qui présente hélas les symptômes de la fièvre aphteuse. Assise sur ses pattes, elle a l’air affaiblie et laisse échapper une bave épaisse qui s’écrase sur le sol. La scène est insoutenable pour Corinne. «Elle était en bonne santé et, du jour au lendemain, je l’ai vue affaiblie. Elle ne mange pas et bave tout le temps. Elle peine à se tenir sur ses pattes», confie-t-elle tristement.

 

Abby, poursuit Corinne, donnait naissance à un petit pratiquement chaque année. Et elle a récemment mis au monde un bébé, baptisé Accajou et qu’elle allaite : «Accajou est en bonne santé. Mais comme elle boit le lait de sa mère, je ne sais pas si elle risque d’être contaminée elle aussi. J’ai d’autres bêtes, j’ai peur de les perdre toutes.»

 

Un peu plus loin, chez Mamode Anif Beekhory, la scène donne froid dans le dos. Dans sa ferme située à l’arrière de sa maison, deux vaches mortes sont recouvertes sous une bâche. De ses 37 bœufs et vaches, cet éleveur de bétail a assisté, impuissant, à la mort de cinq d’entre eux en moins d’une semaine. «À chaque réveil, j’assistais à une scène d’horreur. Perdre une bête par jour, c’est très dur», dit-il.

 

Hélas, ses autres bêtes ont aussi été contaminées et ont toutes été abattues le vendredi 12 août. «J’ai tout perdu», lâche notre interlocuteur, déboussolé. D’autant que certains de ces animaux attendaient des petits. Rien n’a pu être fait pour les sauver, au grand détriment de Mohamad Anif Beekhory et de Corinne Appadoo.

 

«Précautions»

 

Du côté du ministère de l’Agro-industrie, les vétérinaires et autres inspecteurs ont été pris de court par la propagation de cette maladie dans l’île. Lors de notre visite à Cité-La-Cure, une équipe de trois personnes visitaient les fermes affectées par la fièvre aphteuse. «C’est la première fois que cette maladie est détectée à Maurice et à Rodrigues. Nous n’avons jamais commandé les vaccins de prévention car la maladie n’existait pas chez nous. Cela aurait été une perte d’argent que d’acheter des vaccins qu’on n’allait pas utiliser et qui allaient expirer et être jetés à la poubelle», explique l’un d’eux.

 

À Vallée-des-Prêtres, Nazirah Kinoo est sur le qui-vive. Pour l’heure, sa ferme n’a pas été touchée par la fièvre aphteuse.«Mais je suis très inquiète. Je prends toutes les précautions nécessaires. Je désinfecte le parc, j’enlève les excréments», explique notre interlocutrice qui a
65 animaux. Son seul espoir, dit-elle, repose sur la vaccination de ces bêtes. Mais voilà que le ministère de l’Agro-industrie a annoncé hier, samedi 13 août, que les vaccins commandés du Botswana ne sont pas adaptés pour lutter contre l’épidémie de la fièvre aphteuse dans l’île. Ce, après qu’elle a reçu les conclusions des analyses effectuées en France, qui indiquent que les 20 000 vaccins ne sont pas adaptés pour la maladie. Une nouvelle qui tombe alors que les vaccinations devaient débuter hier.

 

Toutefois, précise un vétérinaire de l’agro-industrie,  les abattages à Maurice se font dans le respect, soit en anesthésiant les animaux avant de les tuer dans leur sommeil. Mais à Rodrigues, où l’épidémie s’est déclarée en premier, tel n’a pas été le cas. Les éleveurs et les Rodriguais en général dénonçaient, sur les réseaux sociaux, l’abattage barbare des animaux qui étaient égorgés vifs ou fusillés après qu’une équipe de la Special Mobile Forcea été dépêchée dans l’île. Des faits dénoncés par Reddy Augustin qui suit la situation de près. «C’est une cruauté envers les animaux. Cette semaine, ceux chargés de l’abattage ont fait un véritable massacre. Ils auraient dû les euthanasier. Mais elles n’ont fait qu’égorger les animaux sans même faire un tri entre ceux qui étaient infectés et ceux qui ne l’étaient pas. Après, ils les ont enterrés. Mais les chiens les ont déterrés. Tout cela contribue à la propagation du virus», explique-t-il.

 

Selon Reddy Augustin, le premier cas de fièvre aphteuse a été détecté à Rodrigues le 7 juillet : «J’ai signalé le premier cas aux autorités. Mais elles ont dit que l’animal avait été empoisonné. Ce n’est que lorsque 32 animaux ont été affectés que les choses ont commencé à bouger. Entre-temps, la maladie avait déjà gagné une bonne partie de l’île.» Une demande a même été formulée afin de séparer les animaux en bonne santé de ceux qui souffrent déjà de la maladie afin d’éviter leur contamination, dit-il. Mais rien n’aurait été fait.

 

De son côté, Mahen Seerutun s’est rendu à Rodrigues hier. Ce dernier, qui y a transporté les 10 000 vaccins reçus du Botswana, a affirmé aux autorités rodriguaises qu’ils sont hélas inutilisables pour cause de non compatibilité avec le virus qui sévit actuellement. «Les vaccins ont dû être retournés à Maurice. Entre-temps, le virus va continuer à se propager. D’ici la fin d’août, Rodrigues aura perdu tout son bétail, fait ressortir notre interlocuteur.Le Rodriguais vit majoritairement de l’élevage et de la pêche. Et voilà qu’un de ces deux secteurs est touché. Je ne sais pas comment l’économie va s’en sortir…»

 

Affaire à suivre.

 

Entre Rs 20 000 et Rs 40 000 de compensations

 

Le Conseil des ministres a approuvé les compensations allouées aux éleveurs ayant perdu des bêtes suite à l’épidémie de la fièvre aphteuse. Ainsi, pour les animaux de moins de 1 an, une compensation de Rs 20 000 a été approuvée, contre Rs 40 000 pour ceux âgés de 2 ans. Pour les vaches à lait, la somme de Rs 60 000 a été votée. Tandis que pour les jeunes cabris et moutons, Rs 2 000 ont été votées, contre Rs 6 000 pour les femelles de cabris adultes, Rs 8 000 pour les cabris mâles adultes, Rs 2 000 pour les jeunes porcs et entre Rs 4 000 et Rs 6 000 pour les porcs adultes, dépendant de leur âge.

 

Le virus peut-il être transmis à l’homme ?

 

Non, la maladie n’est pas transmissible à l’homme. Et il n’y a aucun risque pour une personne qui aurait mangé de la viande contaminée. Sauf si la viande infectée a été consommée de façon saignante. Il faut à ce moment-là consulter un médecin.

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