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1 janvier 2021 16:37
Le temps d'un come-back : «Je ne viens pas souvent ici compte tenu de la nature de la circulation à Beau-Bassin/Rose-Hill que j'évite autant que possible. De temps en temps, quand je passe devant le bâtiment, j'ai bien évidemment un gros pincement au cœur, car ça a été mon lieu de travail pendant des années, de 1989 à 2003. L'autre raison qui rend ce lieu spécial pour moi, c'est que jamais un rédacteur en chef ou un directeur n'a habité aussi près de son lieu de travail. Cela me prenait 11 secondes pour arriver au bureau. Je pouvais quitter chez moi à 09h59 et être au bureau à 10 heures pour le briefing. En me tenant devant le bâtiment, je constate qu'il manque deux palmiers. Il y en avait cinq.
Autour d'un nom : «Il n'y a absolument pas de lien entre La Résidence des 5 Palmiers qui a été pendant longtemps le quartier général du journal, tout simplement parce que le nom 5-Plus a été trouvé avant. Quand on avait trouvé ce nom, on était dans la zone franche, dans les locaux de T-Printers qui imprimait le journal. Pour commencer cette belle aventure, il nous fallait donc trouver un titre. À l'époque, il n'y avait pas vraiment de boîtes qui s’occupaient du branding, par exemple. Et quand on pensait le journal, on se disait que la rubrique politique allait y avoir la part belle, compte tenu de ma passion pour la politique et de mon passé aussi forcément. Donc, j'avais dit que la rubrique politique allait être un pilier incontournable dans le journal. Puis, l'idée des pages sport et d'autres rubriques, comme les faits divers, les loisirs, etc., sont venus se greffer là-dessus. On avait trouvé cinq rubriques phares pour le journal. Puis, quelqu'un a dit, et pourquoi ne pas avoir aussi des rubriques comme l'astrologie et la sexologie ? Et Georges Chung a alors dit que ça allait être des rubriques en plus dans ce cas. Aussi bêtement que cela puisse paraître, c'est alors que le nom 5-Plus est né. Ça a donné des urticaires à quelques intellectuels de l'époque dont je tairai le nom par charité chrétienne. Quelqu'un avait voulu faire une explication savante autour du nom qu'on avait trouvé pour le journal. C'était le 5 de Berlusconi à l'époque et comme Canal Plus existait déjà, certains disaient qu'on avait piqué ce nom, or cela n'avait rien à voir. Le choix de ce titre 5-Plus était plus prosaïque. Je constate avec beaucoup de satisfaction que de nombreuses publications qui sont venues après ont adopté le mot plus. Même si on n'était pas des spécialistes du branding, on a procédé par instinct et cela a payé. La preuve : quand on parle de plus, c'est 5-Plus qui vient tout de suite en tête plus qu'une autre publication. Le nom 5-Plus a donc été trouvé bien avant que la rédaction débarque à La Résidence des 5 Palmiers. Quand on a débarqué ici, je ne me souviens pas qui, mais quelqu'un avait constaté qu'il y avait cinq palmiers devant le bâtiment. C'est comme ça que le nom de La Résidence des 5 Palmiers a été trouvé. Je ne sais pas ce qui s'est passé avec les deux palmiers qui manquent. Le bâtiment ne devrait donc pas s'appeler La Résidence des 5 Palmiers en fin de compte.»
Sur le chemin des souvenirs : «Bien évidemment, il y a eu beaucoup de changements. Il n'y avait pas autant de commerçants que maintenant. Et l'imprimerie de 5-Plus était aussi sur place, au rez-de-chaussée. Tout près du bâtiment de la Résidence des 5 Palmiers, se trouvait un atelier de cordonnerie. Le cordonnier était là, assis dans un fauteuil roulant parce qu'il avait au moins une jambe ou les deux jambes amputées. On sentait l'odeur du cuir bien évidemment. Et ce cordonnier était le père de Céline Fauvrelle qui est venue par la suite travailler à 5-Plus. C'était une famille d'origine très modeste. Si le père continuait à travailler, c'était pour nourrir sa famille. Il me plaît de constater que Céline Fauvrelle a ensuite pu partir pour des études en France. Elle accumule les doctorats. Je l'ai vue en France en janvier dernier. On a débarqué chez elle par surprise et elle a justement beaucoup pleuré en se souvenant de ses débuts à 5-Plus.»
