Publicité
21 juin 2021 15:38
Tantôt, sa voix est empreinte de tristesse. D’incompréhension aussi, suite au décès de son époux Soopramanien Kistnen, plus connu sous le sobriquet de Kaya, dans des circonstances atroces. Tantôt, elle est empreinte de colère et de détermination. Car Simla Kistnen veut à tout prix obtenir justice pour son mari, persuadée que ce dernier a été assassiné parce qu’il comptait faire des révélations à la brigade anticorruption sur l’ancien ministre et député de la circonscription no 8, Yogida Sawmynaden, ainsi que sur des amis de ce dernier. «Je suis convaincue que Yogida Sawmynaden a quelque chose à voir avec la mort de mon époux, même s’il affirme le contraire», soutient Simla Kistnen, quelques heures après la fin des travaux de l’enquête judiciaire sur la mort de son mari, le vendredi 18 juin.
En effet, huit mois après le décès de Soopramanien Kistnen, l’enquête judiciaire instituée par le Directeur des poursuites publiques s’est terminée par une séance riche en révélations (voir hors-texte). Toutefois, la magistrate Vidya Mungroo-Jagurnath réserve ses conclusions. «Li pa ti fasil ditou pou mwa pou vinn la kour. Mo ti lamem toulezour. Monn gagn boukou sok dan lakour ek bann zafer ki monn tande, sirtou lor ansien minis Yogida Sawmynaden», confie Simla Kistnen. «J’ai toujours dit que mon époux ne s’était pas suicidé. Kaya a toujours été un bon vivant. Il était également très généreux. Il n’a jamais été du genre suicidaire. L’enquête judiciaire le prouve. Le Dr Sunassee, médecin légiste de la police, a exclu la thèse du suicide. Il a également soutenu que mon époux est mort d’une overdose provoquée par une importante quantité de péthidine dans le sang et qu’il n’a pu s’administrer lui-même ce puissant tranquillisant, disponible uniquement dans le service de santé public», poursuit notre interlocutrice.
Les huit mois écoulés n’ont pas été de tout repos pour cette habitante de Montagne-Ory, qui a toujours beaucoup de mal à se remettre du décès de son époux, dont le corps a été retrouvé calciné dans un champ de cannes, à Telfair, Moka. «Il m’est toujours difficile de cumuler le rôle de mère et de père. J’arrive à garder la tête haute avec le soutien de la famille et des proches. Je me fais toutefois du souci pour mon fils car il est très réservé. Il a 17 ans et attend ses résultats du SC. Il a toujours été très proche de son père. So papa ti so lavi. Li res pans li toulezour. Li pa fasil pou li ousi. Sel problem, se ki li gard tou pou li», s’attriste Simla Kistnen. À son chagrin se même de la révolte : «Mo pena mo pou exprim mo koler. Ena dimounn ti rod zet labou lor mwa me sa pa finn afekte mwa. Monn res for akoz mo misie. Mo touzour determine pou al de lavan.»
Déterminée, Simla Kistnen l’est en ce qu’il s’agit de faire éclater la vérité sur la mort de son époux Soopramanien. Et dans sa quête de réponses, elle pointe du doigt Yogida Sawmynaden. «Li ti enn gran kamarad mo misie. Pena zour pena ler li ti pe telefonn li. Mo mari kinn fer li gagn eleksion. Li pa finn mem prezant mwa simpati apre so lamor. Eski se akoz li ena kitsoz pou repros li ? Yogida Sawmynaden n'a pas dit toute la vérité. Se ousi pou sa ki mo dir ou ki mo konvinki ki li ena kitsoz avwar dan lamor mo misie. Bondie pou fer mwa konn la verite. Mo kit tou dan So lame», lâche Simla Kistnen.
Cette dernière et les «Avengers» attendent désormais les conclusions de la magistrate Vidya Mungroo-Jagurnath. «Je ne remercierai jamais assez ma famille et les ‘‘Avengers’’. Zot mem ki donn mwa kouraz pou avanse. Zot tou inn bien res solider ek mwa. Mo remersie osi Vidya Mungroo-Jagurnath ek bann avoka biro DPP. Zot inn fer enn travay formidab. Enn ta zafer nou pa ti pou kone si pa ti ena zot. Zot pou touzour res dan mo bann la priyer», affirme Simla Kistnen.
La magistrate du tribunal de Moka a du pain sur la planche. Elle doit d’abord revoir toutes les dépositions des personnes auditionnées, avant de soumettre son rapport au Directeur des poursuites publiques qui aura la tâche de décider de la marche à suivre.
La dernière séance de l’enquête judiciaire a été marquée par de troublantes révélations sur Yogida Sawmynaden. Toutefois, malgré un feu roulant de questions d’Azam Neerooa, représentant du bureau du DPP, et de Roshi Bhadain et Rama Valayden des «Avengers», l’ancien ministre du Commerce martèle qu’il n’a rien à voir avec le décès suspect de Soopramanien Kistnen. «This is not true», a répondu le député du no 8, après que Roshi Bhadain lui a lancé : «You are the only person who has a reason for Soopramanien Kisten not to be among us today.»
L’homme de loi a énuméré une liste de raisons pour soutenir ses propos. Selon ses dires, Soopramanien Kistnen comptait dénoncer Yogida Sawmynaden à l’ICAC. L’activiste du MSM, soutient-il, avait en sa possession les fameux Kistnen Papers qui contiendraient des informations sur les dépenses encourues lors des dernières législatives ainsi que la liste des travailleurs étrangers qui auraient voté pendant ces élections. Soopramanien Kistnen aurait déjà rencontré le leader du PTr à cet effet, le 4 août dernier, soit quelques mois avant sa mort.
Roshi Bhadain allègue que Soopramanien Kistnen a été tué car il comptait dévoiler les transactions louches de l’ancien ministre à l’ICAC. Lors des travaux de l’enquête judiciaire, a-t-il poursuivi, les amis d’enfance de ce dernier auraient touché de gros contrats de plusieurs millions de roupies pendant le premier confinement. Alors que Soopramanien Kistnen aurait eu un contrat pour placer un barrage en tôle sur la plage publique de Pomponnette, dans le cadre d’un projet hôtelier qui n’a jamais abouti.
Le 16 octobre 2020, jour de sa disparition, le défunt voulait se rendre aux funérailles d’un dénommé Garçon, un agent du MSM, pour rencontrer Pravind Jugnauth et tout lui raconter, allègue Roshi Bhadain. Il a toutefois mystérieusement disparu ce jour-là. Sa dépouille calcinée a été retrouvée deux jours plus tard dans un champ de cannes à Telfair, Moka.
À tous ces propos, Yogida Sawmynaden a répliqué que sa relation avec Soopramanien Kistnen était au beau fixe. L’ancien ministre réfute ainsi la version de sept témoins, dont son frère Khoumada et Simla Kistnen. Ces derniers ont tous affirmé en cour que la relation entre les deux hommes s’était considérablement détériorée au fil des mois, alors qu’ils ont toujours été très proches.
À un certain moment, Roshi Bhadain a interrogé Yogida Sawmynaden sur une affaire d’extorsion dans laquelle il serait impliqué. La magistrate n’a cependant pas autorisé cette question car il n’y a aucun lien avec le décès troublant de Soopramanien Kistnen.
Roshi Bhadain a également bombardé l’ancien ministre de questions sur les fameux Kistnen Papers. Ceux-ci feraient état que plus de Rs 1 million ont été déboursées pour payer la location des bases et les rafraîchissements des agents et activistes du MSM. Yogida Sawmynaden a soutenu qu’il s'agissait de bureaux temporaires dans le cadre des législatives et n’a pas voulu poursuivre car il y a une pétition électorale contestant son élection.
De son côté, Rama Valayden s’est d’abord intéressé à la présence d’une voiture rouge, avec des occupants à bord, sur le parking du bureau de l’ancien ministre, à Ébène, le jour de la découverte macabre à Telfair, Moka. L’avocat a également interrogé Yogida Sawmynaden sur un de ses terrains à La Brasserie. Celui-ci abriterait une ferme gérée par un dénommé François. Rama Valayden a voulu savoir s’il y a aussi des chevaux sur cette ferme pour pour tenter de faire un eventuel lien avec l’utilisation de la péthidine (ndlr : la péthidine est utilisée pour endormir les chevaux) mais l’ancien ministre a déclaré avoir obtenu ce terrain en 1996, qu’il n’a que quatre vaches et que la ferme est gérée par une tierce personne suite à un accord conclu quelques années plus tard.