Le commencement : «Au départ, cela a été difficile parce qu'il nous a fallu suivre des cours sur l'utilisation des ordinateurs. C'était la partie la plus dure pour moi et non pas parce que j'étais réfractaire. On se rendait chez Leal trois fois par semaine pour apprendre à utiliser les ordinateurs. Pour certains journalistes plus jeunes, cela a été plus facile mais pour moi, ça a été un vrai défi car il fallait que j'apprenne de zéro à utiliser ces outils informatiques.»
Il était une fois... une école : «Ces escaliers qui mènent vers les anciens locaux de 5-Plus ont été témoins de beaucoup de choses. Figurez-vous qu'il y a des recrutements qui ont été faits sur ces marches. Je me souviens que je descendais un jour et j'ai croisé une fille, qui, elle, était en train de monter. J'étais un peu pressé et je lui ai demandé comment elle s'appelait. Elle m'a donné son nom. Je lui ai demandé ce qu'elle venait faire à 5-Plus et elle m'a répondu qu'elle venait chercher du travail. Je lui ai alors dit qu'elle n'avait qu'une minute pour me dire ce qu'elle voulait faire. Et dans un français parfait, elle m'a répondu qu'elle voulait devenir journaliste. Elle avait fait des études à l'île de la Réunion. Après cela, elle m'a demandé quand elle pouvait revenir pour une interview. Je lui ai alors répondu que c'était fait et qu'elle pouvait commencer le lundi suivant. Cette jeune fille s'appelle Nathalie Fanchin et elle est aujourd'hui la rédactrice en chef du magazine Essentielle. Je peux dire que j'avais le pif pour reconnaître les talents.
Je me souviens aussi d'une autre rencontre. C'était un samedi, je terminais ma journée et quand je suis arrivé à la réception, on m'a dit qu'il y avait un monsieur qui était là et qui attendait depuis une heure. Parce que je ne recevais personne les samedis, jour de bouclage. Je suis sorti et j'ai vu un jeune homme en short et savates, avec une mèche sur le front. Je lui ai dit "vous voulez me voir" et il m'a réponde "oui". Je lui ai demandé pourquoi faire et il m'a répliqué "je veux être journaliste". Je lui ai demandé s'il avait une expérience dans le domaine et il m'a répondu que non et qu'au contraire, il avait eu une mauvaise expérience. Il m'a raconté qu'il était allé chercher du travail dans un quotidien, qu'il avait attendu pendant des heures sur un banc et qu'ils lui ont dit, lorsqu'il leur a fait part de son souhait de devenir journaliste, qu'ils ne prenaient pas les gens comme lui. Quand il m'a donné le titre du quotidien en question, je lui ai dit qu'il commençait lundi. Il était abasourdi. Ce jeune homme, c'était Jacques Aristide qui est resté assez longtemps à 5-Plus, est parti par la suite travailler à la MBC et est aujourd'hui journaliste aux États-Unis. Je peux citer d'autres personnes, comme Ritvik Neerbun, Marie-Noelle Elissac-Foy, entre autres, qui ont commencé à 5-Plus. On recrutait comme ça, à tour de bras. Je voulais donner une chance à ces jeunes qui en voulaient.»