Pressé de questions par Bhadain et Valayden, notamment sur son emploi du temps le jour de la disparition de Kistnen, Sawmynaden a fini par avouer que c’est à Terracine qu’il s’était rendu, et non à La Sourdine, pour une séance de prière en compagnie de l’«Aya Covilen» et son fils.
Autre troublante révélation : la dernière photo de Kistnen prise par une caméra CCTV indique qu’il se trouvait à un arrêt d’autobus à Belle-Rose, en face d’un pooja shop où l’ancien ministre se serait arrêté pour acheter des items avant de se rendre dans le Sud pour des séances de prière. Le principal concerné a, lui, répondu qu’il ne se souvient pas si c’était bien celle-là où une autre ayant le même propriétaire.
L’enquête judiciaire a révélé un élément très important. Il s’agit des fameux Kistnen Papers. Ces documents seraient des preuves que Soopramanien Kistnen avait monté un dossier pour contester l’élection des trois élus du no 8, soit le Premier ministre Pravind Jugnauth et les ministres Devi Dookun-Lutchmun et Yogida Sawmynaden. Ce carnet contient, autre autres, un payment receipt pour la location de sept containers pour les «bases», pour un montant de Rs 10 000 chacun.
La façon dont la police a traité le décès troublant de Soopramanien Kistnen a été très critiquée depuis le début. Cette affaire avait été traitée comme un suicide au départ, avant que le dossier ne soit transmis à la MCIT. Les «Avengers» sont d’avis que cette unité n’a pas fait son travail comme il se doit car la police est passée à côté de plusieurs faits importants. Le dernier élément en date concerne l’examen du téléphone de de Soopramanien Kistnen. Azam Neerooa, du bureau du DPP, a déclaré en cour que la police n’a pas identifié le numéro qu’il utilisait avant sa mort, alors que ce même numéro figure à plusieurs reprises sur les relevés d’appels de l’ancien ministre. Il a soutenu ses propos en produisant un rapport du département IT de la police datée du 19 avril. Ledit rapport fait mention de plusieurs messages échangés entre les deux hommes.
Une enquête judiciaire, plusieurs révélations. Les plus choquantes concernent les amis d’enfance de Yogida Sawmynaden, qui ont tous décroché de gros contrats pendant le premier confinement. 57 témoins ont été entendus mais ce sont les auditions de Vinay Appana et Neeta Nuckched qui ont le plus attiré l’attention car tous deux ont obtenu des millions de roupies, en 2020, à travers, entre autres, des achats controversés d’équipements médicaux sous l’Emergency Procurement.
La tête de Jonathan Ramasamy, le beau-frère d’Appana et ancien directeur de la STC, est également tombée. Deepak Bonomally, le bras droit d’Appana, est, pour sa part, poursuivi pour parjure après son audition.
Celle de Ravi Leelah, qui se dit «pusari», a également fait jaser. Yogida Sawmynaden lui a confié un terrain à St-Martin, obtenu à bail du gouvernement. Sa concubine occupe également un snack dans le bâtiment de l’ancien ministre à Port-Louis.
Le député du no 8 a aussi confirmé qu’il avait téléphoné à Ravi Leelah à quatre reprises le jour de la disparition de Soopramanien Kistnen ainsi que le lendemain. Il voulait, dit-il, avoir de ses nouvelles car son ami «pusari» n’allait pas bien.
Ravi Leelah avait déjà été arrêté dans une affaire de murder dans les années 2000 mais il n’y a pas eu de poursuites, faute de preuves. La victime est la mère du PPS du no 14, Ramchurrun. Son corps avait été retrouvé dans un champ de cannes plusieurs jours après sa disparition. Il y a eu une judicial inquiry qui a conclu qu’il n’y avait pas de foul play.
Publicité