Nostalgie et chagrin : «Quand j'entre dans le bâtiment, quand je me retrouve comme ça à l'entrée, ce qui était la réception de 5-Plus à l'époque, je ne peux pas m'empêcher de ressentir du chagrin. Il y avait trois personnes qui s'occupaient de la réception. Je ne vais pas les appeler des bonnes à tout faire mais elles faisaient tout, dont Chimène qui était réceptionniste et qui est récemment décédée à la suite d'un cancer. Je me souviens aussi de Spela Bonsujet qui est maintenant à Dubayy. Bien évidemment, ça a beaucoup changé. La disposition a changé mais j'arrive à reconnaître et à me souvenir de tous ces moments passés dans ce bâtiment. Je vois parfaitement, par exemple, où était le bureau de Georges Chung, notre salle de briefing et de la rédaction. Et que dire de ce qui était à l'époque mon bureau. Le plancher est resté le même. Le plus grand souvenir que je garde de mon bureau, c'est quand, une fois, de ma fenêtre, j'ai vu cette foule, en février 1999, hurlant dans la rue à la suite du décès de Kaya. Et un crétin n'avait rien trouvé de mieux que de lancer une pierre à ma fenêtre qui avait été ébréchée. Et à chaque fois que je regardais cette fêlure à la fenêtre, les images des émeutes de 1999 me revenaient à l'esprit. C'est ici, dans cet espace, que naissaient mes éditos. Chaque exemplaire, chaque numéro, était particulier. Chaque semaine, on recommençait. Il n'y a pas de place pour la routine et ceux qui sont dans la presse le savent. Le plus gros défi, c'était de trouver une couverture chaque semaine. Mon Dieu... Ça a parfois été la croix et la bannière. Des fois, on trouvait une couverture mardi et vendredi matin, il fallait tout changer, tout recasser. Dans ce bureau, j'ai aussi des souvenirs de tension et d'adrénaline. Un jour, Chimène a laissé entrer un jeune garçon. C'était un samedi matin. Il avait environ 21 ans. Et là, il m'a raconté son histoire. Il m'a sorti : "Mo ti bien bizin trouv ou." C'était l'histoire d'un couple de confession religieuse différente. Ils s'étaient mariés et les parents n'étaient pas d'accord du tout avec cette union. Ils étaient tous les deux adultes et cela ne posait aucun problème. Le jeune homme m'a raconté qu'un commando armé et cagoulé avait débarqué chez lui et kidnappé sa femme. J'ai commencé à prendre des notes. Il m'a dit que la police ne lui venait pas en aide pour retrouver son épouse. Avec cette histoire, j'ai décidé de refaire la couverture. Il m'a donné leur photo de mariage. J'ai publié la photo. Qui n'aurait pas fait ça ? J'avoue que j'avais mal appréhendé la réaction que cela allait susciter après la parution. Le journal a reçu des menaces. Le lundi, le téléphone au bureau n'arrêtait pas de sonner et on recevait aussi beaucoup de menaces de mort. Mardi, ça a pris des proportions terribles. On a vécu une grosse angoisse.
Je ne me souviens pas du timing, mais quelque temps après, le type qui était venu me raconter son histoire a débarqué à nouveau dans mon bureau, avec un gros sourire en me disant : "Mo fam inn revini." Il avait ramené la femme qui nous a à nouveau raconté son histoire, ce qu'elle avait vécue pendant son kidnapping. Et profitant d'un moment d'inattention de ses kidnappeurs, elle avait pu se sauver. Elle m'a raconté son histoire et on a à nouveau fait une autre couverture avec l'histoire du couple. La réaction après a été terrible. On posait des questions, notamment sur la présence d'un commando armé dans le pays. Un mardi en arrivant au bureau, nous avons constaté que l'entrée de 5-Plus avait été badigeonnée d'excrément humain. L'affaire avait pris des proportions énormes, des confrères disaient qu’on n’aurait pas dû sortir avec cette histoire. Ferfout ! Quoi on n’aurait pas dû ! Huit jours plus tard, j'ai vu le Premier ministre d'alors qui m'a dit que, selon ses renseignements, la situation était grave et que j'allais être sous protection policière. Je me suis retrouvé avec des jeeps de la SMF systématiquement devant les locaux de 5-Plus. Ma fille qui était encore à l'école y allait dans une voiture banalisée. Je ne sais pas combien de temps ça a duré, mais ça a été une grosse expérience.»
De souvenir en souvenir : «Un autre moment qui m'a marqué dans ces locaux, c'est quand pour des élections, on avait publié la liste des candidats avec, à côté, leur appartenance ethnique et aussi leur appartenance castéiste. Les réactions ont été terribles également. Je dirais même pire. Jamais on n'avait eu des réactions aussi violentes. Parce que ceux qui avaient menti sur leurs castes étaient embarrassés. Quelques éditorialistes avaient aussi condamné cela en disant que je foutais de la merde. Maintenant, tout le monde parle de ça, sans aucun complexe. Nous avons été des précurseurs dans beaucoup de domaines, notamment dans le traitement des faits divers.
Il faut dire qu'il y avait aussi 5-Plus Magazine qui a marché tant bien que mal. Le magazine n'était pas entré dans les mœurs. Puis, il y a eu 5-Plus dimanche. C'est à partir de là qu'on a commencé avec les faits divers. On avait réuni tout le monde et on s'était dit qu'on allait traiter les faits divers comme un feuilleton télévisé. Un crime faisait trois pages. On racontait une histoire et il fallait donner une densité psychologique à chaque personnage. On a fait des coups terribles. Il est évident que je n'aurais pas traité les faits divers aujourd'hui comme on le faisait à l'époque. C'était une exploration. Personne ne faisait les faits divers de cette manière. On mettait toute la rédaction sur un fait divers. Les faits divers à 5-Plus devenaient des faits de société. Ce qui intéressait les lecteurs, c'est : qu'est-ce qui se cache derrière un coup de couteau ? Qu'est-ce qui fait que le type a frappé ? On traitait les faits divers comme des cas sociologiques.»
30 ans plus tard : «30 ans dans la vie d'un journal, c'est énorme mais c'est aussi très peu. C'est avec beaucoup de sollicitude, beaucoup d'émotions, que j'achète 5-Plus. Je ne regrette rien. On n'oublie pas. Comment puis-je oublier ce bébé ? Chapeau à Georges Chung qui est venu me voir quand je travaillais encore à Week-end et Le Mauricien. Il m'a dit : faisons un journal. J'ai dit oui sans réfléchir, parce que la situation au Mauricien et à Week-end était complètement bloquée avec Lindsay Rivière, Sydney Selvon et Pierre Benoit, à la tête du Mauricien, Gérard Cateaux très jeune, encore à Week-end. Il n'y avait pas de place pour moi ; comment j'allais monter ? Quand l'occasion s'est présentée pour devenir non seulement rédacteur en chef mais aussi directeur, je me suis lancé. On a créé la peopolisation de la presse avec 5-Plus. Je me souviens que quand on avait lancé la rubrique People en allant couvrir les soirées et autres cocktails, on a dit de nous qu'on faisait du journalisme superficielle.»
Une équipe, une famille : «5-Plus n'était pas qu'une équipe rédactionnelle, c'était aussi une famille. On sortait. On allait à la mer, au cinéma. Quand quelqu'un était malade, tout le monde l'appelait. Après les élections, une fois rentrés, on se téléphonait tous pour demander si chacun était bien arrivé chez lui. C'est vrai que mes briefings étaient particulièrement houleux parce que j'exigeais beaucoup de mon équipe mais l'esprit de camaraderie régnait aussi. Je vous suis et je vois que vous continuez à conserver cet esprit de famille. Vous êtes intouchable. Personne ne peut bouger ce socle de 5-Plus tant qu'il y a cette solidarité. La force de 5-Plus, c'est son esprit. Je souhaite au journal une longue vie et qu'il garde son originalité et les caractéristiques qui ont fait de cette publication un succès.»
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